2. Définition des notions clés

Le présent travail de recherche implique la définition de trois notions centrales. Ces trois notions sont celles de l’industrie de l’éphémère, de l’information en ligne et de l’internet.

Nous avons choisi dans ce travail d’adopter l’appellation l’internet de préférence à celle, plus répandue, d’Internet. Notre choix n’est pas motivé par une règle grammaticale mais bien par notre axe de recherche. En effet, l’appellation Internet, qui consiste en une contraction de l’anglais « international network » (réseau international), fait référence au protocole technique qui permet l’interconnexion de réseaux informatiques indépendants, baptisé Transmission Control Protocol/Internet Protocol (TCP/IP). La première tentative théorique de définir un tel protocole a été la communication présentée par Robert Kahn et Vinton Cerf dans une conférence de l’International Network Working Group (INWG) qui a eu lieu à l’Université de Sussex en septembre 1973[1]. Dans ce cas l’appellation Internet est justifiée puisqu’il s’agit d’un nom propre désignant une technique spécifique et unique, une sorte de « marque » établie par les chercheurs en question. Or, depuis l’invention du World Wide Web par Tim Berners-Lee au début des années 90 et sa popularisation progressive, le protocole Internet permet de véhiculer à travers les réseaux interconnectés un nombre incalculable d’informations et d’applications diverses. Progressivement, le mot Internet s’est éloigné de sa signification initiale se référant à une technique générique à usages multiples, pour désigner les usages eux-mêmes. En fait, son cheminement est équivalent à celui du mot presse. Aujourd’hui, quand nous parlons de la presse nous ne désignons plus la technique générique qui permet la reproduction à une échelle industrielle de feuilles de papier imprimées, mais l’ensemble hétérogène de supports de presse (magazines, journaux, lettres d’information) et les contenus que nous y trouvons, quand il ne s’agit pas des entreprises d’édition. Par l’emploi des noms communs l’internet, le réseau ou le web nous prenons donc acte de l’émergence d’applications diverses et variées du protocole d’interconnexion Internet accessibles à un large public de non spécialistes en informatique. Il nous arrivera cependant de recourir à la dénomination Internet lorsque nous nous référerons à l’aspect technique de ces applications, mais également lors des citations d’auteurs qui en font usage dans le texte original. Il s’agit bien d’un choix méthodologique motivé par notre objet de recherche et non pas d’une quelconque injonction de ce qui devrait être la dénomination la plus appropriée[2].

Nous avons également choisi de faire référence dans cette recherche de l’information en ligne. La polysémie du mot information prêtant à confusion nous allons tenter de circonscrire le sens que nous attacherons à cette notion. Ainsi, notre travail porte sur les contenus d’information, essentiellement en forme de texte, mis à jour et renouvelés avec une périodicité régulière, impliquant un travail de production de la part des journalistes professionnels ou des rédacteurs spécialisés, mais également une activité de diffusion qui inclut la hiérarchisation et le traitement en vue de leur publication sur des sites internet grand public. Ces contenus, qui appartiennent à la catégorie des nouvelles ou des news, se présentent sous des formats qui trouvent leur origine dans la presse (articles avec titres, sous-titres, chapôs, dépêches, éditoriaux, interviews) et ont vocation à toucher le plus grand nombre de personnes à travers les rubriques qui se réfèrent à l’actualité généraliste ou celle d’un domaine particulier. Nous désignerons dorénavant par la notion d’information en ligne les contenus précédemment décrits ainsi que tous les dispositifs techniques, applications logicielles et outils qui permettent aux internautes d’y accéder. 

Enfin, le titre de notre Thèse fait référence à l’industrie de l’éphémère. Nous avons choisi cette dénomination afin de mettre l’accent sur le caractère volatile de l’information en ligne. En effet, l’étymologie du mot éphémère, mais également du mot éphéméride qui en découle, renvoie au mot grec imera qui signifie journée. Par définition, la durée de vie de l’information de presse est de vingt-quatre heures puisque les modes d’organisation sociale et les contraintes techniques de cette industrie ont imposé un bouclage unique par jour. Or, l’apparition de la radio et de la télévision a contribué à accélérer le rythme de renouvellement de l’information permettant son traitement en continu. L’émergence de l’information en ligne participe pleinement à ce mouvement d’accélération du traitement médiatique. En effet, par le biais du réseau les informations de type journalistique circulent à la vitesse des électrons à l’échelle mondiale. L’apparition des divers outils de mise à jour automatique permet d’actualiser l’information en temps réel avec un effort minime de la part des journalistes.

De cette façon, le caractère éphémère de l’information de presse est accentué jusqu’à devenir potentiellement absolu, ce qui conduit à « la perte de stabilité du document comme objet matériel et sa transformation en un processus construit à la demande, qui ébranle parfois la confiance que l’on mettait en lui »[3]. Par l’emploi de la notion de l’industrie de l’éphémère nous souhaitons donc nous différencier des approches documentaires qui traitent des modes d’indexation, de traitement et d’exploitation de l’information pérenne disponible sur le réseau, pour nous concentrer sur les modalités de production et de mise en contact des publics avec les contenus hautement volatiles que sont les informations sur l’actualité. L’emploi du mot industrie renvoie à notre rattachement au cadre théorique des industries culturelles, que nous allons développer par la suite, et fait référence à un ouvrage dont l’approche nous semble transposable au cas de l’information en ligne[4]. L’emploi du mot industrie au singulier exprime précisément notre volonté de mettre en place une grille de lecture cohérente de l’ensemble hétérogène des acteurs de l’information en ligne par la mise en avant des corrélations et interdépendances qui régissent leur fonctionnement.

 



[1] Pour un bref historique d’Internet voire : Leiner Barry M., Cerf Vinton G., Clark David D., Kahn Robert E., Kleinrock Leonard, Lynch Daniel C., Postel Jon, Roberts Lawrence G. et Wolff Stephen, « A Brief History of the Internet », accessible à l’adresse :  http://www.isoc.org/internet/history/brief.shtml

[2] En août 2004, la rédaction du magazine Wired, considéré comme la référence en ce qui concerne les questions liées à l’internet par les médias américains, a décidé d’arrêter l’emploi du majuscule et de l’article de the Internet, lui préférant la dénomination internet. Cette décision a constitué en quelque sorte la « nouvelle orthodoxie » quant à la dénomination de l’internet. Source : « It's Just the « internet » Now », Tony Long, The Wired Magazine, 16 aout 2004, accessible à l’adresse: http://www.wired.com/news/culture/0,1284,64596,00.html

[3] « Document : forme, signe et médium, les re-formulations du numérique », document de travail STIC-CNRS, juillet 2003, p.2. Le document a été publié sous le pseudonyme collectif Roger T. Pédauque regroupant plus de soixante chercheurs par le biais de la plateforme d’échange participative RTP-DOC du CNRS. Pour plus d’informations voire http://rtp-doc.enssib.fr/sommaire.php3

[4] Nous faisons référence à l’ouvrage de Patrice Flichy, Les industries de l’imaginaire. Pour une analyse économique des médias, PUG, Grenoble, 1991.

Tables des matières - précèdent - suivant