8.6
Conclusion
En raison de leur diversité, les
stratégies adoptées par les producteurs de l’information en ligne ne sont pas
homogènes. Elles dépendent de la nature des acteurs, de leur histoire et de
leurs positions respectives dans le système médiatique. Cependant nos résultats
de recherche voient se dégager un certain nombre de positionnements
stratégiques qui comportent des éléments en commun. De même, nous observons
l’émergence d’un faisceau de tendances récurrentes, au niveau éditorial et économique,
qui caractérisent le secteur des producteurs de l’information en ligne.
8.6.1
Les modèles de positionnement stratégique
Même si la catégorisation qui suit ne
prétend pas à l’exhaustivité, elle résulte de la mise en évidence de modèles,
entendus comme « une représentation simplifiée d’un processus ou d’un
système, de façon à mettre en évidence des règles de fonctionnement récurrentes
et susceptibles de se reproduire » [Miège, 2004, p.153]. Cependant, en
raison de la volatilité du secteur de l’internet, il agit plutôt de modèles
intermédiaires – communs à des acteurs qui peuvent par ailleurs être
hétérogènes – et qui sont susceptibles d’être modifiés dans la durée. Ils
concernent uniquement les modalités d’engagement des acteurs en question sur le
marché de l’information en ligne et non pas l’ensemble de leurs activités.
-
Les « conservateurs » de référence
Le premier positionnement se fonde sur
la prééminence d’un modèle économique fondé en grande partie sur le paiement
par l’usager. Il s’agit essentiellement d’acteurs que nous avons examinés,
comme Le Monde et Les Echos, et dans une moindre
mesure de La Tribune, L’Equipe et Courrier International. Ce sont des supports de référence dans
leurs domaines respectifs qui tentent de valoriser leur position dominante afin
de combiner des ressources financières en provenance de la publicité avec la
vente d’abonnements en ligne. Pour y arriver, ils mettent en avant leur
capacité à effectuer un traitement approfondi de l’actualité qui apporte une
valeur ajoutée significative aux internautes. D’où la constitution d’équipes
rédactionnelles importantes qui produisent régulièrement de contenus exclusifs
pour leurs sites internet respectifs. Dans ce cas, la mise en place d’un modèle
payant et la gestion des abonnements a nécessité des investissements importants
qui ont été effectivement consentis.
En termes économiques, cette stratégie
s’est révélée réussie puisque les structures en question sont les seules, avec
e-TF1, en ce qui concerne les sites-médias que nous avons examiné, à avoir
atteint un équilibre financier et à avoir dégagé des profits, même limités. Le
positionnement sur un modèle payant suppose une certaine exclusivité quant aux
contenus d’information disponibles sur les sites en question. C’est la raison
pour laquelle Le Monde et Les Echos ont été parmi les premiers
sites-médias à avoir complètement abandonné la politique de syndication qui
consistait à vendre leurs contenus aux portails généralistes. De cette façon,
ils s’efforcent d’entretenir un effet de rareté susceptible de pousser les
internautes à souscrire un abonnement payant. A ce titre, il faut faire une
différenciation entre les deux acteurs en question. En effet, alors que Les Echos ont adopté un modèle payant
complet dans lequel la quasi-totalité de contenus est inaccessible pour les
internautes qui ne souhaitent pas payer afin d’y accéder, Le Monde de son côté dispose d’une offre relativement riche en
libre accès. Ceci parce que l’information économique à forte valeur ajoutée est
davantage adaptée au modèle payant que l’information générale et politique qui
constitue le créneau du Monde. Ce
dernier procède à une discrimination par les prix sur une base temporelle.
Ainsi, si une grande partie des contenus du site lemonde.fr sont librement accessibles le jour de leur
parution, ils passent en payant relativement rapidement, dans les 36 à 48
heures qui suivent.
De par leur positionnement stratégique, mais
aussi leur place centrale dans le système médiatique, les acteurs en question
ont été les premiers à essayer de fédérer les éditeurs autour d’une position
commune face aux portails généralistes et aux infomédiaires. Ils ont procédé
ainsi à une série d’actions de lobbying par le biais d’organisations
interprofessionnelles comme le Geste et l’OPA Europe dont ils assument, ou ont
assumé, la direction. Face à la concurrence des portails généralistes, les
acteurs en question ont défendu le concept de « relations
d’affinité » que les sites-médias établissent avec leurs lecteurs,
contrairement aux portails, ce qui les rend particulièrement attractifs en
termes publicitaires. L’objectif de ces actions étant de pousser les annonceurs
à réorienter leurs investissements au profit des sites médias, un objectif
partiellement atteint. En ce qui concerne les infomédiaires comme Google, Le Monde et Les Echos ont été à l’origine des actions entreprises qui visaient
à associer les éditeurs à la mise en place du service Google News. L’objectif
étant que chaque éditeur puisse imposer ses conditions pour en faire partie. En
revanche, quand les éditeurs ont été associés dès le départ la création de tels
services, comme dans le cas de Yahoo et de MSN, il n’y a pas eu de
protestations. Globalement, cette position « protectionniste »
adoptée par Le Monde et Les Echos trouve ses origines dans le
processus de constitution de la presse qui historiquement dispose du monopole
de l’effet d’agenda-setting, à savoir
l’établissement de l’ordre du jour en ce qui concerne l’actualité par la
sélection et la hiérarchisation des informations. Il s’agit d’une position conservatrice, dans le sens premier du
mot, à savoir visant à conserver, dans la mesure du possible, une situation
établie face aux changements qui s’annoncent. A ce titre nous pouvons, toutes
proportions gardées, rapprocher cette stratégie à celle adoptée par les majors
du disque face aux opérateurs de systèmes d’échange de fichiers sur
l’internet. Dans le moyen terme
l’objectif des sociétés de presse en question est de modifier en leur faveur le
rapport de force qu’ils établissent avec les nouveaux acteurs de l’information
en ligne. Pour ce faire ils utilisent une argumentation
« déontologique » qui met en avant les particularités du travail
journalistique et des pratiques professionnelles du secteur de l’information
dont ils maîtrisent tous les paramètres.
-
Les « inventeurs sous contrainte »
Le deuxième positionnement stratégique
que nous avons mis en évidence est celui incarné par Libération et par le Groupe L’Express-L’Expansion, mais nous
pouvons également y rapprocher Le Figaro
et dans une moindre mesure le Nouvel
Observateur. Il s’agit de l’adoption d’un modèle économique fondé sur un
financement indirect, essentiellement en provenance de la publicité. Or,
l’adoption d’un tel modèle constitue un choix par défaut. En effet, les acteurs
en question souhaitent fortement bénéficier d’un financement de leurs sites
respectifs de la part des usagers, mais ne disposent pas des moyens financiers,
techniques et humains nécessaires afin de procéder à la mise en place d’un modèle
payant. Les responsables de ces structures se concentrent dans un effort de
stabilisation de leurs dépenses, avec une montée régulière de leurs recettes
publicitaires, afin d’atteindre dans un premier temps un équilibre financier
qui leur permettrait de ne plus peser sur les comptes de leurs maisons mères
respectives. Une fois cet équilibre atteint, ils envisagent effectivement de
mettre en place des offres payantes d’une plus grande envergure. Ce manque de
moyens pousse les acteurs en question à rechercher des dispositifs permettant
une différenciation de leur offre éditoriale à moindre coût. Il s’agit d’une invention sous contrainte qui aboutit à
des configurations originales comme l’intégration de weblogs au sein de libération.com ou les éditoriaux quotidiens
en vidéo au sein de lexpress.fr. En
ce qui concerne la position de ces acteurs face à l’émergence d’infomédiaires
dans le domaine de l’actualité, si leurs discours sont alignés sur une position
de fermeté, comme ceux des acteurs précédemment mentionnés, en pratique leur
attitude est beaucoup plus ambiguë. En effet, les sites de Libération comme ceux de L’Express
et de L’Expansion, ont toujours été
présents sur Google News sans interruption, même lorsque Le Monde et Les Echos en
se sont retirés. Ceci parce que le financement par la publicité implique la
recherche de l’audience la plus large, ce qui signifie que les acteurs en
question sont dans l’obligation d’exploiter tous les canaux disponibles, y
compris ceux auxquels ils n’ont pas été associés. En ce qui concerne le Groupe
L’Express-L’Expansion, cette recherche de l’audience maximale passe par
l’agrégation des audiences de ses différentes sites, afin de peser davantage
sur le marché publicitaire. Il s’agit de la mise en place des synergies
commerciales notamment par la constitution des packs transversaux regroupant
des espaces publicitaires sur plusieurs supports.
-
Les « vases communicants »
Une configuration très porteuse en
termes économiques, en ce qui concerne le développement des sites-médias, est
celle établie par e-TF1 et sa maison mère, mais à laquelle nous pouvons
associer également la chaîne de télévision M6
et des stations de radio comme Skyrock
ou NRJ. En effet, dans ce cas, les
contenus d’information disponibles sur le site tf1.fr sont accessibles gratuitement pour l’ensemble des
internautes et financés en partie par les revenus publicitaires. Cependant, une
grande partie de revenus de e-TF1, qui a atteint l’équilibre financier depuis
2004, provient de la vente de services dans le domaine du divertissement. Le
levier qui permet à cette offre payante de bien fonctionner est l’audience
massive de la chaîne TF1. En effet la
chaîne de télévision et le site internet, comme les autres supports interactifs
du groupe, fonctionnent en quelque sorte comme des vases communicants. De cette
façon l’audience des programmes de télévision est orientée de façon organisée
vers les supports interactifs qui offrent des services payants comme les jeux,
les concours et les informations exclusives. Il s’établit ainsi des
« communautés », autour des programmes de télévision très populaires,
qui sont valorisées commercialement successivement sur les différents supports
de manière successive. Dans un premier temps, cette audience de masse est
valorisée en tant que cible publicitaire sur le support télévision. Dans un
deuxième temps, les publics en question sont renvoyés vers le site internet où
ils sont commercialisés une deuxième fois auprès des annonceurs, cette fois en
ligne. Enfin, dans un troisième temps, les mêmes publics se voient proposer des
services payants qui procurent des revenus supplémentaires au groupe. Une telle
stratégie n’est possible que par la position dominante qu’occupe TF1 dans la
télévision en France, qui par ailleurs dispose d’un réseau de télécommunications
propriétaire par le biais de Bouygues, ce qui facilité la valorisation
multi-support de son audience. En revanche, le positionnement en question
relègue l’information en second plan privilégiant les contenus de
divertissement qui sont dominants sur le site tf1.fr et rapprochant ce dernier des portails généralistes des
fournisseurs d’accès. De cette façon, le site internet de TF1 tend à se rapprocher de la politique éditoriale de la chaîne
qui en est à l’origine.
-
Les « vitrines éditoriales »
Parmi les acteurs que nous avons
examiné nous avons repéré un certain nombre pour lesquels l’édition des sites
d’information constitue en quelque sorte une « vitrine » éditoriale
pour leur activité principale. En effet, dans le cas du Benchmark Group, éditeur
du Journal du Net, et celui de L’île
des Médias, la création et l’édition des sites d’information ne constituent pas
leur cœur de métier. Pour le premier il s’agit du conseil en nouvelles
technologies et pour le second de l’activité d’agence web éditoriale. En
revanche, l’activité d’éditeur est stratégique pour ces deux acteurs parce
qu’elle leur procure une notoriété et un prestige qui servent à attirer une
clientèle pour leur activité principale. Dans cette configuration, le modèle
économique des sites en question est le financement indirect, puisque toute
limitation de l’accès des internautes au contenu d’information diminuerait
d’autant la visibilité de ces sociétés. Une telle configuration ne signifie par
pour autant que les sites d’information en question sont de faible importance
en ce qui concerne leur audience et leur succès auprès des annonceurs
publicitaires. Au contraire, dans le cas du Journal
du Net il s’agit du premier site d’information sur le secteur de l’internet
en termes de trafic, ce qui le rend particulièrement attractif en termes
publicitaires, notamment en ce qui concerne le marché de services aux
entreprises. En revanche, cette configuration pose des problèmes de crédibilité
quand la couverture de l’actualité des acteurs en question s’apparente à un
« journalisme institutionnel » qui fonctionne comme une caisse de
résonance pour la communication institutionnelle.
-
Les acteurs transnationaux financiarisés
Lors de la présentation de notre
corpus nous avons spécifié que les producteurs d’information constituent
essentiellement des acteurs qui s’activent à une échelle nationale, celle du
marché français. Reuters et ZDNet constituent
des exceptions à cette règle. Ceci, combiné au fait qu’il s’agit d’acteurs
fortement financiarisés sous contrôle managérial, accentue les similitudes
entre eux quant à leur positionnement stratégique. En effet, les acteurs en
question ont été parmi ceux qui ont tenté d’appliquer le principe de
convergence de manière relativement suivie. C’est ainsi qu’ils ont adopté un
fonctionnement en réseau qui implique une mutualisation de moyens à un niveau
mondial. De même, ils ont consenti des investissements importants dans leur
développement en ligne, ce qui a causé des difficultés financières importantes
lors de la crise du marché de l’internet en 2001. L’objectif de la stratégie
mise en œuvre par ces sociétés est la constitution d’une offre d’information
standardisée qui peut potentiellement être diffusée sur n’importe quel support
numérique avec un minimum d’adaptation. Une telle politique vise à produire des
économies d’échelle significatives, susceptibles d’accroître la rentabilité de
ces entreprises, conformément aux injonctions de leurs actionnaires.
La stratégie en question implique
également une politique de concentration verticale dans des segments voisins à
leur activité historique. Ainsi, Reuters tente de se positionner en tant
qu’éditeur et diffuseur de contenus d’information auprès du grand public par le
biais de son propre site internet. De ce fait, il concurrence directement ses
propres clients sur le marché de la publicité en ligne. Inversement, CNET
Networks tente de se positionner de manière importante dans le segment de la
vente de contenus par le biais de ZDNet. De ce fait, le groupe américain adopte
une politique d’agence de presse qui semble porteuse, puisque ses contenus sont
présents au sein des sites d’information les plus consultés, notamment les
portails généralistes. Ayant adopté une politique agressive qui vise à gagner
des parts de marché au détriment de la concurrence, les acteurs en question
ont, de fait, pris une position largement favorable aux infomédiaires comme
Google, même si le discours adopté, notamment de la part de Reuters, est plus
prudent.
-
Le service public
Dans
notre travail de recherche nous
avons examiné deux acteurs qui font partie du service public. Il
s’agit de
l’AFP et de RFI. Il va de soi que les différences
fondamentales qui
caractérisent ces deux structures en ce qui concerne leur
support, leur taille,
leur histoire mais également leurs objectifs et statuts, ne nous
permettent pas
de faire état d’un positionnement stratégique
commun. Cependant, leur
dépendance d’un financement public et le statut de leurs
journalistes peuvent
expliquer un non-positionnement stratégique,
c’est-à-dire un ensemble d’actions
et d’initiatives prises sous contrainte et en dehors d’une
politique
d’adaptation aux supports numériques cohérente sur
le long terme. Nous pouvons
étendre l’analyse à d’autres services publics
audiovisuels comme France
Télévisions et Radio France. En effet, les acteurs en
question appartenant à
l’Etat, ils disposent des moyens financiers limités en
comparaison avec leurs
concurrents directs, dont certains sont fortement financiarisés.
Ceci à cause
d’une politique publique qui vise la stabilisation ou la
diminution des
dépenses de l’Etat. Par conséquent, les initiatives
mises en œuvre par les
acteurs en question, afin de s’adapter au nouvel environnement
concurrentiel,
se trouvent diminuées. Ceci est renforcé par la crainte
du personnel de voir
son statut particulier mis en question. D’où le clivage
entre, d’une part, les
personnels statutaires, qui sont souvent réticents aux nouveaux
impératifs du
multimédia que sont la polyvalence et la flexibilité
accrue de leur activité,
et, d’autre part, les journalistes pigistes qui sont depuis
longtemps sujets à
ces conditions de travail. Le résultat de cette situation est
une certaine
immobilité quant à l’effort d’adaptation
nécessaire à la reconfiguration de
l’environnement concurrentiel des acteurs en question, qui risque
de mettre en
cause la mission du service public. Dans le cas de l’AFP, cette
tendance est
renforcée par le fait que le conseil d’administration de
l’agence inclut des
représentants des éditeurs qui en sont des concurrents en
puissance. Le statut
de l’AFP et sa dépendance vis-à-vis des
éditeurs français ont été conçus
dans
un contexte radicalement différent de celui
d’aujourd’hui, d’où
l’inadéquation
de cette configuration avec les exigences du développement de la
société en
ligne.
8.6.2
Les tendances générales
Mis à part les stratégies d’acteurs
qui sont sensiblement différenciées selon la structure examinée, il existe un
certain nombre de tendances générales qui concernent, à des degrés divers,
l’ensemble des producteurs de l’information en ligne. Ces tendances concernent
des aspects économiques de leur activité, comme des aspects éditoriaux.
Les
tendances économiques :
-
Diversification horizontale
Pour l’ensemble des acteurs engagés
dans le secteur de l’information en ligne, celui-ci constitue un terrain de
diversification horizontale. A ce titre il s’inscrit dans une tendance plus
générale qui voit les structures médiatiques rechercher des débouchées
supplémentaires à leur production éditoriale. Ceci parce que l’environnement
économique du secteur de la communication est sujet à un processus de
libéralisation et de concentration à l’image de l’ensemble de l’économie. De ce
fait, les médias se trouvent confrontés à une nouvelle concurrence sur leurs terrains
de prédilection qui aboutit à une perte des parts de marché. A titre d’exemple,
les chaînes de la télévision hertzienne gratuite sont sous pression
concurrentielle à cause de la multiplication de l’offre en provenance de canaux
nouveaux, où qui se développent rapidement ces dernières années, comme la
télévision par câble et satellite, la télévision numérique terrestre (TNT) et
la télévision par ADSL. De la même façon la presse quotidienne généraliste se
trouve confrontée à la multiplication et le succès en termes de diffusion de la
presse gratuite. Cette tendance générale conduit les médias à rechercher
d’autres terrains de développement, dont l’internet est l’exemple type. Ceci
parce qu’il constitue la préfiguration d’autres supports comme les terminaux
mobiles à haut débit qui sont particulièrement importants en termes
stratégiques pour le développement futur de l’industrie de l’information.
-
Modèle économique mixte
En 2005, la majorité des sites
d’information se contente essentiellement d’un financement indirect. Or,
l’inflation des coûts liés au développement en ligne, ainsi que l’intégration
progressive de l’internet dans les habitudes de consommation d’une partie
importante de la population, semble aboutir à terme à l’adoption d’un modèle
économique mixte, au moins en ce qui concerne les sites-médias. Ce modèle a
l’avantage d’effectuer une discrimination par les prix efficace, en assurant
parallèlement une visibilité suffisante aux sites d’information. De cette
façon, les recettes en provenance de la vente d’abonnements et de services, ce
qui implique l’exclusivité et donc des barrières pour les non abonnés, peuvent
être combinées à une large audience qui assure des recettes publicitaires. Pour
l’instant cette stratégie est adoptée par peu d’acteurs en raison de son coût
mais également en raison d’une crainte de voir l’audience des sites diminuer
drastiquement. Cependant, à moyen terme le modèle mixte apparaît comme le seul
pouvant rentabiliser une activité particulièrement coûteuse qui est celle de la
production de contenus d’information originaux.
-
Appui d’un groupe industriel
Comme nous l’avons vu lors de notre
recherche de terrain, et malgré les analyses sur les avantages économiques du
support internet, le développement d’une offre d’information en ligne à but
lucratif implique nécessairement l’appui d’un groupe industriel. Ceci en raison
des coûts importants de création d’un site internet attractif et de la
production régulière des contenus originaux. Progressivement, avec le
développement de l’internet grand public, les exigences des internautes en
termes de qualité, qu’il s’agisse de la forme ou du fond de l’offre
d’information, vont en croissant. Par conséquent, les barrières à l’entrée au
secteur ne font qu’augmenter, ce qui aboutit à ce que les structures
indépendantes ne soient pas viables dans le secteur de l’internet, en tous cas
sous les conditions économiques actuelles. La totalité des acteurs que nous
avons examiné dispose de l’appui d’un groupe industriel qui a assumé les
investissements initiaux de la création du site internet et qui continue de
soutenir l’activité lors de la première période généralement déficitaire. Les
groupes industriels en question proviennent essentiellement des médias mais
peuvent également faire partie d’autres secteurs d’activité.
-
Valorisation du métier d’origine
Dans la première période de la
création des sites internet de la part des médias français, ces derniers se
sont efforcés de procéder à une extension de leur marque dans des domaines
nouveaux comme le commerce électronique ou les services. Il s’agissait d’une
transposition des théories sur l’avènement de la « nouvelle
économie » qui allait bouleverser le découpage des secteurs d’activité
hérité de l’ère industrielle. Dès lors, suivant ces analyses, il était
impératif pour les médias de se positionner dans des marchés nouveaux en
exploitant la notoriété acquise dans leurs secteurs d’origine respectifs.
Or, les expériences concrètes ont démontré qu’une telle politique n’était pas
tenable parce que les médias ne disposaient pas du savoir faire requis par
d’autres activités éloignées de leur domaine de prédilection. En revanche, ils
maîtrisent les paramètres d’un secteur particulièrement complexe qu’est celui
de l’information. D’où le revirement qui a vu la totalité des acteurs de la
presse française se recentrer vers leur activité d’origine. Dans le même temps,
des médias à dominante de divertissement, comme TF1, ont voulu se positionner sur le segment de l’information. Or,
très rapidement leurs responsables ont réalisé qu’une telle activité ne serait
que très difficilement rentable et se sont repliés alors vers un positionnement
généraliste fondé essentiellement sur l’offre de services et de contenus de
divertissement. Il s’agit d’un mouvement équivalent à celui qui a poussé la
majorité des fournisseurs d’accès à abandonner une politique
« média » pour se recentrer vers leur métier d’origine d’opérateur de
télécommunications. Nous pouvons en conclure que l’expérience des acteurs de
l’information en ligne dans leurs domaines d’activité traditionnels respectifs
constitue leur principal avantage concurrentiel et les pousse à s’y
recentrer.
Les
tendances éditoriales :
-
Rôle clé des rédactions multimédia
Les rédactions multimédia des
producteurs de l’information en ligne occupent une position stratégique au sein
de ces structures. En effet, les journalistes qui les composent constituent en
quelque sorte l’interface entre les différentes composantes de la production
d’information et les supports numériques. De ce fait ils constituent un filtre
par lequel passe l’ensemble de contenus, ce qui a des répercussions sur la
chaîne de production dans sa totalité. La demande des rédactions multimédia
nécessitant des produits normalisés, les différentes composantes de la chaîne
de production se trouvent dans l’obligation de se coordonner et de se concerter
de manière régulière. Ainsi, un certain nombre de cloisonnements qui
régissaient le fonctionnement interne des médias sont mis en cause. L’exemple
type de cette configuration est représenté par les agences de presse dont les
cellules multimédia sont installées au cœur de la rédaction et qui disposent
des canaux de communication directs avec tous les services qui leur permettent
le cas échéant de demander des modifications ou des ajustements des
produits.
-
Absence d’une production originale
Loin
de ce qui a pu être imaginé par
le passé, les informations généralistes que nous
trouvons sur les sites-médias
français sont pour leur grande majorité les mêmes
que celles disponibles dans
la presse et dans l’audiovisuel. En effet, l’absence de
production écrite
originale pour l’internet, en dehors de quelques revues de presse
et autres
synthèses de dépêches et de communiqués de
presse, est effective. Notre
recherche de terrain a démontré que l’essentiel du
travail effectué au sein des
rédactions multimédia est une réécriture
afin d’adapter les articles originaux
du support papier au site internet. Dans le cas où il y a
effectivement
production d’informations en propre, comme au sein des
publications exclusives
au réseau, celle-ci se limite à un journalisme
« assis » sans
reportages, enquêtes ou analyses approfondies. La
conséquence de cette
configuration a été que la plupart des rédactions
multimédias ont été constituées
de jeunes diplômés des écoles de journalisme qui
sont plus à mêmes de se
contenter d’un travail essentiellement de retraitement de
l’information,
incluant de nombreuses tâches techniques et nécessitent
une flexibilité accrue.
-
Nouvelles thématiques
Une
tendance corrélative à la
précédente est l’émergence des
thématiques d’information dépolitisée,
proche de
celles de la presse magazine qui prennent une place considérable
sur
l’internet, même à l’intérieur de
supports de référence. Il s’agit de
thématiques technologiques, de consommation, de
« people » ou
« insolite » qui se trouvent aux
frontières de l’information du
divertissement et de la promotion commerciale. Le succès de ces
thématiques en
termes d’audience est considérable ce qui conduit un
nombre croissant des
titres à les intégrer. Il s’agit d’une
tendance générale qui caractérise les
médias mais qui prend une dimension supplémentaire en
ligne.
-
Nouveau canaux de distribution
L’information en ligne est également
caractérisée par l’émergence de nouveaux canaux de distribution qui doivent
être pris en compte par les sites d’information dans la mise en place de leur
offre de contenus et de services. Il en va ainsi des moteurs de recherche comme
des formats originaux de type RSS. Cette configuration a des répercussions sur
la nature même de l’information et sur la façon dont elle est mise à
disposition du public. Ceci parce que dans l’environnement éclaté de
l’internet, la consultation n’est pas nécessairement linéaire et les entrées
possibles des lecteurs dans un site sont démultipliées. Il y a donc des
différences fondamentales entre la structuration d’un site internet et la
création d’une maquette d’un journal ou d’une grille de programmes
audiovisuels. Ces paramètres obligent les éditeurs à réfléchir sur comment
offrir l’information en anticipant l’émergence de ces usages nouveaux. Il en
découle un effort de rendre chaque « entrée » (article, dossier,
interview) autonome par rapport à l’ensemble du site, pouvant être consultée
seule ou dans une séquence de « surf » incluant plusieurs supports
différents. Pour améliorer l’efficacité de la mise à disposition des contenus
d’information ceux-ci sont découpés en unités autonomes, ils sont enrichis par
des méta-données qui facilitent leur traitement ultérieur et, enfin, ils sont
intégrés dans des bases de données qui permettent leur diffusion sur des
supports différents.
-
Extension de compétences
L’internet a été le terrain d’une
extension de compétences de la part de l’ensemble des médias français. En effet,
si les clivages traditionnels entre l’audiovisuel et la presse écrite ou, à
l’intérieur cette dernière, entre presse magazine et presse quotidienne
persistent, ils sont atténués sur l’internet. Ceci parce que le modèle dominant
pour ce qui est des sites d’information est celui d’un traitement en continu,
ou à défaut au quotidien, combiné à de contenus écrits et multimédia. Il
s’opère ainsi une extension de compétences des acteurs en provenance de la
presse qui, face à la concurrence, sont dans la quasi-obligation d’introduire
progressivement des contenus multimédia sur leurs sites internet respectifs. De
la même façon, les chaînes de télévision et les stations de radio constituent
des rédactions dédiées à la production des contenus écrits, seule façon pour
eux de référencer leur offre d’information sur les moteurs de recherche. De
l’autre côté, les hebdomadaires et mensuels tendent vers un fonctionnement qui
s’apparente à celui des quotidiens et ces derniers s’orientent progressivement
vers une couverture de l’actualité en continu. Une caractéristique technique
qui facilite un tel glissement ce sont les outils qui permettent une mise à
jour du fil de dépêches d’agence directement sur les sites clients.
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