7.4 Net2One, la trajectoire et la fin d’un concept original

L’idée d’une revue de presse personnalisée et automatique comme celle effectuée par Google News ou MSN Newsbot n’est pas nouvelle. En effet, à la fin des années 90 plusieurs sociétés ont tenté de mettre en place un tel service. Il s’agissait alors de fonctionner sur un modèle push dans lequel l’information est envoyée de manière active à l’usager par le biais de son courrier électronique. La seule firme qui a survécu de cette période d’émergence de la « nouvelle économie » est Moreover, dont il a été question précédemment. Cependant, en 1997 a été créée en France une société appelée Central Cast, et ensuite Net2One, qui a tenté d’exploiter un concept original de revue de presse électronique sans succès. L’historique de sa trajectoire, que nous allons tenter de reconstituer ici, est emblématique de cette période de structuration du marché de l’information en ligne, et ceci à plusieurs égards. Premièrement, la société a été une start-up à la croissance très rapide, fondée sur un financement en provenance du capital-risque. Elle n’a pas réussi à trouver un modèle économique rentable, ce qui a causé restructuration et licenciements et finalement le rachat de ses actifs par une autre société. Deuxièmement, le fonctionnement de Net2One a été conçu dans une période dans laquelle les acteurs du secteur, comme les éditeurs, n’avaient pas de politique claire quant à la valorisation de leur contenu sur l’internet, ce qui a permis son exploitation par la start-up en question sans entraves dans un premier temps. Par la suite, et au fur et à mesure que le marché de l’information en ligne se formait, Net2One a dû essuyer les mêmes critiques que Google News et elle est finalement entrée dans un processus de négociation avec les principaux éditeurs. Enfin, le fonctionnement de Net2One démontre également certains abus dans cette recherche de rentabilité, notamment en ce qui concerne l’exploitation de données collectées sur les usagers.

 

Origines et création

Jérémie Berrebi a créé Net2One, sous le nom de Central Cast, en 1997 à l’age de dix-huit ans. Etant l’un des pionniers de l’internet en France dès son adolescence, le jeune entrepreneur a travaillé dans un premier temps comme documentaliste pour l’un de premiers fournisseurs d’accès à l’internet Compuserve. Il s’agissait d’effectuer un travail de recherche sur l’internet manuellement. En 1999, le fondateur de Net2One a décidé de mettre en place un service de revue de presse automatisée dont le fonctionnement était assuré par un moteur de recherche spécialisé dans l’information d’actualité. Le concept qu’exploitent en 2005 des acteurs tels que Google ou MSN était inventé. Il s’agissait d’utiliser les contenus tiers, comme les articles des sites d’information, et en échange de rediriger du trafic vers les sources.

« Net2one comprend un moteur de recherche sur l’actualité et un système d’alerte multi-supports. Ce système permettra de recevoir des informations en temps réel sur des sujets que l’internaute aura préalablement déterminé. Le moteur, qui a été complément développé en interne depuis un an et demi, se balade sur Internet et extrait non pas des pages web mais des éléments de pages web. Nous avons donc un moteur de recherche qui est uniquement orienté sur l’actualité. Aucun partenariat n’a été nécessaire pour utiliser les sources. En pratique, nous utilisons le droit de citation qui nous permet de citer les articles comme une revue de presse. Les utilisateurs recevront une liste de liens. En cliquant sur les liens, ils arriveront directement sur le site d’où provient l’information. L’alerte a uniquement pour fonction de prévenir l’utilisateur, qui est redirigé vers l’éditeur d’origine »[1].

Afin de pouvoir développer son projet, la société a reçu entre 1999 et 2000 des financements de plus de 7,6M d’euros par des fonds de capital-risque tels que Galiléo Partners et Apollo Invest. Ainsi, en 2000 le capital de la société se répartissait de la manière suivante : Jérémie Berrebi disposait de 37,2% du capital, le co-fondateur Jean Guetta 15,4%, Apollo Invest 5,9%, Galileo 12,7%, Dassault 11,5% et LGT 6%. Ce capital initial a servi à la croissance très rapide de la société qui est passée d’un effectif composé de quelques personnes en 1999 à 36 employés en 2002. Le travail réalisé dans cette période a consisté d’abord à développer en interne la technologie de recherche sur l’actualité et par la suite à constituer une très large base de données de sources. Il s’agissait d’adopter une démarche d’exhaustivité afin de pouvoir répondre à des demandes d’information généralistes comme spécialisées. Le modèle économique de la société s’est fondé sur un financement indirect en provenance de la publicité ciblée et du marketing. C’est la raison pour laquelle l’accès au service était gratuit pour les internautes. Comme nous le verrons plus loin, à partir de 2003, et suite à une restructuration en profondeur assortie d’une diminution drastique des effectifs, Net2One est passé sur un modèle payant et s’est orienté davantage vers un marché des professionnels, avant d’être racheté par Presse+ en juin 2004. La description du fonctionnement de la société qui suit est le résultat d’une observation effectuée en 2002 et ne concerne que la période 1999-2003.

 

Fonctionnement et sources de financement

 La cible du service mis à disposition par Net2one est constituée à cette époque d’internautes individuels et d’entreprises et professionnels. En tout, selon ses responsables, Net2One dispose en 2002 de 480 000 inscrits à son service de revue de presse personnalisée en ligne, dont 170 000 abonnés qui reçoivent une lettre de diffusion au quotidien. Le service extrait de façon systématique, à l’aide d’un logiciel spécifique développé en interne, des informations en provenance de 2 600 sources éditoriales, représentant 500 éditeurs. Ce robot de recherche parcourt en permanence les sites d’information et extrait automatiquement les titres et les sous-titres des articles. Par la suite le service centralise toutes ces informations et les recoupe avec les critères de sélection retenus par les clients lors de leur inscription. Ces derniers reçoivent tous les matins une revue de presse composée de liens hypertexte comprenant le titre et sous-titre de l’article ainsi que sa provenance. L’abonné a ainsi un rapide aperçu dans sa boite de courrier électronique de l’ensemble de nouvelles du jour. Ensuite et après avoir cliqué sur l’un de ces liens une nouvelle fenêtre s’ouvre sur son écran d’ordinateur qui renvoie vers le site d’origine où se trouve le corps du texte. L’utilisateur peut également consulter la sélection d’articles sur le site de Net2One à l’intérieur de son espace abonné, auquel il accède avec un nom d’utilisateur et un mot de passe. La personnalisation du service est effectuée au moyen de critères prédéterminés par l’utilisateur. Ces critères s’articulent sur plusieurs niveaux.

Le premier niveau de sélection s’effectue dès la première page du site net2one.fr où le futur abonné est invité à choisir ses préférences parmi un certain nombre de catégories d’information prédéterminées. Ces catégories sont les suivantes : Bourse et finances, Internet et high-tec, Actu générale, Stars et people, Science et santé, Arts et culture, Jeux vidéo, Ma ville-ma région et Sports. Le deuxième niveau de sélection s’effectue dès la deuxième étape d’inscription. Il s’agit du choix des mots clés que l’abonné est invité à entrer dans trois champs prévus à cet effet. Le service se charge de renvoyer dans la newsletter personnalisée des liens vers tous les articles qui comprennent les mots-clés sélectionnés. Le troisième niveau de sélection s’effectue dans la troisième page d’inscription où sont présentées dix-neuf sources présélectionnées par Net2One et organisées en huit catégories. Les sources parmi lesquelles l’utilisateur est invité à choisir sont les suivantes : tf1.fr, 18h.com, cerclefinance.fr, latribune.fr, actustar.com, Chronic’art, musicActu.com, jeuxvidéo.com, La Lettre de l’Internet, Journal du Net, Pour la science, Fenêtre sur l’Europe, Maire-Info, premierministre.fr, Football365, sport24.com, Allociné, télepoche.fr. Il faut souligner qu’il ne s’agit là aucunement d’une liste exhaustive des sources exploitées par Net2One, car celle-ci est beaucoup plus étendue. Il s’agit plutôt d’une sélection de sources faite par les documentalistes de Net2One et fondée sur des critères qui ne sont pas connus. Ce qui pourrait signifier l’existence d’accords de partenariat ou de promotion entre les sites-sources et Net2One. Enfin, le quatrième niveau de sélection, qui est également le plus avancé, est effectué après l’inscription initiale. En effet, une fois que l’utilisateur a été inscrit au service il a accès à un espace abonné personnalisé au sein du site de Net2One. Il a alors la possibilité de choisir directement ses préférences en utilisant soit l’arborescence, soit l’annuaire de sources. L’utilisateur peut également choisir à la fois le pays d’origine et la langue des sources qui l’intéressent puisque Net2One présente des versions en français, en anglais et en suédois.

Le service dispensé par Net2One est gratuit pour l’utilisateur final et ce dernier doit répondre à une série de questions afin d’en bénéficier. Les informations demandées aux internautes sont de deux ordres. Premièrement, celles qui sont indispensables à l’inscription auprès du service d’information, comme le sexe, le nom, le prénom, la date de naissance, le pays dans lequel la personne est installée, son statut professionnel, l’activité de son employeur, sa propre fonction au sein de l’entreprise et son adresse e-mail. Comme l’indique la notice d’information, il s’agit de champs obligatoires, à savoir des données indispensables à l’inscription. Une fois que l’utilisateur a rempli ces champs, il lui est possible de commencer la procédure de sélection des sources précédemment décrite. Cependant, s’il le souhaite, il peut continuer son inscription dans la deuxième partie du formulaire qui, n’étant pas obligatoire, peut néanmoins, selon Net2one, l’aider à profiter « d’offres personnalisées », sans autres précisions : « Afin de profiter d’offres exceptionnelles et personnalisées en fonction de vos envies et de vos besoins sélectionnez vite les centres d’intérêts qui vous passionnent et validez en bas de page. Vous recevrez directement et gratuitement par e-mail les offres qui vous correspondent »[2]. Après avoir précisé ses centres d’intérêts, dont la typologie ressemble à une liste de secteurs commerciaux, l’utilisateur a la possibilité de poursuivre encore son inscription. Sous une rubrique baptisée « Ensemble, faisons connaissance », il est invité à fournir des informations sur sa vie privée et ses pratiques sociales. Le questionnaire comprend des questions qui vont du nombre de personnes vivant au foyer de l’abonné et la nature de son logement à ses habitudes d’utilisation de l’internet. Le processus d’inscription dans son ensemble est pensé et construit de manière à extraire le maximum d’information des utilisateurs en appliquant des méthodes qui, comme nous le verrons par la suite, sont à la limite de la légalité.

En dehors du service d’information personnalisé et envoyé par e-mail, qui est essentiellement destiné aux particuliers, Net2One vise également le marché des professionnels et des webmasters. En effet, dans la rubrique Partenariat la société invite les responsables des sites internet à rejoindre ses partenaires afin de disposer du flux de liens renouvelés régulièrement. Les critères de sélection fonctionnent de la même manière que pour les particuliers, mais au lieu de recevoir les liens par courrier électronique ces derniers sont directement insérés dans une rubrique spécifique à l’intérieur du site partenaire. Ainsi, ces sites, qui peuvent être des pages personnelles, des sites institutionnels, marchands ou même des intranets d’entreprises, disposent tous les jours d’un contenu d’information gratuit, renouvelé régulièrement et spécialisé selon les critères présélectionnés. Il suffit pour cela de remplir un formulaire assez exhaustif dans lequel ils fournissent de l’information concernant leur site ou leur société. Par ailleurs, un service payant de fourniture de contenus est également accessible en « marque blanche », c’est-à-dire sans que le nom du fournisseur apparaisse sur le site client.

« C’est un service qui permet à des sociétés d’intégrer à leurs sites web ou intranets les derniers titres d’information sur un sujet particulier. Un client comme terranova.com, le portail des collectivités locales de France Télécom, dispose des plusieurs thématiques dont la partie actualité est générée par Net2One. Ca c’est le service en marque blanche Content4Web Pro. Par exemple, derrière leur rubrique communication il y a des mots-clés comme « communication+collectivités territoriales », donc la recherche est faite sur des sujets très pointus. Il y a aussi le service gratuit pour webmasters où là le fil reprend les titres de la Une et l’intègre sur le site, avec une présence visuelle de Net2One à l’intérieur. C’est très facile il suffit d’ajouter une ligne de HTML et après ça se met à jour tout seul ». David Berrebi, responsable Marketing et Communication de Net2One, juin 2003

La création et la maintenance d’un service d’information d’une telle envergure, comprenant un site internet, des services commerciaux et juridiques ainsi qu’un outil informatique performant, sont très coûteuses. Etant donné la gratuité du service pour les particuliers comme pour les entreprises, celui-ci doit être financé autrement que par le tour de table initial auprès des investisseurs. Le modèle économique envisagé par les dirigeants de la société à cette époque est le financement indirect en provenance de la publicité et du marketing, après une période initiale déficitaire.

« Pour l’instant, nous allons perdre de l’argent pendant une année au minimum. Mais trois types de revenus sont envisagés pour le site : la publicité, l’affiliation et l’alert shopping, qui permettra aux internautes de recevoir des informations sur les achats qu’ils veulent réaliser. De notre côté, si la vente se réalise, nous toucherons une commission. [La publicité] sera ciblée en fonction des mots-clefs, en fonction de la recherche. Elle se présentera sous la forme de 3 lignes ou d’un bandeau classique. Ainsi, on aura la chance d’envoyer des messages pertinents à des gens qui l’auront demandé. Si les publicités n’étaient pas liées à ce que les internautes recherchent, le service ne tiendrait pas »[3].

 

Collecte abusive d’information sur les utilisateurs

Net2One fait usage de la méthode classique de publicité sur l’internet, à savoir l’insertion des bandeaux promotionnels, à deux niveaux. D’une part, le site net2one.fr, qui centralise les procédures d’inscription et de sélection des sources ainsi que les espaces abonnés, se prête particulièrement à la publicité en raison du nombre important de visites qu’il reçoit. D’autre part, la société peut également insérer des bandeaux publicitaires dans les messages électroniques diffusés quotidiennement aux abonnés de la revue de presse. La particularité de cette deuxième pratique est la possibilité de personnaliser la publicité, ou du moins de l’adapter selon les centres d’intérêts exprimés par l’utilisateur et les mots-clés choisis lors de son inscription. Il s’agit d’un des points mis en avant par les responsables de la société afin d’attirer les annonceurs.

« L’intérêt de la newsletter était d’offrir aux annonceurs la possibilité de toucher des abonnés particuliers. La collecte d’information sur les abonnés est particulièrement efficace. Quand vous créez une boite de messagerie électronique par exemple, vous pouvez mettre ce que vous voulez dans le questionnaire sans que l’on sache si c’est vrai ou pas. La différence avec Net2One est qu’il y a des mots-clés pour la recherche d’information. Donc les internautes choisissent de thèmes qui les intéressent vraiment, ce qui nous permet de les qualifier de façon plus précise ». David Berrebi – Net2One 

En effet, « les offres exceptionnelles et personnalisées » dont il a été question plus haut ne sont pas autre chose que des publicités commerciales ciblées selon les informations fournies par l’abonné. Ainsi la personne ayant déclaré s’intéresser particulièrement à l’informatique se verrait envoyer des offres promotionnelles sur des ordinateurs ou des logiciels, celle particulièrement férue de mode recevrait des offres relatives et ainsi de suite. D’ailleurs la référence à l’utilisation des informations consenties à des fins commerciales est explicite sur une note qui suit le formulaire d’inscription. Selon cette dernière, « les informations que vous nous avez indiquées sur le formulaire sont destinées à Net2One.com. Elles nous aideront à la gestion de votre abonnement et nous permettront de vous proposer de services plus pertinents au regard de vos centres d’intérêts. En vous abonnant à Net2One, vous consentez à ce que Net2One exploite ces données à des fins promotionnelles et commerciales […] nous pouvons être amenés à transmettre ces informations à des tiers (partenaires commerciaux) ».

Dans la même logique de collecte de données concernant les utilisateurs du service, Net2One dispose d’importantes quantités d’information à travers les questionnaires supplémentaires mentionnés plus haut. En effet, à travers les formulaires que les utilisateurs sont invités à remplir lors de l’inscription au service, Net2One effectue des sondages indirects sur l’utilisation que font ses clients de l’internet. En recoupant ces informations avec d’autres éléments recueillis comme le sexe, l’age, la catégorie socio-professionnelle, l’emplacement géographique, le milieu familial et professionnel, la société dispose de puissantes bases de données qui intéressent toute une série d’industriels.

 Même si la société s’engage, en raison de la loi informatique et libertés, à ne pas utiliser d’informations nominatives, elle peut tout de même les commercialiser sous leur forme générique. Comme le dit la note explicative qui précède les questionnaires supplémentaires : « les informations sollicitées sont uniquement destinées à l’amélioration du service Net2One. Fournir ces informations est facultatif. Nous nous engageons à ne pas transmettre à des tiers les données collectées. Nous ne diffuserons en aucun cas des informations vous concernant, excepté sous la forme agrégée de données (par exemple XX% de notre audience se compose de personnes de plus de trente ans) ». Cette collecte des données revêt une importance supplémentaire quand il s’agit de sonder indirectement des entreprises ou des sites internet, qui souhaitent bénéficier du service d’information, à travers le questionnaire dédié aux partenaires décrit plus haut.

 

Hiérarchisation « faussée » de sources et accords commerciaux 

Un autre aspect de l’activité de Net2One qui est porteur de valeur commerciale est le fait que le service en question a la possibilité d’orienter partiellement le flux d’internautes vers des sites choisis, et ainsi générer de l’audience. En effet, les critères de sélection des sources, que la plateforme Net2One prend en compte, ne sont pas spécifiés. Un exemple d’orientation partielle du choix des internautes vers un nombre restreint de sites est la procédure d’inscription. Comme nous l’avons vu précédemment, dès la deuxième page d’inscription, le futur abonné se voit proposer dix-neuf sources d’information parmi lesquelles il est appelé à choisir. Ce n’est qu’une fois inscrit que l’utilisateur peut revenir à son espace abonné et reconfigurer le choix de sources éditoriales parmi les centaines de sites disponibles. A titre indicatif, lors de l’inscription et pour la rubrique La Une, à savoir celle qui inclut les nouvelles politiques, de société et des affaires internationales, la seule source proposée est le site tf1.fr. Sans que l’on sache pourquoi les responsables de Net2One considèrent apparemment le site de TF1 comme la meilleure source concernant l’information de cette nature. Il en va de même pour les autres rubriques comme Business, Finances ou Sport où l’utilisateur a le choix parmi trois sources au maximum. Même si l’internaute averti a la possibilité de revenir dans son espace abonné et corriger ces choix, l’ensemble des utilisateurs doit obligatoirement, du moins au début, passer par un nombre restreint de sites « recommandés » d’une certaine manière par Net2One. D’où le soupçon légitime que ces sites ont établi un accord commercial préalable, afin de figurer sur la liste de ces partenaires « privilégiés ». Ce modèle apparaît proche de celui de l’insertion des réponses payées par les annonceurs dans les résultats de recherche, mis en place par certains moteurs. 

A la fin des années 90, le service Net2One faisait figure d’objet hybride dans le secteur de l’information journalistique et des médias. Nous pouvons supposer qu’il serait impossible de concevoir une telle entreprise et une telle activité en dehors du contexte technique et économique de cette période. Ceci parce que Net2One a profité pour se développer d’un coté des possibilités techniques offertes par l’internet et de l’autre du contexte économique de la fin des années 90 qui a permis le financement du démarrage de son activité par le capital-risque. Son développement a été aussi facilité par le flou juridique qui entourait divers aspects du droit de la propriété intellectuelle, de la collecte des données personnelles, et la difficulté de la mise en œuvre des moyens de contrôle au niveau national des activités d’une portée internationale.

 

Une idée innovante et une application problématique

Le service proposé par Net2One, qui se présente comme une interface entre producteurs et consommateurs des contenus informationnels, est néanmoins une idée innovante. En effet, la société semble au premier abord satisfaire les deux catégories précédemment citées, à savoir les sources éditoriales et les producteurs de contenus informationnels d’un coté et les consommateurs d’information, que ce soit des particuliers ou des professionnels, de l’autre. En ce qui concerne les premiers, Net2One, avec son renvoi systématique au site-source à travers un hyperlien, augmente la visibilité et l’audience du site en question, et par conséquent multiplie les chances de ce dernier de rentabiliser son activité. Comme l’indique Net2One sur son site internet, afin de rassurer les producteurs d’information, « aucun article n’est reproduit intégralement. Net2One tenant au respect des droits d’auteurs des éditeurs, se limite à une activité de référencement et de courte citation des titres en provenance de nombreuses sources éditoriales, auxquelles l’utilisateur de Net2One est systématiquement renvoyé par un lien hypertexte. Les titres et résumés éventuels ne se substituent donc jamais à la lecture de l’article. Au contraire, l’intérêt du service est de permettre aux utilisateurs de consulter la page de l’éditeur qui les intéresse ». Le consentement de la part des éditeurs est d’autant plus indispensable que le bon fonctionnement du service en dépend. En effet, Net2One demande aux éditeurs de mettre en place un module spécifique dédié à son robot de recherche qui comporte toutes les meta-données nécessaires au bon déroulement du processus d’extraction de l’information. Dans le cas contraire, l’extraction des titres et sous-titres des articles est possible mais la qualité et la fiabilité du processus est moindre.

« Le service documentation établit des partenariats avec les éditeurs qui créent de pages spéciales à l’intérieur desquelles ils mettent des informations, et tous les dix minutes le robot va sur ces pages-là automatiquement. Quand il y a un partenariat avec l’éditeur c’est plus facile et plus rapide. L’information se trouve entre les balises. Une balise particulière signale au robot qu’il doit surveiller l’information qui se trouve entre tel et tel caractère particulier du code HTML ». David Berrebi – Net2One

En ce qui concerne les utilisateurs, Net2One met à leur disposition gratuitement un service de recherche, de tri et de catégorisation de l’information, assez efficace, qui est personnalisé à travers l’utilisation de critères multiples comme les mots clés, les unités thématiques ou la sélection des sources. L’activité de veille en question serait impossible à effectuer individuellement par des particuliers en raison de l’énormité du volume d’information à traiter, et difficilement rentable pour une entreprise en raison de son coût élevé. Cependant, Net2One est sous plusieurs aspects une entreprise dont les contours d’activité se révèlent très flous et soulèvent une série de questions.

Premièrement, Net2One entretient la confusion concernant les modes de financement de son activité. Sachant que le service est offert gratuitement et que la publicité est insuffisante pour le financer, il est évident que l’utilisateur doit offrir quelque chose en échange : « le service Net2One est un service gratuit. En contrepartie de cette gratuité l’abonné recevra diverses informations autres que les données d’informations se rapportant aux centres d’intérêts sélectionnés, telles que de la publicité, des offres commerciales ou des invitations à participer à des concours ou sondages, ce que l’abonné déclare accepter sans réserve ». Mais s’il est facile de comprendre que des informations fournies par l’abonné seront utilisées par Net2One à des fins commerciales, il est en revanche très difficile de savoir quelles sont exactement ces informations et à qui elles seront communiquées, si elles le sont. Ainsi, sur son site, Net2One assure : « nous nous engageons à ne pas transmettre à des tiers les données collectées. Nous ne diffuserons en aucun cas des informations vous concernant, excepté sous la forme agrégée de données », mais admet un peu plus loin que « l’abonné est informé que les informations nominatives le concernant sont nécessaires à l’exploitation du service Net2One. Ces informations, destinées à Net2One, pourront être communiqués à des tiers à des fins de prospection commerciale, sauf opposition de sa part ». Ces indications contradictoires sont d’autant plus difficiles à déchiffrer pour l’abonné qu’elles se trouvent dispersées et « noyées » au sein du contenu très riche du site net2one.fr.

 Il en résulte une situation complexe et floue qui ne précise en rien les réelles conditions d’utilisation du service et leurs conséquences pour l’utilisateur. D’autant plus que la collecte de données dans la période entre 1999 et 2003 se faisait par défaut dans une logique de opt-out. Ceci signifie que sans le refus explicite de la part de l’utilisateur, les informations recueillies pourraient être utilisées à des fins commerciales. Or, dans l’article 22 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, les parlementaires ont adopté le principe de opt-in, qui contraint à un consentement préalable de l’internaute à recevoir des messages publicitaires[4]. A cela il faut ajouter que l’exploitation commerciale par Net2One des informations nominatives et personnelles concernant l’abonné, ne s’identifie en rien avec la période chronologique de l’utilisation effective du service par celui-ci. Dans la clause de résiliation de l’abonnement il est spécifié qu’en cas de résiliation, « Net2One conservera néanmoins les informations transmises par l’abonné sur le formulaire, pour le cas où l’abonné souhaiterait bénéficier d’un autre service de Net2One ». En d’autres termes, une fois inscrit l’abonné cède pour une période indéterminée des informations le concernant à la société même s’il ne souhaite plus bénéficier de ses services.

Deuxièmement, Net2One entretient la confusion autour de la nature exacte de son activité. Effectivement, l’activité à laquelle Net2One s’adonne est décrite sur son site comme celle de « référencement et de courte citation » des sources éditoriales d’information. Nous avons examiné précédemment cette argumentation, qui est la même que celle utilisée par Google, et dont nous avons montré qu’elle n’a aucune valeur juridique réelle. Ce qui signifie que le service doit obtenir l’accord explicite des éditeurs de sites d’information afin de pouvoir indexer leur contenu. Par ailleurs, des conditions d’utilisation du service découle une conception « mécaniste » de la recherche et du tri de l’information fondée sur un outil informatique performant. C’est ainsi que, selon ses responsables, même si Net2One « apportera tous ses soins et sa compétence pour la réalisation de la sélection des données d’informations diffusées à l’abonné », le service « ne saurait garantir que cette sélection est exempte d’erreur, ni garantir sa complétude, son actualité, son exhaustivité ou autre, ni de façon générale, ni au regard du contenu de la base des données d’informations ». Autrement dit, la société nie toute responsabilité éditoriale concernant toute information dont elle assure la promotion, en se présentant comme simple intermédiaire. Cependant, et même si Net2One n’est aucunement producteur d’information ni source éditoriale proprement dit, son activité met en contact le public avec un certain nombre des sites d’information dont il est possible que les utilisateurs du service n’aient pas eu connaissance préalablement.

Ainsi, Net2One fonctionne comme interface et intermédiaire entre les internautes et les informations qui se trouvent disponibles sur le web, sans assumer aucune responsabilité éditoriale : « Net2One ne saurait non plus garantir la pertinence des données d’informations figurant dans le résultat de la sélection adressée à l’abonné […] et ne peut être tenue responsable du contenu des données […] En conséquence il appartient à l’abonné, qui le reconnaît, d’utiliser les données d’informations qui lui sont diffusées par Net2One à ses risques et de procéder à toute vérification sous sa responsabilité exclusive ». Pourtant le service se présente comme un moteur spécialisé qui est censé faire le tri entre ce qui appartient au domaine de l’information éditoriale et ce qui en sort, et ainsi faire part d’une revue de presse fiable à l’abonné. Et ceci sans employer aucune personne, si ce n’est des documentalistes sans formation particulière, qui puisse disposer des compétences requises afin d’effectuer un travail de choix, de vérification ou de hiérarchisation de l’information. Il en résulte une sélection de sources discutable constituée selon des critères qui ne le sont pas moins. Ainsi, dans la revue de Net2One nous trouvons de sources comme Guysen Israël, site militant pour la cause israélienne caractérisé comme extrémiste par certaines associations dont le MRAP[5], qui sont présentes parmi des médias confirmés sans distinction aucune.

« Alors, disons que Guysen Israel n’est pas un site pro-israélien, c’est vrai qu’il y a beaucoup d’infos sur Israël mais de la même manière que l’Humanité, qu’il n’affiche pas si clairement ses engagements, publie des articles pro-palestiniens. Nous ce qui nous intéresse c’est qu’il n’y ait pas de propos racistes, mais des sites qui ont des convictions affichées il y en a dans notre base, même s’ils ne sont pas aussi mis en avant que Guysen Israël ». David Berrebi – Net2One

« Pour faire partie de la base, il  faut que ça soit un site qui ne porte pas atteinte à la dignité, qu’il ne soit pas raciste, interdit aux mineurs etc. Il faut que ça soit un site d’information, ce qui est forcement flou, mais on va dire qu’il faut qu’il y ait un contenu informatif régulièrement actualisé, et c’est tout. On ne peut pas vérifier leurs pratiques internes mais on essaye de voir quand même si ce n’est pas trop tendancieux afin de rester dans un éventail d’opinions du centre, sans extrêmes. Quand on a une certaine pratique de sites d’information, on juge assez vite de la qualité et du sérieux de l’éditeur ». Christine Lam, chef documentaliste de Net2One, juin 2003 

Troisièmement, Net2one entretient également la confusion sur un aspect central de son fonctionnement, à savoir la sélection des sources éditoriales, ce qui, comme nous venons de le voir, revêt néanmoins une importance particulière. Car cette sélection définira le contenu des liens envoyés quotidiennement aux abonnés et par conséquent orientera partiellement leurs déplacements sur l’internet. Ces déplacements, et l’audience qu’ils gênèrent, constituent l’un des principaux enjeux sur le marché de l’internet, car ils sont le critère de base définissant les investissements des annonceurs publicitaires.  D’où leur importance stratégique. Si un site d’information quelconque arrive à obtenir de Net2One un « bon emplacement » au sein de sa sélection de sources, et par là une présence accrue au sein des liens hypertexte envoyés par le service aux abonnés, il a automatiquement plus de chances d’être visité par ces derniers et par là d’augmenter son audience. Ayant décrit plus haut les méthodes opaques que Net2One emploie à cet égard, sans que les utilisateurs en aient forcement conscience, nous pouvons craindre qu’il ne s’agisse d’une pratique courante dans cette entreprise. Une pratique d’autant plus facilitée par la nature hybride de l’activité de Net2One qui ne se soumet à aucune réglementation particulière et qui ne juge même pas nécessaire de spécifier ses critères de sélection des sources dans les conditions générales d’abonnement. Ces critères demeurent ainsi opaques et prêtent à toutes les interprétations et le cas échéant à des manipulations, ce qui provoque des discours contradictoires de la part des responsables du service.

« Nous n’avons jamais mis de sources en avant délibérément. C’est-à-dire que souvent les sources d’information qui sont connues sont régulièrement mises à jour et c’est la raison pour laquelle elles apparaissent plus souvent dans les résultats ». David Berrebi – Net2One

« Il y a des éditeurs qui aimeraient être mis plus en avant mais on ne peut pas forcement le faire à chaque fois. C’est un peu au cas par cas, parce qu’on est obligés d’assurer une certaine objectivité. Il y a certains qui préféreraient être mis plus en amont dans l’arborescence. Il y a une négociation et on essaye de faire le maximum. Pendant un temps on proposait de panels par rubrique où il y avait des places privilégiées et les éditeurs étaient demandeurs ». Christine Lam – Net2One

 

La réaction tardive des éditeurs

Les problèmes soulevés précédemment concernant le fonctionnement de Net2One ont progressivement rendu sa viabilité incertaine. Dans un premier temps ce sont les éditeurs qui ont réagi face à la reproduction « sauvage » et sans consentement explicite des titres et sous-titres de leurs articles. Comme dans le cas de Google News, ce sont les médias bien installés sur l’internet qui ont été les premiers à réagir. Il s’agissait de pouvoir imposer des conditions spécifiques d’utilisation du contenu, en accord avec la politique éditoriale de chaque site d’information. C’était la première fois que le Geste notamment a été confronté à une telle problématique, ce qui a contraint ses adhérents à réfléchir sur la question de l’indexation automatique de leur contenu par des services de veille. Une question qu’allait poser par la suite Google avec encore plus d’acuité en raison de son envergure. Le premier point d’achoppement entre les éditeurs et Net2One concernait la possibilité, évoquée plus haut par le fondateur de la société, de reproduire des fragments de texte, en l’occurrence les titres et sous-titres, sans autorisation préalable en se basant uniquement sur le droit de citation.

« On avait fait la même chose avec un produit qui s’appelle Net2One il y a trois ans, c’était sur le même principe : les titres sont protégés par le droit d’auteur, les chapôs, c’est à dire les premières lignes de l’article, également. On ne voit absolument pas pourquoi ils partiraient tout seuls dans la nature, chez de gens qui sous prétexte de faire de la veille se constituent en fait de bases de données assez rapidement. Avec Net2One on leur a interdit de le faire, ils ont arrêté de le faire. Ils considéraient que c’est sur internet donc ça n’appartient à personne, c’était un peu le drame de l’internet, c’est que tout ce qu’on y a mis au départ ça appartenait à tout le monde, c’était vrai dans la communauté de scientifiques, mais on est complètement sortis de ça maintenant. Nous on a des journalistes qui nous demandent de comptes. Sur les droits d’auteur il y a eu de batailles terribles entre les éditeurs et les syndicats de journalistes, ça nous coûte cher, pour le prix des droits d’auteur je pourrais embaucher cinq journalistes supplémentaires…donc si en face je vois de gens qui nous volent le contenu… ». Philippe Jannet – Les Echos

Dans un deuxième temps, les éditeurs se sont opposés à la constitution des bases de données de la part de Net2One avec l’utilisation de leurs propres contenus. Comme nous l’avons évoqué précédemment, dans certains segments spécialisés de l’information en ligne, comme l’informatique ou l’économie, la valeur de l’audience réside davantage en sa qualité qu’en sa quantité. Autrement dit, l’avantage considérable de certains éditeurs consiste dans leur capacité à qualifier de façon très fine leur audience, notamment par l’envoi des newsletters, ce qui peut être valorisé financièrement à travers une démarche ciblée de marketing direct. Or, le fonctionnement précédemment décrit de Net2One dépossédait justement les éditeurs de cet avantage concurrentiel en établissant de bases de données clients qui pourraient se substituer aux leurs. D’où les vives réactions des supports spécialisés tels que ZDNet.

« C’était aberrant aussi avec Net2One, il s’est constitué une petite base de données, il la vendait aux journaux concurrents en expliquant si vous voulez avoir la liste des gens qui ont  tous coché La Tribune comme source d’info je vous la vend tant, c’est un comportement de voyou ». Philippe Jannet – Les Echos

 « Jérémie Berrebi il n’a jamais compris parce que les autres l’ont attaqué sur le terrain des droits d’auteur. Moi ce n’est pas sa technologie et ce qu’il faisait qui me choquait, c’est parce que nous n’avons pas réussi à nous mettre d’accord sur un accord commercial, c’est du business. C’est parce que lui il était encore dans son idée qu’on devrait le payer, alors que moi j’ai dit ton business n’existe pas sans nous, c’est toi qui va me payer. Il s’est fait plombé parce qu’il croyait qu’il allait prendre les articles du Monde et que c’était tellement super que Le Monde allait applaudir et le remercier. Il croyait qu’il allait passer en force, ce qui n’est pas possible surtout avec la législation française. Pour moi le problème ce n’est pas qu’il prenait les contenus mais le fait qu’il créait une base de mes lecteurs. Parce que les gens qui s’abonnaient chez lui pour voir mes contenus, cette base là elle m’échappe. Il y a des gens qui ne comprennent pas où est le problème, pour eux c’est super au final les gens viennent sur le site, mais pour moi ça c’est 10 % de la valeur ! ». Emmanuel Parody – ZDNet.fr

Par la suite ce sont les conditions d’utilisation des informations sur les usagers du service qui ont posé problème au modèle économique envisagé par les responsables de Net2One. Notamment, suite à l’adoption de la loi sur la confiance à l’économie numérique qui a encadré strictement des telles activités. Les responsables de Net2One ont été obligés de stopper cette collecte « sauvage » et d’adopter l’approche de opt-in, qui cependant est beaucoup moins efficace puisqu’elle suppose une volonté explicite de la part des usagers du service de divulguer des informations les concernant. Cette évolution a porté une atteinte significative au modèle économique de la société tel qu’il a été envisagé par son fondateur. Enfin, le modèle de la publicité ciblée imaginé par ce dernier n’a pas procuré les recettes financières escomptées. Ceci en raison de la faiblesse du marché publicitaire sur l’internet qui entre 2001 et 2003 a obligé les annonceurs de rationaliser leurs dépenses. Par ailleurs, le système d’insertion de la publicité à l’intérieur des newsletters afin de cibler des catégories spécifiques d’internautes n’a pas attiré l’adhésion des acteurs du marché.

« La formule n’a jamais explosé comme prévu. Dans leur majorité, c’était quand même des annonceurs qui faisaient de la publicité en bloc sur toute la base des abonnés et ça n’a jamais porté au niveau du ciblage du public. Ce qui intéressait surtout les gens c’était l’information et ce qu’il y avait autour ils s’en foutaient un peu. Ils sautaient la pub pour arriver directement sur les recherches par mot-clé. On arrivait à bien cibler les gens mais le problème c’était d’attirer leur attention sur le message publicitaire ». David Berrebi – Net2One

 

Tentatives de redressement et passage au modèle payant

A         fin de combler ce manque d’efficacité de leur support publicitaire, les responsables de la société ont imaginé un nouveau format publicitaire baptisé « Layout advertising ». Concrètement, il s’agissait à habiller l’intégralité de la newsletter envoyée aux abonnés aux couleurs de l’annonceur, avec l’intégration du logo dans le fond graphique de la lettre. Cette initiative constituait un effort supplémentaire de redresser les comptes de la société qui fonctionnait toujours sur le capital acquis lors du tour de table initial. Ainsi, en 2002 Net2One a réalisé un chiffre d'affaires situé autour de 500 000 euros, ce qui était largement insuffisant pour assurer le bon fonctionnement de l'entreprise dont les pertes s'élevaient à 107 000 euros par mois.

« Avec ce nouveau format, aucun de nos membres ne pourra manquer notre sponsor. Même s’ils ne cliquent pas sur le lien, l’annonceur pourra être certain que sa marque, ses produits seront ancrés dans la mémoire de nos membres. La newsletter étant gratuite, l’annonceur va en quelque sorte « offrir » cette lettre d’information à forte valeur ajoutée ce qui augmentera d’autant le capital sympathie des abonnés vis à vis de l’annonceur »[6].

Par ailleurs, Net2One a tenté de diversifier ses activités dans le domaine des services aux entreprises avec la commercialisation d’un outil de gestion de e-mailing, et dans la distribution de contenus sur terminaux mobiles avec la création d’un kiosque d’information et de divertissement par SMS appelé Mobinews. Or, aucun de ces nouveaux produits n’a rencontré un succès considérable capable d’apporter les recettes financières nécessaires. Ainsi, au début 2003 a été décidé un changement de stratégie complet de la société avec l’abandon du modèle gratuit fondé sur le financement indirect. Parallèlement, un plan social drastique a été mis en place qui a réduit les effectifs de la société de 36 à 5 personnes. Cette restructuration a été facilitée par le fait qu’une grande partie des effectifs était constituée par des documentalistes chargés d’alimenter la base de données du moteur de Net2One avec des sources nouvelles. Après trois ans de fonctionnement cette base de données était quasiment complète, du moins en ce qui concerne les sources généralistes. De même, l’outil informatique a été également relativement perfectionné dans cette période par les développeurs de la société. Par conséquent, il n’y avait plus la nécessité d’un nombre élevé des documentalistes et d’informaticiens au sein de Net2One, puisque les tâches à effectuer se limitaient à l’entretien du service et la mise à jour ponctuelle de la base de données. D’où la facilité avec laquelle sont survenus de si nombreux licenciements, la société continuant son fonctionnement et même mettant en place un nouveau modèle économique.

« Jusqu’à récemment on était plusieurs documentalistes et moi j’étais responsable de l’ensemble mais avec les licenciements je suis restée seule. Notre travail quand on était nombreux c’était de créer la base de données qu’on a essayé de développer au maximum et en plusieurs langues. Donc on surfait beaucoup, on repérait les sites intéressants, on les référençait et on prévenait les éditeurs. Aujourd’hui je dois dire qu’étant toute seule je n’ai pas le temps d’enrichir trop la base. Il est vrai que le gros du travail a été fait, mais je pense quand même qu’il serait mieux si on était plus nombreux ». Christine Lam – Net2One

La nouvelle stratégie de Net2One inaugurée en mai 2004 a consisté à se tourner résolument vers le marché des services aux entreprises, abandonnant quasiment ses activités grand public. Ainsi, la nouvelle version du service de veille était payante et visait un public de professionnels. Le principe de son fonctionnement était le même qu’auparavant avec l’ajout des certaines fonctionnalités supplémentaires adaptées à la veille concurrentielle. Un an après l’annonce de ce revirement, et sous la pression concurrentielle de Google News, Net2One a été racheté par Presse+, société active dans le secteur de la veille d’information et acteur tout à fait classique de « l’ancienne économie ». Les actifs qui ont intéressé Presse+ ont été essentiellement le moteur de recherche et la base de données de Net2One, qui lui ont facilité l’accès au secteur de l’information en ligne.

« Aujourd'hui, quelle que soit la finalité des prestations de veille le média internet est devenu incontournable. Intégrer des technologies de recherche, de sélection, de classement et de mise en forme permet à Presse+ d’assurer à ses clients des prestations plus larges en terme de couverture, toujours en temps réel, rapides et à forte valeur ajoutée. Après avoir beaucoup investi dans le traitement de la presse française et étrangère ainsi que dans la veille des radios et des télévisions, il était essentiel que nous soyons au meilleur niveau en terme de veille internet »[7].

En 2005, le fondateur de Net2One Jérémie Berrebi a intégré l’équipe de Presse+ en tant que consultant. Le service de veille de Net2One sur abonnement payant continue de fonctionner de manière complètement automatisée. La trajectoire de cette société pionnière dans son domaine et emblématique de la « nouvelle économie » a prouvé la pertinence du modèle d’infomédiation dans le secteur de l’actualité. Le très grand nombre d’utilisateurs de son service de veille gratuit l’a démontré. Ceci en raison du nombre croissant des sources disponibles sur l’internet qui alimentent une demande de la part des internautes pour des intermédiaires capables de trier et hiérarchiser l’information de manière fiable. En revanche, le cas de Net2One a également illustré la difficulté qui caractérise les tentatives de valorisation commerciale du concept qui pose une série de problèmes juridiques mais également relatifs au processus de repositionnement des acteurs du secteur. En effet, un tel service, qui constitue un cas emblématique de bien-système tel que nous l’avons défini précédemment, fait intervenir plusieurs expertises. D’une part il implique une maîtrise du processus de couverture de l’actualité et de production de contenus relatifs ainsi qu’un minimum de capital journalistique, ce qui est assuré par les médias. D’autre part, il suppose également une compétence dans le secteur de l’informatique et de l’internet qui permet de gérer des outils de distribution particulièrement complexes. La difficulté réside dans l’incapacité des acteurs à établir un partage clair et profitable aux deux cotés, du moins partiellement, des ressources financières qui découlent du marché de l’information en ligne. Cette impossibilité est due à la dépendance du secteur d’un financement indirect largement insuffisant. Mais elle provient également des particularités du secteur des industries culturelles qui sont difficilement maîtrisables par des acteurs extérieurs non dotés d’une solide expérience de la communication et des médias. C’est la raison pour laquelle des acteurs aussi puissants que Google ou MSN rencontrent les mêmes difficultés à rentabiliser une activité qui est pourtant l’objet d’une demande significative de la part des usagers de l’internet.  



[1] Interview accordée par Jérémie Berrebi à Romain de Monza, Journal du Net, 9 juillet 1999. Accessible à l’adresse : http://www.journaldunet.com/itws/it_berrebi.shtml

[2] Les citations qui ne comportent pas d’autre mention proviennent du site http://www.net2one.fr, consulté dans le courant de l’année 2002.

[3] Interview accordée par Jérémie Berrebi, op.cité.

[4] Source : http://www.internet.gouv.fr/rubrique.php3?id_rubrique=336

[5] Voire : « Le MRAP dénonce la naissance sur Internet d’une nouvelle extrême droite arabophobe », Sylvia Zappi, Le Monde, 18 Juillet 2003 et « Procès d'un site pro-israélien qui appelait à tabasser des juifs », Florence Aubenas, Libération, 1 octobre 2003.

[6] Interview de Jérémie Berrebi accordée à Pascale Ulmo, Netéconomie.com, 7 février 2002, accessible à l’adresse : http://www.neteconomie.com/perl/navig.pl/neteconomie/infos/article/20020207162628

[7] Interview de Thierry Delahaye, PDG de Presse+, accordée à Jerôme Bouteiller, Netéconomie.com, 11 juin 2004, accessible à l’adresse : http://www.neteconomie.com/perl/navig.pl/neteconomie/infos/article/20040611141531

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