7.4
Net2One, la trajectoire et la fin d’un concept original
L’idée d’une revue de presse
personnalisée et automatique comme celle effectuée par Google News ou MSN
Newsbot n’est pas nouvelle. En effet, à la fin des années 90 plusieurs sociétés
ont tenté de mettre en place un tel service. Il s’agissait alors de fonctionner
sur un modèle push
dans lequel
l’information est envoyée de manière active
à l’usager par le biais de son
courrier électronique. La seule firme qui a survécu de
cette période
d’émergence de la « nouvelle
économie » est Moreover, dont il a été
question précédemment. Cependant, en 1997 a
été créée en France une
société
appelée Central Cast, et ensuite Net2One, qui a tenté
d’exploiter un concept
original de revue de presse électronique sans succès.
L’historique de sa
trajectoire, que nous allons tenter de reconstituer ici, est
emblématique de
cette période de structuration du marché de
l’information en ligne, et ceci à
plusieurs égards. Premièrement, la société
a été une start-up à la croissance
très rapide, fondée sur un financement en provenance du
capital-risque. Elle
n’a pas réussi à trouver un modèle
économique rentable, ce qui a causé
restructuration et licenciements et finalement le rachat de ses actifs
par une
autre société. Deuxièmement, le fonctionnement de
Net2One a été conçu dans une
période dans laquelle les acteurs du secteur, comme les
éditeurs, n’avaient pas
de politique claire quant à la valorisation de leur contenu sur
l’internet, ce
qui a permis son exploitation par la start-up en question sans entraves
dans un
premier temps. Par la suite, et au fur et à mesure que le
marché de
l’information en ligne se formait, Net2One a dû essuyer les
mêmes critiques que
Google News et elle est finalement entrée dans un processus de
négociation avec
les principaux éditeurs. Enfin, le fonctionnement de Net2One
démontre également
certains abus dans cette recherche de rentabilité, notamment en
ce qui concerne
l’exploitation de données collectées sur les
usagers.
Origines
et création
Jérémie Berrebi a créé Net2One, sous
le nom de Central Cast, en 1997 à l’age de dix-huit ans. Etant l’un des
pionniers de l’internet en France dès son adolescence, le jeune entrepreneur a
travaillé dans un premier temps comme documentaliste pour l’un de premiers
fournisseurs d’accès à l’internet Compuserve. Il s’agissait d’effectuer un
travail de recherche sur l’internet manuellement. En 1999, le fondateur de
Net2One a décidé de mettre en place un service de revue de presse automatisée
dont le fonctionnement était assuré par un moteur de recherche spécialisé dans
l’information d’actualité. Le concept qu’exploitent en 2005 des acteurs tels
que Google ou MSN était inventé. Il s’agissait d’utiliser les contenus tiers,
comme les articles des sites d’information, et en échange de rediriger du
trafic vers les sources.
« Net2one
comprend un moteur de recherche sur l’actualité et un système d’alerte
multi-supports. Ce système permettra de recevoir des informations en temps réel
sur des sujets que l’internaute aura préalablement déterminé. Le moteur, qui a
été complément développé en interne depuis un an et demi, se balade sur
Internet et extrait non pas des pages web mais des éléments de pages web. Nous
avons donc un moteur de recherche qui est uniquement orienté sur l’actualité.
Aucun partenariat n’a été nécessaire pour utiliser les sources. En pratique,
nous utilisons le droit de citation qui nous permet de citer les articles comme
une revue de presse. Les utilisateurs recevront une liste de liens. En cliquant
sur les liens, ils arriveront directement sur le site d’où provient
l’information. L’alerte a uniquement pour fonction de prévenir l’utilisateur,
qui est redirigé vers l’éditeur d’origine »[1].
Afin de pouvoir développer son projet,
la société a reçu entre 1999 et 2000 des financements de plus de 7,6M d’euros
par des fonds de capital-risque tels que Galiléo Partners et Apollo Invest.
Ainsi, en 2000 le capital de la société se répartissait de la manière
suivante : Jérémie Berrebi disposait de 37,2% du capital, le co-fondateur
Jean Guetta 15,4%, Apollo Invest 5,9%, Galileo 12,7%, Dassault 11,5% et LGT 6%.
Ce capital initial a servi à la croissance très rapide de la société qui est
passée d’un effectif composé de quelques personnes en 1999 à 36 employés en 2002.
Le travail réalisé dans cette période a consisté d’abord à développer en
interne la technologie de recherche sur l’actualité et par la suite à
constituer une très large base de données de sources. Il s’agissait d’adopter
une démarche d’exhaustivité afin de pouvoir répondre à des demandes
d’information généralistes comme spécialisées. Le modèle économique de la
société s’est fondé sur un financement indirect en provenance de la publicité
ciblée et du marketing. C’est la raison pour laquelle l’accès au service était
gratuit pour les internautes. Comme nous le verrons plus loin, à partir de
2003, et suite à une restructuration en profondeur assortie d’une diminution
drastique des effectifs, Net2One est passé sur un modèle payant et s’est
orienté davantage vers un marché des professionnels, avant d’être racheté par
Presse+ en juin 2004. La description du fonctionnement de la société qui suit
est le résultat d’une observation effectuée en 2002 et ne concerne que la
période 1999-2003.
Fonctionnement
et sources de financement
La cible du service mis à disposition par
Net2one est constituée à cette époque d’internautes individuels et
d’entreprises et professionnels. En tout, selon ses responsables, Net2One
dispose en 2002 de 480 000 inscrits à son service de revue de presse
personnalisée en ligne, dont 170 000 abonnés qui reçoivent une lettre de
diffusion au quotidien. Le service extrait de façon systématique, à l’aide d’un
logiciel spécifique développé en interne, des informations en provenance de 2
600 sources éditoriales, représentant 500 éditeurs. Ce robot de recherche
parcourt en permanence les sites d’information et extrait automatiquement les
titres et les sous-titres des articles. Par la suite le service centralise
toutes ces informations et les recoupe avec les critères de sélection retenus
par les clients lors de leur inscription. Ces derniers reçoivent tous les
matins une revue de presse composée de liens hypertexte comprenant le titre et
sous-titre de l’article ainsi que sa provenance. L’abonné a ainsi un rapide
aperçu dans sa boite de courrier électronique de l’ensemble de nouvelles du
jour. Ensuite et après avoir cliqué sur l’un de ces liens une nouvelle fenêtre
s’ouvre sur son écran d’ordinateur qui renvoie vers le site d’origine où se
trouve le corps du texte. L’utilisateur peut également consulter la sélection
d’articles sur le site de Net2One à l’intérieur de son espace abonné, auquel il
accède avec un nom d’utilisateur et un mot de passe. La personnalisation du
service est effectuée au moyen de critères prédéterminés par l’utilisateur. Ces
critères s’articulent sur plusieurs niveaux.
Le premier niveau de sélection
s’effectue dès la première page du site net2one.fr
où le futur abonné est invité à choisir ses préférences parmi un certain nombre
de catégories d’information prédéterminées. Ces catégories sont les suivantes :
Bourse et finances, Internet et high-tec, Actu générale, Stars et people, Science et
santé, Arts et culture, Jeux vidéo, Ma ville-ma région et Sports.
Le deuxième niveau de sélection s’effectue dès la deuxième étape d’inscription.
Il s’agit du choix des mots clés que l’abonné est invité à entrer dans trois
champs prévus à cet effet. Le service se charge de renvoyer dans la newsletter
personnalisée des liens vers tous les articles qui comprennent les mots-clés
sélectionnés. Le troisième niveau de sélection s’effectue dans la troisième
page d’inscription où sont présentées dix-neuf sources présélectionnées par
Net2One et organisées en huit catégories. Les sources parmi lesquelles l’utilisateur
est invité à choisir sont les suivantes : tf1.fr,
18h.com, cerclefinance.fr,
latribune.fr, actustar.com, Chronic’art, musicActu.com, jeuxvidéo.com, La Lettre de l’Internet, Journal du Net, Pour la science, Fenêtre sur
l’Europe, Maire-Info, premierministre.fr, Football365, sport24.com, Allociné, télepoche.fr. Il faut souligner qu’il ne s’agit là aucunement
d’une liste exhaustive des sources exploitées par Net2One, car celle-ci est
beaucoup plus étendue. Il s’agit plutôt d’une sélection de sources faite par
les documentalistes de Net2One et fondée sur des critères qui ne sont pas
connus. Ce qui pourrait signifier l’existence d’accords de partenariat ou de
promotion entre les sites-sources et Net2One. Enfin, le quatrième niveau de
sélection, qui est également le plus avancé, est effectué après l’inscription
initiale. En effet, une fois que l’utilisateur a été inscrit au service il a
accès à un espace abonné personnalisé au sein du site de Net2One. Il a alors la
possibilité de choisir directement ses préférences en utilisant soit
l’arborescence, soit l’annuaire de sources. L’utilisateur peut également
choisir à la fois le pays d’origine et la langue des sources qui l’intéressent
puisque Net2One présente des versions en français, en anglais et en suédois.
Le service dispensé par Net2One est
gratuit pour l’utilisateur final et ce dernier doit répondre à une série de
questions afin d’en bénéficier. Les informations demandées aux internautes sont
de deux ordres. Premièrement, celles qui sont indispensables à l’inscription
auprès du service d’information, comme le sexe, le nom, le prénom, la date de
naissance, le pays dans lequel la personne est installée, son statut
professionnel, l’activité de son employeur, sa propre fonction au sein de
l’entreprise et son adresse e-mail. Comme l’indique la notice d’information, il
s’agit de champs obligatoires, à savoir des données indispensables à
l’inscription. Une fois que l’utilisateur a rempli ces champs, il lui est
possible de commencer la procédure de sélection des sources précédemment
décrite. Cependant, s’il le souhaite, il peut continuer son inscription dans la
deuxième partie du formulaire qui, n’étant pas obligatoire, peut néanmoins,
selon Net2one, l’aider à profiter « d’offres personnalisées », sans
autres précisions : « Afin de profiter d’offres exceptionnelles et
personnalisées en fonction de vos envies et de vos besoins sélectionnez vite
les centres d’intérêts qui vous passionnent et validez en bas de page. Vous
recevrez directement et gratuitement par e-mail les offres qui vous
correspondent »[2]. Après
avoir précisé ses centres d’intérêts, dont la typologie ressemble à une liste
de secteurs commerciaux, l’utilisateur a la possibilité de poursuivre encore
son inscription. Sous une rubrique baptisée « Ensemble, faisons connaissance »,
il est invité à fournir des informations sur sa vie privée et ses pratiques
sociales. Le questionnaire comprend des questions qui vont du nombre de
personnes vivant au foyer de l’abonné et la nature de son logement à ses
habitudes d’utilisation de l’internet. Le processus d’inscription dans son
ensemble est pensé et construit de manière à extraire le maximum d’information
des utilisateurs en appliquant des méthodes qui, comme nous le verrons par la
suite, sont à la limite de la légalité.
En dehors du service d’information
personnalisé et envoyé par e-mail, qui est essentiellement destiné aux
particuliers, Net2One vise également le marché des professionnels et des
webmasters. En effet, dans la rubrique Partenariat
la société invite les responsables des sites internet à rejoindre ses
partenaires afin de disposer du flux de liens renouvelés régulièrement. Les
critères de sélection fonctionnent de la même manière que pour les
particuliers, mais au lieu de recevoir les liens par courrier électronique ces
derniers sont directement insérés dans une rubrique spécifique à l’intérieur du
site partenaire. Ainsi, ces sites, qui peuvent être des pages personnelles, des
sites institutionnels, marchands ou même des intranets d’entreprises, disposent
tous les jours d’un contenu d’information gratuit, renouvelé régulièrement et
spécialisé selon les critères présélectionnés. Il suffit pour cela de remplir
un formulaire assez exhaustif dans lequel ils fournissent de l’information
concernant leur site ou leur société. Par ailleurs, un service payant de
fourniture de contenus est également accessible en « marque
blanche », c’est-à-dire sans que le nom du fournisseur apparaisse sur le
site client.
« C’est
un service qui permet à des sociétés d’intégrer à leurs sites web ou intranets
les derniers titres d’information sur un sujet particulier. Un client comme
terranova.com, le portail des collectivités locales de France Télécom, dispose
des plusieurs thématiques dont la partie actualité est générée par Net2One. Ca
c’est le service en marque blanche Content4Web Pro. Par exemple, derrière leur
rubrique communication il y a des mots-clés comme
« communication+collectivités territoriales », donc la recherche est
faite sur des sujets très pointus. Il y a aussi le service gratuit pour
webmasters où là le fil reprend les titres de la Une et l’intègre sur le site,
avec une présence visuelle de Net2One à l’intérieur. C’est très facile il
suffit d’ajouter une ligne de HTML et après ça se met à jour tout seul ». David Berrebi, responsable Marketing et
Communication de Net2One, juin 2003
La création et la maintenance d’un
service d’information d’une telle envergure, comprenant un site internet, des
services commerciaux et juridiques ainsi qu’un outil informatique performant,
sont très coûteuses. Etant donné la gratuité du service pour les particuliers
comme pour les entreprises, celui-ci doit être financé autrement que par le
tour de table initial auprès des investisseurs. Le modèle économique envisagé
par les dirigeants de la société à cette époque est le financement indirect en
provenance de la publicité et du marketing, après une période initiale
déficitaire.
« Pour
l’instant, nous allons perdre de l’argent pendant une année au minimum. Mais
trois types de revenus sont envisagés pour le site : la publicité,
l’affiliation et l’alert shopping, qui permettra aux internautes de recevoir
des informations sur les achats qu’ils veulent réaliser. De notre côté, si la
vente se réalise, nous toucherons une commission. [La publicité] sera ciblée en
fonction des mots-clefs, en fonction de la recherche. Elle se présentera sous
la forme de 3 lignes ou d’un bandeau classique. Ainsi, on aura la chance
d’envoyer des messages pertinents à des gens qui l’auront demandé. Si les
publicités n’étaient pas liées à ce que les internautes recherchent, le service
ne tiendrait pas »[3].
Collecte
abusive d’information sur les utilisateurs
Net2One fait usage de la méthode
classique de publicité sur l’internet, à savoir l’insertion des bandeaux
promotionnels, à deux niveaux. D’une part, le site net2one.fr, qui centralise les procédures d’inscription et de
sélection des sources ainsi que les espaces abonnés, se prête particulièrement
à la publicité en raison du nombre important de visites qu’il reçoit. D’autre
part, la société peut également insérer des bandeaux publicitaires dans les
messages électroniques diffusés quotidiennement aux abonnés de la revue de
presse. La particularité de cette deuxième pratique est la possibilité de
personnaliser la publicité, ou du moins de l’adapter selon les centres
d’intérêts exprimés par l’utilisateur et les mots-clés choisis lors de son
inscription. Il s’agit d’un des points mis en avant par les responsables de la
société afin d’attirer les annonceurs.
« L’intérêt
de la newsletter était d’offrir aux annonceurs la possibilité de toucher des
abonnés particuliers. La collecte d’information sur les abonnés est
particulièrement efficace. Quand vous créez une boite de messagerie
électronique par exemple, vous pouvez mettre ce que vous voulez dans le
questionnaire sans que l’on sache si c’est vrai ou pas. La différence avec
Net2One est qu’il y a des mots-clés pour la recherche d’information. Donc les
internautes choisissent de thèmes qui les intéressent vraiment, ce qui nous
permet de les qualifier de façon plus précise ». David Berrebi – Net2One
En effet, « les offres exceptionnelles
et personnalisées » dont il a été question plus haut ne sont pas autre chose
que des publicités commerciales ciblées selon les informations fournies par
l’abonné. Ainsi la personne ayant déclaré s’intéresser particulièrement à
l’informatique se verrait envoyer des offres promotionnelles sur des
ordinateurs ou des logiciels, celle particulièrement férue de mode recevrait
des offres relatives et ainsi de suite. D’ailleurs la référence à l’utilisation
des informations consenties à des fins commerciales est explicite sur une note
qui suit le formulaire d’inscription. Selon cette dernière, « les informations
que vous nous avez indiquées sur le formulaire sont destinées à Net2One.com.
Elles nous aideront à la gestion de votre abonnement et nous permettront de
vous proposer de services plus pertinents au regard de vos centres d’intérêts.
En vous abonnant à Net2One, vous consentez à ce que Net2One exploite ces
données à des fins promotionnelles et commerciales […] nous pouvons être amenés
à transmettre ces informations à des tiers (partenaires commerciaux) ».
Dans la même logique de collecte de
données concernant les utilisateurs du service, Net2One dispose d’importantes quantités
d’information à travers les questionnaires supplémentaires mentionnés plus
haut. En effet, à travers les formulaires que les utilisateurs sont invités à
remplir lors de l’inscription au service, Net2One effectue des sondages
indirects sur l’utilisation que font ses clients de l’internet. En recoupant
ces informations avec d’autres éléments recueillis comme le sexe, l’age, la
catégorie socio-professionnelle, l’emplacement géographique, le milieu familial
et professionnel, la société dispose de puissantes bases de données qui
intéressent toute une série d’industriels.
Même si la société s’engage, en raison de la
loi informatique et libertés, à ne pas utiliser d’informations nominatives,
elle peut tout de même les commercialiser sous leur forme générique. Comme le
dit la note explicative qui précède les questionnaires supplémentaires : « les
informations sollicitées sont uniquement destinées à l’amélioration du service
Net2One. Fournir ces informations est facultatif. Nous nous engageons à ne pas
transmettre à des tiers les données collectées. Nous ne diffuserons en aucun
cas des informations vous concernant, excepté sous la forme agrégée de données
(par exemple XX% de notre audience se compose de personnes de plus de trente
ans) ». Cette collecte des données revêt une importance supplémentaire quand il
s’agit de sonder indirectement des entreprises ou des sites internet, qui
souhaitent bénéficier du service d’information, à travers le questionnaire
dédié aux partenaires décrit plus haut.
Hiérarchisation
« faussée » de sources et accords commerciaux
Un autre aspect de l’activité de
Net2One qui est porteur de valeur commerciale est le fait que le service en
question a la possibilité d’orienter partiellement le flux d’internautes vers
des sites choisis, et ainsi générer de l’audience. En effet, les critères de
sélection des sources, que la plateforme Net2One prend en compte, ne sont pas
spécifiés. Un exemple d’orientation partielle du choix des internautes vers un
nombre restreint de sites est la procédure d’inscription. Comme nous l’avons vu
précédemment, dès la deuxième page d’inscription, le futur abonné se voit
proposer dix-neuf sources d’information parmi lesquelles il est appelé à
choisir. Ce n’est qu’une fois inscrit que l’utilisateur peut revenir à son
espace abonné et reconfigurer le choix de sources éditoriales parmi les
centaines de sites disponibles. A titre indicatif, lors de l’inscription et
pour la rubrique La Une, à savoir
celle qui inclut les nouvelles politiques, de société et des affaires
internationales, la seule source proposée est le site tf1.fr. Sans que l’on sache pourquoi les responsables de Net2One
considèrent apparemment le site de TF1
comme la meilleure source concernant l’information de cette nature. Il en va de
même pour les autres rubriques comme Business,
Finances ou Sport où
l’utilisateur a le choix parmi trois sources au maximum.
Même si l’internaute averti a la possibilité de
revenir dans son espace abonné
et corriger ces choix, l’ensemble des utilisateurs doit
obligatoirement, du
moins au début, passer par un nombre restreint de sites «
recommandés » d’une
certaine manière par Net2One. D’où le
soupçon légitime que ces sites ont établi
un accord commercial préalable, afin de figurer sur la liste de
ces partenaires
« privilégiés ». Ce modèle
apparaît proche de celui de l’insertion des réponses
payées par les annonceurs dans les résultats de
recherche, mis en place par
certains moteurs.
A la fin des années 90, le service
Net2One faisait figure d’objet hybride dans le secteur de l’information
journalistique et des médias. Nous pouvons supposer qu’il serait impossible de
concevoir une telle entreprise et une telle activité en dehors du contexte
technique et économique de cette période. Ceci parce que Net2One a profité pour
se développer d’un coté des possibilités techniques offertes par l’internet et
de l’autre du contexte économique de la fin des années 90 qui a permis le
financement du démarrage de son activité par le capital-risque. Son
développement a été aussi facilité par le flou juridique qui entourait divers
aspects du droit de la propriété intellectuelle, de la collecte des données
personnelles, et la difficulté de la mise en œuvre des moyens de contrôle au
niveau national des activités d’une portée internationale.
Une
idée innovante et une application problématique
Le service proposé par Net2One, qui se
présente comme une interface entre producteurs et consommateurs des contenus
informationnels, est néanmoins une idée innovante. En effet, la société semble
au premier abord satisfaire les deux catégories précédemment citées, à savoir
les sources éditoriales et les producteurs de contenus informationnels d’un
coté et les consommateurs d’information, que ce soit des particuliers ou des
professionnels, de l’autre. En ce qui concerne les premiers, Net2One, avec son
renvoi systématique au site-source à travers un hyperlien, augmente la
visibilité et l’audience du site en question, et par conséquent multiplie les
chances de ce dernier de rentabiliser son activité. Comme l’indique Net2One sur
son site internet, afin de rassurer les producteurs d’information, « aucun
article n’est reproduit intégralement. Net2One tenant au respect des droits
d’auteurs des éditeurs, se limite à une activité de référencement et de courte
citation des titres en provenance de nombreuses sources éditoriales, auxquelles
l’utilisateur de Net2One est systématiquement renvoyé par un lien hypertexte.
Les titres et résumés éventuels ne se substituent donc jamais à la lecture de
l’article. Au contraire, l’intérêt du service est de permettre aux utilisateurs
de consulter la page de l’éditeur qui les intéresse ». Le consentement de la
part des éditeurs est d’autant plus indispensable que le bon fonctionnement du
service en dépend. En effet, Net2One demande aux éditeurs de mettre en place un
module spécifique dédié à son robot de recherche qui comporte toutes les
meta-données nécessaires au bon déroulement du processus d’extraction de
l’information. Dans le cas contraire, l’extraction des titres et sous-titres
des articles est possible mais la qualité et la fiabilité du processus est
moindre.
« Le
service documentation établit des partenariats avec les éditeurs qui créent de
pages spéciales à l’intérieur desquelles ils mettent des informations, et tous
les dix minutes le robot va sur ces pages-là automatiquement. Quand il y a un
partenariat avec l’éditeur c’est plus facile et plus rapide. L’information se
trouve entre les balises. Une balise particulière signale au robot qu’il doit
surveiller l’information qui se trouve entre tel et tel caractère particulier
du code HTML ». David Berrebi – Net2One
En ce qui concerne les utilisateurs,
Net2One met à leur disposition gratuitement un service de recherche, de tri et
de catégorisation de l’information, assez efficace, qui est personnalisé à
travers l’utilisation de critères multiples comme les mots clés, les unités
thématiques ou la sélection des sources. L’activité de veille en question
serait impossible à effectuer individuellement par des particuliers en raison
de l’énormité du volume d’information à traiter, et difficilement rentable pour
une entreprise en raison de son coût élevé. Cependant, Net2One est sous
plusieurs aspects une entreprise dont les contours d’activité se révèlent très
flous et soulèvent une série de questions.
Premièrement, Net2One entretient la
confusion concernant les modes de financement de son activité. Sachant que le
service est offert gratuitement et que la publicité est insuffisante pour le
financer, il est évident que l’utilisateur doit offrir quelque chose en échange
: « le service Net2One est un service gratuit. En contrepartie de cette
gratuité l’abonné recevra diverses informations autres que les données
d’informations se rapportant aux centres d’intérêts sélectionnés, telles que de
la publicité, des offres commerciales ou des invitations à participer à des
concours ou sondages, ce que l’abonné déclare accepter sans réserve ». Mais
s’il est facile de comprendre que des informations fournies par l’abonné seront
utilisées par Net2One à des fins commerciales, il est en revanche très
difficile de savoir quelles sont exactement ces informations et à qui elles
seront communiquées, si elles le sont. Ainsi, sur son site, Net2One
assure : « nous nous engageons à ne pas transmettre à des tiers les données
collectées. Nous ne diffuserons en aucun cas des informations vous concernant,
excepté sous la forme agrégée de données », mais admet un peu plus loin que
« l’abonné est informé que les informations nominatives le concernant sont
nécessaires à l’exploitation du service Net2One. Ces informations, destinées à
Net2One, pourront être communiqués à des tiers à des fins de prospection
commerciale, sauf opposition de sa part ». Ces indications contradictoires
sont d’autant plus difficiles à déchiffrer pour l’abonné qu’elles se trouvent
dispersées et « noyées » au sein du contenu très riche du site net2one.fr.
Il en résulte une situation complexe et floue
qui ne précise en rien les réelles conditions d’utilisation du service et leurs
conséquences pour l’utilisateur. D’autant plus que la collecte de données dans
la période entre 1999 et 2003 se faisait par défaut dans une logique de opt-out. Ceci signifie que sans le refus
explicite de la part de l’utilisateur, les informations recueillies pourraient
être utilisées à des fins commerciales. Or, dans l’article 22 de la loi n°
2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, les
parlementaires ont adopté le principe de opt-in,
qui contraint à un consentement préalable de l’internaute à recevoir des messages
publicitaires[4]. A cela
il faut ajouter que l’exploitation commerciale par Net2One des informations
nominatives et personnelles concernant l’abonné, ne s’identifie en rien avec la
période chronologique de l’utilisation effective du service par celui-ci. Dans
la clause de résiliation de l’abonnement il est spécifié qu’en cas de
résiliation, « Net2One conservera néanmoins les informations transmises par
l’abonné sur le formulaire, pour le cas où l’abonné souhaiterait bénéficier
d’un autre service de Net2One ». En d’autres termes, une fois inscrit l’abonné
cède pour une période indéterminée des informations le concernant à la société
même s’il ne souhaite plus bénéficier de ses services.
Deuxièmement,
Net2One entretient la
confusion autour de la nature exacte de son activité.
Effectivement, l’activité
à laquelle Net2One s’adonne est décrite sur son
site comme celle de «
référencement et de courte citation » des sources
éditoriales d’information.
Nous avons examiné précédemment cette
argumentation, qui est la même que celle
utilisée par Google, et dont nous avons montré
qu’elle n’a aucune valeur
juridique réelle. Ce qui signifie que le service doit obtenir
l’accord
explicite des éditeurs de sites d’information afin de
pouvoir indexer leur
contenu. Par ailleurs, des conditions d’utilisation du service
découle une
conception « mécaniste » de la recherche et du tri
de l’information fondée sur
un outil informatique performant. C’est ainsi que, selon ses
responsables, même
si Net2One « apportera tous ses soins et sa compétence
pour la réalisation de
la sélection des données d’informations
diffusées à l’abonné », le service
« ne
saurait garantir que cette sélection est exempte d’erreur,
ni garantir sa
complétude, son actualité, son exhaustivité ou
autre, ni de façon générale, ni
au regard du contenu de la base des données
d’informations ». Autrement
dit, la société nie toute responsabilité
éditoriale concernant toute
information dont elle assure la promotion, en se présentant
comme simple
intermédiaire. Cependant, et même si Net2One n’est
aucunement producteur
d’information ni source éditoriale proprement dit, son
activité met en contact
le public avec un certain nombre des sites d’information dont il
est possible
que les utilisateurs du service n’aient pas eu connaissance
préalablement.
Ainsi, Net2One fonctionne comme
interface et intermédiaire entre les internautes et les informations qui se
trouvent disponibles sur le web, sans assumer aucune responsabilité éditoriale
: « Net2One ne saurait non plus garantir la pertinence des données
d’informations figurant dans le résultat de la sélection adressée à l’abonné
[…] et ne peut être tenue responsable du contenu des données […] En conséquence
il appartient à l’abonné, qui le reconnaît, d’utiliser les données d’informations
qui lui sont diffusées par Net2One à ses risques et de procéder à toute
vérification sous sa responsabilité exclusive ». Pourtant le service se
présente comme un moteur spécialisé qui est censé faire le tri entre ce qui
appartient au domaine de l’information éditoriale et ce qui en sort, et ainsi
faire part d’une revue de presse fiable à l’abonné. Et ceci sans employer
aucune personne, si ce n’est des documentalistes sans formation particulière,
qui puisse disposer des compétences requises afin d’effectuer un travail de
choix, de vérification ou de hiérarchisation de l’information. Il en résulte
une sélection de sources discutable constituée selon des critères qui ne le
sont pas moins. Ainsi, dans la revue de Net2One nous trouvons de sources comme
Guysen Israël, site militant pour la cause israélienne caractérisé comme
extrémiste par certaines associations dont le MRAP[5], qui sont présentes parmi
des médias confirmés sans distinction aucune.
« Alors,
disons que Guysen Israel n’est pas un site pro-israélien, c’est vrai qu’il y a
beaucoup d’infos sur Israël mais de la même manière que l’Humanité, qu’il
n’affiche pas si clairement ses engagements, publie des articles
pro-palestiniens. Nous ce qui nous intéresse c’est qu’il n’y ait pas de propos
racistes, mais des sites qui ont des convictions affichées il y en a dans notre
base, même s’ils ne sont pas aussi mis en avant que Guysen Israël ». David Berrebi – Net2One
« Pour
faire partie de la base, il faut que ça
soit un site qui ne porte pas atteinte à la dignité, qu’il ne soit pas raciste,
interdit aux mineurs etc. Il faut que ça soit un site d’information, ce qui est
forcement flou, mais on va dire qu’il faut qu’il y ait un contenu informatif
régulièrement actualisé, et c’est tout. On ne peut pas vérifier leurs pratiques
internes mais on essaye de voir quand même si ce n’est pas trop tendancieux
afin de rester dans un éventail d’opinions du centre, sans extrêmes. Quand on a
une certaine pratique de sites d’information, on juge assez vite de la qualité
et du sérieux de l’éditeur ». Christine
Lam, chef documentaliste de Net2One, juin 2003
Troisièmement, Net2one entretient
également la confusion sur un aspect central de son fonctionnement, à savoir la
sélection des sources éditoriales, ce qui, comme nous venons de le voir, revêt
néanmoins une importance particulière. Car cette sélection définira le contenu
des liens envoyés quotidiennement aux abonnés et par conséquent orientera
partiellement leurs déplacements sur l’internet. Ces déplacements, et
l’audience qu’ils gênèrent, constituent l’un des principaux enjeux sur le
marché de l’internet, car ils sont le critère de base définissant les
investissements des annonceurs publicitaires.
D’où leur importance stratégique. Si un site d’information quelconque
arrive à obtenir de Net2One un « bon emplacement » au sein de sa sélection de
sources, et par là une présence accrue au sein des liens hypertexte envoyés par
le service aux abonnés, il a automatiquement plus de chances d’être visité par
ces derniers et par là d’augmenter son audience. Ayant décrit plus haut les
méthodes opaques que Net2One emploie à cet égard, sans que les utilisateurs en
aient forcement conscience, nous pouvons craindre qu’il ne s’agisse d’une
pratique courante dans cette entreprise. Une pratique d’autant plus facilitée
par la nature hybride de l’activité de Net2One qui ne se soumet à aucune
réglementation particulière et qui ne juge même pas nécessaire de spécifier ses
critères de sélection des sources dans les conditions générales d’abonnement. Ces
critères demeurent ainsi opaques et prêtent à toutes les interprétations et le
cas échéant à des manipulations, ce qui provoque des discours contradictoires
de la part des responsables du service.
« Nous
n’avons jamais mis de sources en avant délibérément. C’est-à-dire que souvent
les sources d’information qui sont connues sont régulièrement mises à jour et
c’est la raison pour laquelle elles apparaissent plus souvent dans les
résultats ». David
Berrebi – Net2One
« Il
y a des éditeurs qui aimeraient être mis plus en avant mais on ne peut pas
forcement le faire à chaque fois. C’est un peu au cas par cas, parce qu’on est
obligés d’assurer une certaine objectivité. Il y a certains qui préféreraient
être mis plus en amont dans l’arborescence. Il y a une négociation et on essaye
de faire le maximum. Pendant un temps on proposait de panels par rubrique où il
y avait des places privilégiées et les éditeurs étaient demandeurs ». Christine Lam – Net2One
La
réaction tardive des éditeurs
Les problèmes soulevés précédemment
concernant le fonctionnement de Net2One ont progressivement rendu sa viabilité
incertaine. Dans un premier temps ce sont les éditeurs qui ont réagi face à la
reproduction « sauvage » et sans consentement explicite des titres et
sous-titres de leurs articles. Comme dans le cas de Google News, ce sont les
médias bien installés sur l’internet qui ont été les premiers à réagir. Il
s’agissait de pouvoir imposer des conditions spécifiques d’utilisation du
contenu, en accord avec la politique éditoriale de chaque site d’information.
C’était la première fois que le Geste notamment a été confronté à une telle
problématique, ce qui a contraint ses adhérents à réfléchir sur la question de
l’indexation automatique de leur contenu par des services de veille. Une
question qu’allait poser par la suite Google avec encore plus d’acuité en
raison de son envergure. Le premier point d’achoppement entre les éditeurs et
Net2One concernait la possibilité, évoquée plus haut par le fondateur de la
société, de reproduire des fragments de texte, en l’occurrence les titres et
sous-titres, sans autorisation préalable en se basant uniquement sur le droit
de citation.
« On
avait fait la même chose avec un produit qui s’appelle Net2One il y a trois
ans, c’était sur le même principe : les titres sont protégés par le droit
d’auteur, les chapôs, c’est à dire les premières lignes de l’article,
également. On ne voit absolument pas pourquoi ils partiraient tout seuls dans
la nature, chez de gens qui sous prétexte de faire de la veille se constituent
en fait de bases de données assez rapidement. Avec Net2One on leur a interdit
de le faire, ils ont arrêté de le faire. Ils considéraient que c’est sur
internet donc ça n’appartient à personne, c’était un peu le drame de
l’internet, c’est que tout ce qu’on y a mis au départ ça appartenait à tout le
monde, c’était vrai dans la communauté de scientifiques, mais on est
complètement sortis de ça maintenant. Nous on a des journalistes qui nous
demandent de comptes. Sur les droits d’auteur il y a eu de batailles terribles
entre les éditeurs et les syndicats de journalistes, ça nous coûte cher, pour
le prix des droits d’auteur je pourrais embaucher cinq journalistes
supplémentaires…donc si en face je vois de gens qui nous volent le
contenu… ». Philippe
Jannet – Les Echos
Dans un deuxième temps, les éditeurs
se sont opposés à la constitution des bases de données de la part de Net2One
avec l’utilisation de leurs propres contenus. Comme nous l’avons évoqué
précédemment, dans certains segments spécialisés de l’information en ligne,
comme l’informatique ou l’économie, la valeur de l’audience réside davantage en
sa qualité qu’en sa quantité. Autrement dit, l’avantage considérable de
certains éditeurs consiste dans leur capacité à qualifier de façon très fine leur
audience, notamment par l’envoi des newsletters, ce qui peut être valorisé
financièrement à travers une démarche ciblée de marketing direct. Or, le
fonctionnement précédemment décrit de Net2One dépossédait justement les
éditeurs de cet avantage concurrentiel en établissant de bases de données
clients qui pourraient se substituer aux leurs. D’où les vives réactions des
supports spécialisés tels que ZDNet.
« C’était
aberrant aussi avec Net2One, il s’est constitué une petite base de données, il
la vendait aux journaux concurrents en expliquant si vous voulez avoir la liste
des gens qui ont tous coché La Tribune
comme source d’info je vous la vend tant, c’est un comportement de
voyou ». Philippe Jannet – Les
Echos
« Jérémie Berrebi il n’a jamais compris
parce que les autres l’ont attaqué sur le terrain des droits d’auteur. Moi ce
n’est pas sa technologie et ce qu’il faisait qui me choquait, c’est parce que
nous n’avons pas réussi à nous mettre d’accord sur un accord commercial, c’est
du business. C’est parce que lui il était encore dans son idée qu’on devrait le
payer, alors que moi j’ai dit ton business n’existe pas sans nous, c’est toi
qui va me payer. Il s’est fait plombé parce qu’il croyait qu’il allait prendre
les articles du Monde et que c’était tellement super que Le Monde allait
applaudir et le remercier. Il croyait qu’il allait passer en force, ce qui
n’est pas possible surtout avec la législation française. Pour moi le problème
ce n’est pas qu’il prenait les contenus mais le fait qu’il créait une base de
mes lecteurs. Parce que les gens qui s’abonnaient chez lui pour voir mes
contenus, cette base là elle m’échappe. Il y a des gens qui ne comprennent pas
où est le problème, pour eux c’est super au final les gens viennent sur le
site, mais pour moi ça c’est 10 % de la valeur ! ». Emmanuel Parody – ZDNet.fr
Par
la suite ce sont les conditions
d’utilisation des informations sur les usagers du service qui ont
posé problème
au modèle économique envisagé par les responsables
de Net2One. Notamment, suite
à l’adoption de la loi sur la confiance à
l’économie numérique qui a encadré
strictement des telles activités. Les responsables de Net2One
ont été obligés
de stopper cette collecte « sauvage » et
d’adopter l’approche de
opt-in, qui cependant est beaucoup moins efficace puisqu’elle
suppose une
volonté explicite de la part des usagers du service de divulguer
des
informations les concernant. Cette évolution a porté une
atteinte significative
au modèle économique de la société tel
qu’il a été envisagé par son fondateur.
Enfin, le modèle de la publicité ciblée
imaginé par ce dernier n’a pas procuré
les recettes financières escomptées. Ceci en raison de la
faiblesse du marché
publicitaire sur l’internet qui entre 2001 et 2003 a
obligé les annonceurs de
rationaliser leurs dépenses. Par ailleurs, le système
d’insertion de la
publicité à l’intérieur des newsletters afin
de cibler des catégories
spécifiques d’internautes n’a pas attiré
l’adhésion des acteurs du marché.
« La
formule n’a jamais explosé comme prévu. Dans leur majorité, c’était quand même
des annonceurs qui faisaient de la publicité en bloc sur toute la base des
abonnés et ça n’a jamais porté au niveau du ciblage du public. Ce qui
intéressait surtout les gens c’était l’information et ce qu’il y avait autour
ils s’en foutaient un peu. Ils sautaient la pub pour arriver directement sur
les recherches par mot-clé. On arrivait à bien cibler les gens mais le problème
c’était d’attirer leur attention sur le message publicitaire ». David Berrebi – Net2One
Tentatives
de redressement et passage au modèle payant
A fin
de combler ce manque d’efficacité de leur support
publicitaire, les
responsables de la société ont imaginé un nouveau
format publicitaire baptisé
« Layout advertising ». Concrètement, il
s’agissait à habiller l’intégralité
de la newsletter envoyée aux abonnés aux couleurs de
l’annonceur, avec
l’intégration du logo dans le fond graphique de la lettre.
Cette initiative
constituait un effort supplémentaire de redresser les comptes de
la société qui
fonctionnait toujours sur le capital acquis lors du tour de table
initial.
Ainsi, en 2002 Net2One a réalisé un chiffre d'affaires
situé autour de
500 000 euros, ce qui était largement insuffisant pour
assurer le bon
fonctionnement de l'entreprise dont les pertes s'élevaient
à 107 000 euros par
mois.
«
Avec ce nouveau format, aucun de nos membres ne pourra manquer notre sponsor.
Même s’ils ne cliquent pas sur le lien, l’annonceur pourra être certain que sa
marque, ses produits seront ancrés dans la mémoire de nos membres. La
newsletter étant gratuite, l’annonceur va en quelque sorte « offrir » cette
lettre d’information à forte valeur ajoutée ce qui augmentera d’autant le
capital sympathie des abonnés vis à vis de l’annonceur »[6].
Par
ailleurs, Net2One a tenté de
diversifier ses activités dans le domaine des services aux
entreprises avec la
commercialisation d’un outil de gestion de e-mailing, et dans la
distribution
de contenus sur terminaux mobiles avec la création d’un
kiosque d’information
et de divertissement par SMS appelé Mobinews. Or, aucun de ces
nouveaux
produits n’a rencontré un succès
considérable capable d’apporter les recettes
financières nécessaires. Ainsi, au début 2003 a
été décidé un changement de
stratégie complet de la société avec
l’abandon du modèle gratuit fondé sur le
financement indirect. Parallèlement, un plan social drastique a
été mis en
place qui a réduit les effectifs de la société de
36 à 5 personnes. Cette
restructuration a été facilitée par le fait
qu’une grande partie des effectifs
était constituée par des documentalistes chargés
d’alimenter la base de données
du moteur de Net2One avec des sources nouvelles. Après trois ans
de
fonctionnement cette base de données était quasiment
complète, du moins en ce
qui concerne les sources généralistes. De même,
l’outil informatique a été
également relativement perfectionné dans cette
période par les développeurs de
la société. Par conséquent, il n’y avait
plus la nécessité d’un nombre élevé
des documentalistes et d’informaticiens au sein de Net2One,
puisque les tâches
à effectuer se limitaient à l’entretien du service
et la mise à jour ponctuelle
de la base de données. D’où la facilité avec
laquelle sont survenus de si
nombreux licenciements, la société continuant son
fonctionnement et même
mettant en place un nouveau modèle économique.
« Jusqu’à
récemment on était plusieurs documentalistes et moi j’étais responsable de
l’ensemble mais avec les licenciements je suis restée seule. Notre travail
quand on était nombreux c’était de créer la base de données qu’on a essayé de
développer au maximum et en plusieurs langues. Donc on surfait beaucoup, on
repérait les sites intéressants, on les référençait et on prévenait les
éditeurs. Aujourd’hui je dois dire qu’étant toute seule je n’ai pas le temps
d’enrichir trop la base. Il est vrai que le gros du travail a été fait, mais je
pense quand même qu’il serait mieux si on était plus nombreux ». Christine Lam – Net2One
La nouvelle stratégie de Net2One
inaugurée en mai 2004 a consisté à se tourner résolument vers le marché des
services aux entreprises, abandonnant quasiment ses activités grand public.
Ainsi, la nouvelle version du service de veille était payante et visait un
public de professionnels. Le principe de son fonctionnement était le même
qu’auparavant avec l’ajout des certaines fonctionnalités supplémentaires
adaptées à la veille concurrentielle. Un an après l’annonce de ce revirement,
et sous la pression concurrentielle de Google News, Net2One a été racheté par
Presse+, société active dans le secteur de la veille d’information et acteur
tout à fait classique de « l’ancienne économie ». Les actifs qui ont
intéressé Presse+ ont été essentiellement le moteur de recherche et la base de
données de Net2One, qui lui ont facilité l’accès au secteur de l’information en
ligne.
« Aujourd'hui,
quelle que soit la finalité des prestations de veille le média internet est
devenu incontournable. Intégrer des technologies de recherche, de sélection, de
classement et de mise en forme permet à Presse+ d’assurer à ses clients des prestations
plus larges en terme de couverture, toujours en temps réel, rapides et à forte
valeur ajoutée. Après avoir beaucoup investi dans le traitement de la presse
française et étrangère ainsi que dans la veille des radios et des télévisions,
il était essentiel que nous soyons au meilleur niveau en terme de veille
internet »[7].
En 2005, le fondateur de Net2One
Jérémie Berrebi a intégré l’équipe de Presse+ en tant que consultant. Le
service de veille de Net2One sur abonnement payant continue de fonctionner de manière
complètement automatisée. La trajectoire de cette société pionnière dans son
domaine et emblématique de la « nouvelle économie » a prouvé la
pertinence du modèle d’infomédiation dans le secteur de l’actualité. Le très
grand nombre d’utilisateurs de son service de veille gratuit l’a démontré. Ceci
en raison du nombre croissant des sources disponibles sur l’internet qui
alimentent une demande de la part des internautes pour des intermédiaires
capables de trier et hiérarchiser l’information de manière fiable. En revanche,
le cas de Net2One a également illustré la difficulté qui caractérise les
tentatives de valorisation commerciale du concept qui pose une série de
problèmes juridiques mais également relatifs au processus de repositionnement
des acteurs du secteur. En effet, un tel service, qui constitue un cas
emblématique de bien-système tel que
nous l’avons défini précédemment, fait intervenir plusieurs expertises. D’une
part il implique une maîtrise du processus de couverture de l’actualité et de
production de contenus relatifs ainsi qu’un minimum de capital journalistique,
ce qui est assuré par les médias. D’autre part, il suppose également une
compétence dans le secteur de l’informatique et de l’internet qui permet de
gérer des outils de distribution particulièrement complexes. La difficulté
réside dans l’incapacité des acteurs à établir un partage clair et profitable
aux deux cotés, du moins partiellement, des ressources financières qui
découlent du marché de l’information en ligne. Cette impossibilité est due à la
dépendance du secteur d’un financement indirect largement insuffisant. Mais
elle provient également des particularités du secteur des industries
culturelles qui sont difficilement maîtrisables par des acteurs extérieurs non
dotés d’une solide expérience de la communication et des médias. C’est la
raison pour laquelle des acteurs aussi puissants que Google ou MSN rencontrent
les mêmes difficultés à rentabiliser une activité qui est pourtant l’objet
d’une demande significative de la part des usagers de l’internet.
[1] Interview accordée par Jérémie Berrebi à Romain de
Monza, Journal du Net, 9 juillet 1999. Accessible à l’adresse : http://www.journaldunet.com/itws/it_berrebi.shtml
[2] Les citations qui ne comportent pas
d’autre mention proviennent du site http://www.net2one.fr, consulté dans le courant
de l’année 2002.
[3] Interview accordée par Jérémie Berrebi, op.cité.
[4] Source : http://www.internet.gouv.fr/rubrique.php3?id_rubrique=336
[5] Voire : « Le MRAP dénonce la naissance sur
Internet d’une nouvelle extrême droite arabophobe », Sylvia Zappi, Le Monde, 18
Juillet 2003 et « Procès d'un site pro-israélien qui
appelait à tabasser des juifs », Florence Aubenas, Libération, 1 octobre
2003.
[6] Interview de Jérémie Berrebi accordée à Pascale Ulmo,
Netéconomie.com, 7 février 2002, accessible à l’adresse : http://www.neteconomie.com/perl/navig.pl/neteconomie/infos/article/20020207162628
[7] Interview de Thierry Delahaye, PDG de Presse+, accordée à Jerôme Bouteiller, Netéconomie.com, 11 juin 2004, accessible à l’adresse : http://www.neteconomie.com/perl/navig.pl/neteconomie/infos/article/20040611141531
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