7.1
La mise en place d’une stratégie d’exhaustivité dans le cas de Yahoo
Yahoo a
été créé au début des années
90 par deux étudiants américains en ingénierie
électrique de l’Université de Stanford, Jerry Jung
et David Filo. L’idée
originelle était de créer un guide, une sorte de
bibliothèque thématique, qui
répertorierait en catégories tous les sites internet que
les créateurs de
Yahoo jugeaient intéressants. Il s’agissait
d’une activité d’annuaire
fondée sur la constitution manuelle d’une arborescence des
catégories de sites.
A partir de 1995, avec l’arrivée de la
société de capital-risque Sequoia
Capital et de l’entrepreneur Tim Koogle, Yahoo devient une
entreprise
commerciale caractérisée par une croissance importante.
Aujourd’hui, le réseau
international de Yahoo comporte 24 sites locaux. Son siège est
situé toujours à
Sunnyvale, en Californie, mais la société est
implantée en Europe, dans la zone
Asie-Pacifique, en Amérique Latine, au Canada et aux Etats-Unis.
Pour l’exercice 2004, Yahoo Inc. a
généré un chiffre d’affaires de l’ordre de 3 574M de dollars, soit un
profit net de l’ordre de 839,5M de dollars, pratiquement quatre fois supérieur
de celui de 2003. Ceci grâce à une augmentation de l’audience sur l’ensemble
des sites du réseau Yahoo de 31% entre 2003 et 2004, combinée à une reprise du
marché publicitaire au niveau mondial. Sur la même période, 88% de revenus du
groupe proviennent de la publicité et le marketing, soit 3 148M de
dollars, le reste provenant de la vente de services. En 2004, 74% du chiffre
d’affaires s’effectue aux Etats-Unis et 26% à l’international[1]. La
firme dispose de 7 600 salariés dans le monde, dont une centaine en
France. Yahoo France a été fondé en 1996 par Denis Jamet, qui a occupé ensuite
le poste de directeur de la production et ingénierie de Yahoo Europe entre
février et mai 1999. Le site yahoo.fr a
concentré une audience de 8 717M de visiteurs uniques pour le mois d’avril
2005, ce qui le place à la sixième place de l’internet français pour la même
période[2].
Organisation
interne, audience et sources de financement
L’organisation interne de Yahoo
s’articule autour de six départements : recherche d’information, e-commerce,
communications et communautés, médias et information, services aux entreprises
et fourniture d’accès à l’internet. Cependant, son modèle économique est
essentiellement fondé sur un financement indirect par la publicité et le
marketing, ce qui implique un effort constant pour attirer une audience de
masse aux différents portails du groupe. Il s’agit d’un positionnement
« média », assuré par des dirigeants qui proviennent du secteur des
industries culturelles, plutôt que du monde de l’informatique. Ainsi, le PDG de
Yahoo, Terry Semel, a commencé sa carrière au sein des majors du cinéma et John
Marcom, le responsable des activités de Yahoo à l’international, est un ancien
journaliste du Wall Street Journal
ayant travaillé précédemment pour le groupe Time-Warner. Afin d’attirer et de
qualifier une telle audience, Yahoo met à disposition des internautes un très
grand nombre de services gratuits comme la recherche, l’annuaire et le courrier
électronique entre autres.
« Vis-à-vis
de nos annonceurs, nous leur proposons toute une méthodologie d’exploitation
ciblée et raisonnée de cette audience : la puissance seule n’est rien si elle
ne peut pas être canalisée et domestiquée. Nous vendons de très nombreuses
solutions de ciblage de consommateurs qui s’axent sur l’approche média
traditionnelle (achat d’espace contextuel validé par des études d’audience
externes sur le profil des utilisateurs de ces contextes), le marketing
promotionnel que le web rend si aisé (création de promotions destinées à
constituer des bases de données d’utilisateurs pour nos annonceurs), le
marketing direct en utilisant les profils de nos utilisateurs qui ont
personnalisé certains services »[3].
L’audience de yahoo.fr se concentre auprès d’une frange d’actifs, 57,2% des
internautes qui visitent les sites ont entre 25 et 49 ans, et d’hommes, qui
constituent 62% de l’audience[4].
Parallèlement, Yahoo concentre une audience significative au sein des
catégories socioprofessionnelles supérieures, ce qui lui permet de mettre en
place des offres d’espace publicitaire spécifiques comme celle appelée Ad Premium CSP+, mise en place en 2003.
Il s’agit d’une offre qui combine un espace exclusivement dédié à l’annonceur
pendant toute la journée du lundi sur la page d’accueil, puis des espaces
ciblés dans les différentes rubriques éditoriales pendant le reste de la
semaine[5]. Le
lundi matin est considéré par la régie publicitaire de Yahoo comme l’équivalent
du prime time de la télévision en
raison de l’audience massive depuis les lieux de travail, ce qui implique une
population de cadres à fort pouvoir d’achat, particulièrement recherchée par
les annonceurs. A ce titre, les responsables de la régie de Yahoo n’hésitent
pas à comparer, en termes d’efficacité, leur offre premium aux matinales des
radios d’information ou aux quatrièmes de couverture des magazines grand public
et des quotidiens d’information générale et politique.
En 2003, la société a fait
l’acquisition de Inktomi et d’Overture afin de améliorer sa fonction de
recherche et surtout sortir d’une dépendance envers son concurrent direct
Google, qui sous-traitait ce service auparavant. Parallèlement, un effort
considérable est également porté sur le commerce électronique et la mise en
place d’un large éventail de services payants afin de s’affranchir
partiellement du financement indirect. Ainsi, Yahoo a fait l’acquisition du
comparateur de prix français Kelkoo et de la plateforme payante de
téléchargement de musique Musicmatch en 2004. Ce repositionnement partiel
semble réussi puisque le premier trimestre 2005 a été particulièrement porteur
en termes financiers avec une augmentation de 54% de revenus publicitaires par
rapport au premier trimestre 2004, mais surtout une augmentation de 61% de la
vente de services directement auprès des internautes dans la même période[6].
Cependant, l’objectif qui a été annoncé par le PDG du groupe Terry Semel en
2002, à savoir une part de revenus de 50% en provenance de la vente de services
pour 2004 a été loin d’être atteint[7].
Positionnement
stratégique et fonction de recherche
Dans l’ensemble la stratégie de Yahoo
consiste en un effort d’exhaustivité quant au choix de services et de contenus
que sa cible privilégiée d’internautes est susceptible d’utiliser. C’est ainsi
que le portail yahoo.fr concentre un
très grand nombre de contenus d’information et de divertissement, ainsi qu’une
série très complète de services personnels. Une partie de ces services
stratégiques, comme la recherche ou le courrier électronique, sont développés
en interne, mais la grande majorité est sous-traitée en externe.
« Il
faut bien comprendre que nous avons une double stratégie. D’une part, une
stratégie qui consiste à lancer des services complètement intégrés où Yahoo
maîtrise le contenu, la tarification et la relation client et qui sont des
services assez longs à mettre en place. D’autre part, une stratégie pragmatique
consistant à saisir les opportunités en attendant de disposer des services
intégrés. Il se trouve que certains éditeurs ont du contenu à valeur ajoutée
que Yahoo France peut distribuer à ses utilisateurs à la condition que ces
derniers respectent notre charte de qualité. Mais à long terme, l'objectif
reste d'intégrer ces services à nos plate-formes »[8].
En ce qui concerne l’activité
historique de Yahoo, celle d’annuaire constitué par des opérateurs humains,
elle est progressivement reléguée au second plan au profit du développement de
moteurs de recherche logiciels, à l’image de Google. Ainsi, depuis fin 2004 la
rubrique Annuaire est repositionnée
en bas de la page d’accueil de yahoo.fr,
avec en parallèle une mise en avant de la recherche automatique. Cette dernière
constitue désormais la première priorité pour Yahoo, comme pour ses principaux
concurrents. Les efforts de développement se portent dans la direction des
outils qui simulent une recherche sémantique sur le web avec utilisation
de diverses méthodes expérimentales.
Dans le cas du service My Web, qui se présente sous la forme
d’une barre intégrée au navigateur internet, Yahoo propose aux internautes
d’utiliser leurs réseaux sociaux afin d’améliorer la recherche d’information
sur l’internet[9]. Dans
un premier temps, le service permet aux internautes d’archiver leurs
recherches, de les organiser par dossiers et de les rendre disponibles à
d’autres internautes qui partagent les mêmes intérêts. Dans un second temps les
utilisateurs sont invités à affecter des mots-clés (tags) à certaines pages web, ainsi que des commentaires. Il s’agit
d’une forme d’appréciation qualitative ou d’un classement effectué par des
internautes. Ces derniers accumulent progressivement et de manière collective
un historique de pages pertinentes, disponibles pour l’ensemble des
participants au réseau. Ce mode de recherche, largement inspiré par des
prototypes comme Eurekster[10],
s’adresse davantage à des groupes d’utilisateurs professionnels. Dans le même
temps, Yahoo peut accéder à ces informations de personnalisation et dispose
ainsi des données sur la nature de recherches effectuées, qui servent à des
fins de marketing et de publicité ciblée.
Par ailleurs, Yahoo expérimente en
2005 un service de recherche qui vise à faire la part entre les informations de
nature scientifique, encyclopédique ou journalistique, et les pages à visée
commerciale. Autrement dit, la société propose de restaurer le mur entre
« l’Etat de l’Eglise », en séparant le contenu rédactionnel
d’information du contenu publicitaire ou de communication. Il s’agit d’un outil
appelé Mindset[11],
qui attribue une couleur à chaque résultat, indiquant ainsi sa nature. Le
dispositif peut être ajusté selon que l’internaute effectue une recherche de
nature informative ou de consommation. L’objectif est d’améliorer la pertinence
et surtout la crédibilité des réponses à la recherche, en prenant en compte
l’intention initiale de l’utilisateur. Il s’agit d’éviter ainsi le
« bruit » dans les résultats, causé notamment par l’effort constant
de la part de commerçants de se positionner en bonne place dans les réponses
des moteurs par le biais d’un référencement efficace[12].
Une autre piste suivie par la firme,
dans cet effort d’amélioration de la recherche d’information, est un service
mis en place depuis juin 2005 pour les internautes américains qui permet de
sonder le « web profond », autrement dit les contenus payants qui ne
sont pas librement accessibles pour tous les internautes[13]. Si les robots de recherche
classique indexent automatiquement toutes les pages web en accès libre, en
revanche ils ne peuvent pas rendre compte des informations à valeur ajoutée et
protégées par un mot de passe qui nécessitent un paiement direct de la part de
l’utilisateur. Ainsi, toute une partie de l’internet demeure invisible au grand
public pourtant susceptible de s’y intéresser, et éventuellement prêt à payer pour
y accéder. A travers le service en question, Yahoo permet à tous les
internautes d’accéder aux résultats des recherches qui s’effectuent au sein de
zones protégées de l’internet, comme la version électronique payante du journal
Wall Street Journal. En revanche,
pour accéder aux contenus proprement dits, les utilisateurs doivent s’abonner
au service payant de l’éditeur. Il s’agit d’une démarche qui répond à une
demande constante de la part des éditeurs de contenus payants qui sont à la
recherche d’une visibilité sur l’internet, sans pour autant renoncer à facturer
leurs services. Le fonctionnement de ce dispositif suppose l’établissement des
partenariats entre Yahoo et les éditeurs en question. La première version
disponible du service comprend, en 2005, une dizaine de fournisseurs de contenu
d’information, mais pourrait s’étendre progressivement à d’autres, si son
efficacité auprès des internautes est établie. De cette façon, Yahoo se
constitue en partenaire indispensable des éditeurs, en bénéficiant du trafic
généré par le service, tout en se prémunissant des accusations d’atteinte aux
droits d’auteur dont son concurrent Google est la cible. De leur coté, les
éditeurs bénéficient d’une visibilité accrue sur l’internet et peuvent ainsi
recruter de nouveaux abonnés.
Enfin, Yahoo, comme ses principaux
concurrents, diversifie ses services de recherche en y incluant des contenus
multimédias[14]. Cette
fonctionnalité est rendue possible par la généralisation de l’accès à haut
débit permettant le téléchargement ou le visionnage en streaming[15] des
contenus vidéo, ce qui n’était pas possible auparavant du fait de la taille
importante de ce type de fichiers. Ainsi, en 2005, le service en question donne
accès à des milliers de sources de contenus vidéo, qu’ils soient libres d’accès
ou payants. Il est à noter ici que la concurrence entre Yahoo et Google a pris
dans ce cas la forme d’une course contre la montre afin de pouvoir lancer un
service de recherche vidéo fonctionnel et efficace le premier.
« L’avènement
du haut débit a profondément modifié l’accès aux contenus multimédia et nous
sommes conscients que la demande des utilisateurs en matière de contenus vidéo
est de plus en plus importante. C’est pourquoi nous sommes particulièrement
heureux d’être les premiers en France à proposer une telle offre. Notre
ambition est d’offrir aux internautes un service pour les aider à trouver sur
le Web le meilleur contenu vidéo »[16].
Comme le précise Yahoo sur son site,
« il est possible que les vidéos proposées dans les résultats de la
recherche de vidéos soient protégées par des droits d’auteur. Yahoo! ne possède
ni contrôle ces vidéos. Nous ne pouvons donc en aucun cas vous accorder le
droit de les utiliser pour quelque objet que ce soit »[17]. Le multimédia semble être
l’une des directions stratégiques de développement futur pour les responsables
de Yahoo, qui se fondent sur l’anticipation de la généralisation des accès à
haut débit.
Dispositifs
interactifs à intérêt économique et mobilité
L’ensemble de ces orientations vise à
améliorer l’adéquation entre la motivation d’une recherche d’information et les
résultats obtenus, afin d’augmenter la pertinence de réponses. Il s’agit
de permettre aux internautes d’effectuer des recherches ciblées sur un segment
spécifique du web, en appliquant un filtre discriminant sous forme
algorithmique. Néanmoins, les dispositifs mis en œuvre, comme dans le cas de
liens sponsorisés que nous avons examinés précédemment, constituent des moyens
de collecte d’information sur les habitudes et les centres d’intérêt des
usagers. Par conséquent, il s’agit des dispositifs interactifs à intérêt
économique qui augmentent le taux d’efficacité des messages publicitaires et du
marketing direct. A ce titre, Yahoo expérimente des méthodes de publicité
comportementale en collaboration avec la société américaine Revenue Science,
spécialiste du secteur. Il s’agit de conjuguer différents outils de collecte
d’information sur les usagers, de les catégoriser selon des critères
spécifiques pour ensuite ne les exposer qu’aux messages publicitaires auxquels
ils sont susceptibles d’être attentifs selon leurs caractéristiques
prédéterminées. Une expérimentation de publicité comportementale qui a été mise
en place par Revenue Science sur le site internet du Financial Times, ft.com,
en avril 2005 a démontré qu’en moyenne les messages ciblés selon la méthode en
question étaient à 193% plus efficaces que les campagnes traditionnelles en
termes de taux de click-through[18]. D’où
la place stratégique des différents outils de recherche, qui constituent par
excellence une activité d’infomédiation et qui se présentent, en 2005, comme le
terrain de concurrence principal pour les acteurs de l’internet de taille
mondiale.
Yahoo anticipe également la mobilité
croissante des usages de l’internet avec l’utilisation des terminaux portables
multimédia. La firme a ainsi conclu un accord de coopération exclusive avec
Nokia[19]. Il
s’agit d’un pack de services Yahoo préinstallés sur les téléphones portables
troisième génération de Nokia incluant la gestion du courrier électronique, le
divertissement, comme les jeux téléchargeables, et la fonction de recherche.
Dans l’ensemble, Yahoo délaisse progressivement son activité historique
d’annuaire afin de se positionner en tant qu’infomédiare et fournisseur de
services au moyen de dispositifs complexes de recherche d’information
automatisée. Ce faisant il établit de partenariats avec nombre d’acteurs qui
apportent des contenus et des outils spécialisés et qui souhaitent bénéficier
de la puissance de Yahoo en termes d’audience.
Articulation
local/global
Cependant, la nature transnationale de
l’activité de Yahoo l’expose à des poursuites juridiques selon certaines
législations locales, ce qui pose la question du cadre législatif régissant son
fonctionnement. Ainsi, en 2000 plusieurs organisations, dont l’Amicale des
déportés d’Auschwitz, le Consistoire israélite et le MRAP, ont déposé en France
une plainte pénale contre la société et son ancien président Tim Koogle pour
apologie de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Ceci en raison de
la vente des objets nazis sur son site français. Yahoo et son ex-dirigeant ont
été relaxés en février 2003 en première instance et en avril 2005 en appel par
la justice française, le délit n’étant pas constitué selon les juges. Si la
vente des objets a été stoppée sur yahoo.fr,
elle continue sur la version américaine du site ainsi que l’hébergement des
forums néo-nazi. Yahoo de son coté soutient qu’en tant que société américaine
il doit respecter exclusivement la législation des Etats-Unis[20].
La question de la réglementation est
posée avec d’autant plus de force dans le cas de Yahoo, comme celui de Google
comme nous le verrons plus loin, qu’il s’agit de firmes transnationales par
excellence. Ainsi, la stratégie comme les méthodes de travail de Yahoo sont
définies à un niveau international et implémentées au niveau local, ce qui
aboutit à des sites internet comparables sur la forme. Ceci parce que les
divisions stratégiques de recherche et développement, qui aboutissent aux
nouveaux produits et services, sont concentrées aux Etats-Unis pour l’ensemble
des filiales. En revanche, comme nous l’avons indiqué précédemment, en ce qui
concerne les contenus, seul un petit nombre de partenariats s’établit au niveau
global, la majeure partie étant laissée à la discrétion des filiales.
« Yahoo!
France est le même produit que Yahoo.com, mais avec un contenu totalement
différent. Même catégorisation, mêmes méthodes de distribution de contenu,
mêmes techniques de commercialisation publicitaire - mais encore une fois, le
succès en France est venu comme ailleurs de notre obstination à refaire pour le
marché français, plutôt que d’exporter approximativement le contenu de
Yahoo.com. Plutôt que de conserver une identité locale, nous l’avons d’abord
créée, et le mouvement est plutôt aujourd’hui vers une globalisation des
produits (les nouveaux produits de Yahoo.com arrivent en Europe de plus en plus
vite) tout en préservant cette touche locale déjà acquise »[21].
En ce qui concerne la communication de
Yahoo, elle a été prise en main en 2005 par la direction générale au niveau
européen dans l’objectif de rationaliser les campagnes promotionnelles en
termes de coûts, mais également de conférer à cette communication davantage de
cohérence. Il s’établit ainsi une certaine division du travail parmi les
différentes filiales européennes de Yahoo en termes de communication et de
marketing, qui vise à exploiter les compétences spécifiques et de reproduire
les initiatives locales qui ont prouvé leur efficacité.
« Il
ne s’agit pas d’avoir un ton publicitaire et une créativité unique en Europe,
car les internautes ne surfent pas vraiment sur l’ensemble de nos portails
locaux. Mais nous souhaitons effectivement instaurer une certaine cohérence
dans notre communication au niveau mondial. C’est pourquoi nous nous laissons
la liberté de relayer en Europe une campagne américaine qui se serait avérée
particulièrement performante, et vice versa. J’essaie d’attribuer une
spécialité marketing très précise à chaque filiale. Les britanniques sont ainsi
plus particulièrement responsables de l’acquisition de trafic et des relations
presse grand public. Les Allemands sont, quant à eux, en charge de la
fidélisation de l’audience. Et l’équipe française travaille en amont sur
l’ensemble des campagnes pan-européennes. Mais cela ne signifie pas pour autant
que les bureaux ne contrôlent plus leur communication au niveau local. Ils
conservent, au contraire, une totale liberté sur la moitié des opérations
qu’ils mènent. Au final, ils relayent seulement 4 à 5 campagnes pan-européennes
par trimestre, sur une moyenne de dix »[22].
La problématique de l’articulation
entre le local et le global se trouve ainsi au cœur de la stratégie de Yahoo.
La firme s’efforce de tirer des avantages économiques d’une configuration dans
laquelle les fonctions stratégiques de recherche et développement, ainsi que
l’infrastructure technique et l’ingénierie, sont particulièrement concentrées
alors que l’implémentation et l’adaptation des orientations se fait de manière
relativement souple par les équipes locales. En ce qui concerne la France,
cette approche, qui a impliqué la constitution d’une équipe locale relativement
importante dès le démarrage de l’activité, a facilité l’intégration de Yahoo
dans le marché français de l’internet, notamment auprès des éditeurs et des
médias. En revanche, en ce qui concerne les décisions stratégiques et les
ressources en ingénierie, Yahoo France est dépendante de la maison mère tant au
niveau international qu’au niveau européen dont la direction centrale se trouve
en Grande Bretagne.
« Alors
moi je suis censé avoir un interlocuteur, il y a un type en fait qui est à
Londres chargé de gérer en partie les problèmes communs puisqu’on utilise des
plateformes techniques communes et qui va aussi négocier des partenariats qui
dépassent le cadre européen, par exemple le partenariat avec Reuters qui est
mondial, là lui il va se charger des contacts etc. C’est un travail de liaison
essentiellement. Disons que sur les partenariats, à part les gros partenaires
au niveau monde, c’est vraiment quelque chose de local, Yahoo considère que les
gens les mieux placés pour savoir quel partenariat signer sont au niveau local.
Sinon leurs indications c’est plus dans des trucs techniques de forme, c’est à
dire que comme on a des ingénieurs en commun, on crée une plateforme commune et
nous on fait remonter le truc, on plaide notre cause et c’est eux qui tranchent
en dernier recours, ils disent voilà en priorité on va développer ça.
Effectivement on va de plus en plus vers ça. Alors qu’avant on avait plus des
ingénieurs locaux mais maintenant ils sont mutualisés comme on dit et on est
obligés d’arbitrer entre les différents pays, les priorités ne sont pas
forcement les mêmes ». Julien
Laroche-Joubert, Lead Surfer Yahoo France, responsable de la chaîne Actualité,
décembre 2003
7.1.1
L’actualité « exhaustive » sur yahoo.fr
Comme nous l’avons mentionné
précédemment le positionnement de Yahoo se traduit par une stratégie d’exhaustivité quant à l’offre de contenus et de services
susceptibles d’intéresser son audience. Ceci aboutit à une approche similaire
en ce qui concerne l’éventail d’informations sur l’actualité disponibles sur le
portail yahoo.fr[23]. La filiale française,
comme sa maison mère, a opté pour une approche qui combine plusieurs
dispositifs. Dans un premier temps, Yahoo met en place une activité
particulièrement développée d’agrégateur de contenus d’information qui consiste
à établir de partenariats de nature différente avec un grand nombre de
fournisseurs. Il s’agit d’une certaine manière d’une position qui est proche de
celle qu’occupent les portails des fournisseurs d’accès, mais qui apparaît
beaucoup plus développée en termes de moyens financiers et techniques qui y
sont dédiés. Au sein de cette activité, nous distinguons une fonction d’achat
de prestations standardisées, comme les dépêches d’agences, et une fonction de
commande de contenus exclusifs auprès d’agences spécialisées ou de journalistes
indépendants. Dans un deuxième temps la société s’adonne également à une
activité d’infomédiare, par le biais de son moteur de recherche sur l’actualité
qui inclut des contenus en provenance de sources extérieurs. Cette
infomédiation se développe également par le biais de l’intégration au portail
des fils RSS en provenance des tiers, mais aussi à travers certaines activités
plus traditionnelles, et proches au métier d’origine d’annuaire, que sont la
constitution des revues de presse et des dossiers thématiques.
Organisation
interne et fonctionnement du service d’actualité
En termes d’organisation interne, la
mise en place d’une offre d’information sur l’actualité constitue un
département distinct, au même titre que ceux dédiés à la recherche
d’information ou le commerce électronique. Le département médias et information
est dirigé par un responsable (bizdef )
qui est chargé de coordonner les différentes équipes et qui s’occupe
essentiellement d’établir les partenariats, ce qui inclut les négociations
commerciales et juridiques avec les prestataires. Les quatre composantes du département, qui
correspondent également à des postes de travail spécifiques, sont l’actualité
généraliste, la musique et le cinéma, le sport et la finance. Chaque unité
était gérée par le passé par deux personnes. La première, appelée
« producteur », était chargée des aspects techniques, c’est-à-dire
gérer les fils de partenaires, décider des formats appropriés, faire la liaison
avec les ingénieurs qui assurent le développement et la maintenance. La
deuxième était chargée davantage des aspects éditoriaux comme le cross-linking, à savoir la mise en
relation des différents contenus sur une base thématique, et la constitution de
full coverage, à savoir des dossiers
thématiques sur une question d’actualité donnée. Depuis 2003, et pour des
raisons de restriction budgétaire, les deux postes ont été fusionnés.
« Il
est vrai que ça fait énormément de travail, de toute façon on est en
sous-effectif chronique, constant. D’où le fait qu’on passe 95% du temps à de
la maintenance, c’est-à-dire régler ce qui ne va pas, et donc on a de moins en
moins de temps au niveau développement, c’est vrai il faut être volontaire si
en plus tu veux développer quelque chose de bon ». Julien Laroche-Joubert - Yahoo
Les profils des personnes qui occupent
les fonctions en question sont assez disparates en termes de formation et
d’expérience professionnelle. En général elles ne disposent pas de formation de
journaliste, mais plutôt des aptitudes de documentaliste acquises au fil du
temps. L’équipe de douze personnes, toutes fonctions confondues, qui gèrent
l’offre d’information du portail yahoo.fr
est en grande partie issue de l’activité historique d’annuaire de Yahoo. La
plupart d’entre elles a été embauchée entre 1998 et 2000, afin de participer à
la constitution de l’annuaire français de Yahoo. Il s’agit d’une activité de
« surfer » qui consiste à vérifier la qualité des sites proposés pour
référencement par leurs éditeurs et par la suite les organiser dans des
catégories préexistantes de l’arborescence de Yahoo. La composante de gestionnaire
de base de données, inhérente à l’activité des « surfeurs », est
également très présente dans la mise en place d’une offre de contenus
d’information. En ce qui concerne cette dernière activité, et les compétences
particulières qu’elle suppose, la personne qui en a la charge se déclare
« autodidacte ».
Les avantages de Yahoo Actualités, mis
en avant par ses responsables, comprennent trois caractéristiques
principales : la pluralité des informations qu’on y trouve, résultat de la
multitude des partenaires fournisseurs de contenu ; l’instantanéité,
c’est-à-dire la possibilité de suivre en temps réel l’évolution sur n’importe
quel thème de l’actualité par le biais du fil automatique de dépêches ;
enfin, la personnalisation, à savoir la possibilité pour les internautes de
présélectionner les sources ou les thématiques qui sont susceptibles de les
intéresser et de créer une page d’information adaptée à leurs besoins,
notamment professionnels, ou leurs centres d’intérêt.
Les gérants des rubriques d’actualité
comparent leur travail quotidien à celui de secrétaires de rédaction dans la
presse. Il s’agit de réceptionner les flux d’information en provenance des
fournisseurs et de les ventiler sur les différentes rubriques en établissant
des passerelles et des liens entre les articles, les photos, les vidéos, les
sons et les infographies sur des bases thématiques, afin de donner une
cohérence à l’ensemble. Cette activité de catégorisation implique un savoir
faire spécifique, proche de celui accumulé par le biais de l’activité
historique d’annuaire de Yahoo. Concrètement, le fonctionnement de l’unité
implique une collaboration assez proche avec les sous-traitants et notamment
les agences de presse. Yahoo dans son approche d’exhaustivité, et contrairement
aux portails des fournisseurs d’accès que nous avons vu précédemment, a établi
des partenariats avec les trois principales agences que sont l’AFP, l’AP et
Reuters. Elle doit donc gérer et mettre en relation plusieurs flux de dépêches
représentant des volumes importants. De ce fait, une norme standard de flux
d’information appelée NewsML s’est imposée, ce qui permet une certaine
homogénéisation de formats et facilite leur traitement[24]. A l’inverse des portails
des FAI qui reprennent telle quelle l’hiérarchie de l’information établie par
les agences sans aucune intervention propre, Yahoo se réserve la possibilité
d’y intervenir et de choisir les sujet qui seront mis en avant dans les pages
d’information. Dès lors il y confrontation et synthèse entre deux grilles
d’hiérarchisation et de catégorisation, celle du fournisseur et celle de Yahoo.
« On
laisse latitude à tous les abonnés type Yahoo de refaire un découpage à
l’intérieur de chaque flux d’information qu’ils reçoivent, je prends un exemple
concret : le flux « France » est envoyé en brut chez Yahoo, Yahoo le
reçoit et l’intègre dans un segment « France » mais intègre aussi le
même flux dans un espèce de sous-répertoire par région. Donc, ce sont eux qui
font le découpage selon les régions et qui intègrent ce flux selon leurs
critères internes. Nous on fait un codage parce qu’on utilise une norme
standard qui est le NewsML, qui est un dérivé de l’IPTC en XML, l’IPTC était
une norme qu’on avait pour toutes les agences sur les flux d’information en
texte, quand on est passé sur le Web on a mis tout ça en XML c’est devenu
NewsML. Dans les balises de NewsML il y a des codes des catégories qui sont
rentrés par chaque journaliste, quand un journaliste tape sa dépêche il rentre
quatre à cinq mots-clés qui sont référencés dans une table et qui vont
accompagner cette dépêche pour permettre un découpage facile. Nous on fournit
cette liste à nos clients et le client ensuite grâce à la liste des mots-clés
peut faire un découpage quand il reçoit les informations ». Thierry Vlaeminck, responsable online
Reuters France, mai 2004
En effet, les journalistes des agences
de presse font accompagner leurs dépêches d’un certain nombre de méta-données,
censées faciliter leur manipulation et leur intégration aux sites des clients.
Ces informations sont essentiellement la rubrique thématique (France, Monde, Sport etc.) et
les mots-clés qui renvoient aux titre et chapô de la dépêche, mais également au
contenu informatif par le biais de mots-clés appelés related. Le travail du responsable de la rubrique de Yahoo consiste
à établir une formule comprenant des catégories, des mots-clés et des
opérateurs booléens qui suivront la dépêche et lui feront intégrer
automatiquement des rubriques spécifiques. Les dépêches ne sont pas exclusives
à une seule rubrique mais peuvent intégrer des catégories thématiques
différentes, selon les critères définis par le gestionnaire de la base. Ces
critères s’efforcent d’anticiper les points d’entrée possibles des internautes
à une thématique. Par ailleurs, toutes les catégorisations effectuées par les
agences ne correspondent pas toujours aux rubriques de Yahoo. Dans ce cas c’est
au responsable de Yahoo de faire le choix et d’attribuer chaque élément à la
rubrique correspondante en termes de contenu.
« Donc là Reuters on peut imaginer qu’ils
vont mettre comme mots-clés les mots Chirac et laïcité, qui sont dans le titre,
comme related le mot voile, et surtout, comme catégorie Politique et France.
Donc en premier cette dépêche va être automatiquement envoyée, si c’est bien fait
c’est à moi de l’assurer, dans France. Ensuite on peut considérer que c’est de
la politique, donc sous France automatiquement elle va partir dans la
sous-rubrique Politique. En gros c’est le système informatique qui le fait. Il
y a des interventions parfois parce que les nomenclatures des fournisseurs ne
sont pas les mêmes que les nôtres, donc on est obligés de jongler un peu.
Après, on va dire que nôtre dépêche sur la laïcité elle est apparue sous
France, qu’elle est apparue sous Politique sans doute aussi sous Société. Ce
n’est pas exclusif, on ne va pas décider que l’article correspond seulement à
telle catégorie. Le principe c’est que la personne peut éventuellement s’y
intéresser parce que elle s’intéresse à Chirac ou parce que elle s’intéresse à
la laïcité. Alors nous ce qu’on va décider en plus c’est de créer un dossier,
en bas de l’arborescence, celui là n’est pas que sur le voile mais c’est sur
les religions et on va y faire tomber toutes les dépêches sur le voile par un
jeu de mots clés, ensuite c’est toujours un arbitrage parce que ça tombe dans
religion mais ça concerne tout autant la condition féminine, alors pareil il
faut définir qu’est ce qu’il faut faire tomber là dedans ». Julien Laroche-Joubert – Yahoo
Effectivement, la valeur ajoutée apportée
par Yahoo sur les contenus d’information est la création des dossiers
thématiques qui peuvent utiliser des ressources diversifiées en provenance de
fournisseurs différents. Au fil du temps la société a constitué une base de
données considérable d’éléments textuels, graphiques ou multimédia, qui
comportent chacun une formule de description, et qui peuvent être recombinés de
manière différente selon l’actualité afin d’offrir la possibilité aux
internautes d’approfondir ou de mettre en perspective une information. Deux
exemples des dossiers thématiques, qui ont bien fonctionné en termes
d’audience, ont été ceux concernant la guerre en Irak en 2003 et les élections
présidentielles aux Etats-Unis en 2004. L’initiative de la constitution et de
la mise en avant de ces dossiers incombe au responsable de la rubrique, qui
décide selon sa propre vision de l’actualité mais également selon ses
contraintes de temps.
Enfin, l’activité est complétée par la
constitution de la Une de Yahoo
Actualités, qui est également présente à la page d’accueil du portail yahoo.fr à travers un onglet spécifique.
Ceci implique un travail de choix et de hiérarchisation qui se rapproche
davantage du journalisme. Il s’agit de définir un nombre réduit d’informations
qui sont considérées comme les plus importantes et qui restent en première
place, indépendamment du flux de dépêches, jusqu’à la prochaine mise à jour.
Sauf évènement exceptionnel, il y a trois mises à jour régulières pendant une
journée, le matin à 7h30, l’après midi à 13h et le soir entre 19h et 20h, qui
correspondent aux pics de connexion observés.
« La
Une par contre c’est un travail de rédaction presque, c’est à dire le matin
quand je commence à travailler à 7h, j’arrive sur le site, je fais le tour de
toutes les rubriques et je m’aide aussi avec le flux de Reuters qui est mis à
jour tous les quarts d’heure où ils ont dix dépêches qu’ils considèrent comme
leurs top stories les plus importantes, et puis en fonction aussi de ce que je
sais de l’actualité je vais retenir entre cinq et dix évènements du jour et
après je vais les mettre en forme et dire voilà ça c’est l’évènement du matin,
grosso modo ce que fait un journaliste. Donc je navigue en fait dans les flux
et puis je m’en sers aussi parce que ça arrive effectivement qu’un évènement je
l’ai même pas vu, il est noyé dans le nombre de dépêches. Donc j’utilise
essentiellement Reuters et AFP et puis comme tout le monde je lis le journal,
j’écoute la radio et c’est à force de croiser les sources qui je finis par me
dire grosso modo c’est ça l’évènement ». Julien Laroche-Joubert – Yahoo
Ligne
éditoriale et positionnement stratégique
La constitution de la Une implique également un travail de
rédaction de titres et de accroches originales. Il s’agit du seul moment où la
personne en charge du service est amenée à produire un contenu propre. Même
s’il s’agit d’un travail minime, c’est l’occasion d’apporter un ton particulier
à la rubrique qui est défini comme « un zeste d’impertinence » et
d’humour. La ligne éditoriale de Yahoo, en ce qui concerne l’information
d’actualité, n’est pas particulièrement affirmée, d’autant plus que l’objectif
premier est l’exhaustivité et la réactivité aux évènements. Néanmoins, il
existe des caractéristiques qui lui sont spécifiques et qui sont censées
définir la particularité du média. Ainsi, tous les évènements majeurs qui
concernent l’internet et les nouvelles technologies d’information et de
communication, comme le Sommet mondial sur la Société de l’Information qui
s’est tenu à Genève en 2003, sont systématiquement mis en avant. De même, des
informations de nature apolitique, comme celles de la rubrique People, peuvent constituer des sujets de
première importance pour Yahoo, contrairement à la majorité des titres de la
presse quotidienne d’information. Cependant, la personne interrogée à ce sujet
révèle une certaine conception de l’actualité qui attribue aux contenus de ce
type une moindre importance par rapport aux informations
« sérieuses » concernant des enjeux sociopolitiques et les évènements
d’envergure. Il y a donc un jugement de valeur qui définit les choix éditoriaux
effectués. Ce jugement rend difficile le glissement vers une approche magazine
de l’information, particulièrement présente au sein de certains portails des
fournisseurs d’accès, où l’on assiste à une mise en avant des thèmes sociétaux,
de consommation ou de divertissement.
« Et
puis, parce qu’on a moins une étiquette à défendre comme Le Monde ou
Libération, on va moins hésiter à mettre en avant du People ou de choses comme
ça. Il y a bien sûr un caractère de décence qui fait que ça ne va pas être mis
en avant s’il y a quelque chose de plus important dans l’actualité. Ca ne sera
jamais le premier sujet, parce que ce n’est pas possible qu’il y ait un jour si
peu d’actualité qu’on considère que ça vaut plus qu’une épidémie de
légionellose dans le Nord par exemple, moi personnellement je ne veux pas aller
là-dessus. De même que je n’irais pas faire la Une sur l’anniversaire de Chirac
comme l’a fait France Soir, je trouve ça scandaleux. On peut dire qu’il y a une
petite volonté éditoriale de mon fait, on ne va pas tout mettre sur le même
niveau, on va essayer de hiérarchiser, mais on n’est pas non plus Le Monde ou
un créateur de contenu éditorial, on diffuse quand même de l’info people et
puis voilà ». Julien
Laroche-Joubert – Yahoo
Il en ressort un sentiment de « responsabilité » qui
découle de la fonction éditoriale que la personne interrogée assume de fait,
accentuée par l’audience considérable dont jouit le service. Ainsi, les lecteurs
n’hésitent pas à le contacter pour porter une critique, l’interroger sur les
raisons de la mise en avant d’une information, l’interpeller sur une accroche
qui leur a parue déplacée. De ce retour, nous pouvons déduire que les
internautes qui consultent l’actualité chez Yahoo sont conscients de la nature
du média et ont des attentes spécifiques. Ainsi, ils rappellent souvent à la
personne en charge du service le rôle essentiellement d’agrégateur que Yahoo
assure, ce qui, aux yeux de certains, ne lui permet pas d’aller trop loin dans
le commentaire ou dans l’appréciation de l’actualité. C’est probablement la
raison pour laquelle depuis le début de l’année 2005 la rédaction d’accroches
originales sur la page d’accueil de yahoo.fr
n’est plus quotidienne mais aléatoire selon les évènements de l’actualité.
« Il
y a de retours de gens qui disent c’est scandaleux vous ne parlez pas de ça ou
arrêtez de parler de ça, forcement il y aura toujours à redire. Ensuite sur le
tout petit aspect éditorial qui est le titre, pour mettre en avant, ou le
visuel, parce que ça c’est nous qui faisons, où là c’est le plus évident. Il y
a dans ce cas une critique très fondée
de gens qui disent ce que vous avez en stock ce n’est pas vous qui le
produisez, en plus ça se veut relativement neutre parce que c’est de la dépêche
d’agence, donc c’est complètement à coté de la plaque quand vous vous permettez
un titre, une accroche très éditoriale alors que derrière vous balancez du
contenu standardisé. Donc on navigue à vue entre les deux. Par exemple ce
week-end, pour les élections en Russie, j’ai fait un sale jeu de mots sur
Poutine, et un mec inconnu, un mec très bien, me dit, c’est très argumenté et
tout, il critique ça de façon très juste. Donc jusqu’à quel point on peut se
permettre de dire qu’on fait un travail éditorial et jusqu’à quel point il faut
avoir l’honnêteté de dire on ne fait jamais que agréger du contenu et
voilà ? Parce que on ne maîtrise pas le fond, la maîtrise est assez
limitée, à la marge, sur le choix de partenaires ». Julien Laroche-Joubert – Yahoo
Yahoo s’efforce de palier à ce manque
de ton éditorial par la publication d’éditoriaux écrits exclusivement pour le
service Actualités par des
journalistes indépendants et par la republication des articles de la même
nature en provenance de la presse quotidienne, notamment régionale.
Parallèlement, Yahoo ouvre ses pages d’actualité de façon régulière à des
acteurs politiquement engagés. C’est à ce titre que Bernard Cassen, président
d’honneur d’Attac, a signé plusieurs éditoriaux sur le portail pendant la
campagne référendaire sur le Traité constitutionnel européen en 2005. Cette
ouverture politique de Yahoo Actualités constitue une de ses spécificités par
rapport à ses concurrents en provenance des fournisseurs d’accès. Il s’agit
d’un positionnement « média » qui apparaît également dans
l’implication du portail dans la commande de sondages sur des sujets
politiques, en partenariats avec des journaux ou des radios d’information. Le
but est de pouvoir offrir aux internautes une information partiellement
différenciée avec des productions exclusives et non pas entièrement fondée sur
les dépêches standardisées des agences de presse.
Partenariats
et sous-traitance éditoriale
Cet effort de différenciation de
l’offre s’articule avec le choix de partenaires sur des thématiques diverses.
Comme dans le cas des portails des FAI, les modalités précises de chaque
partenariat dépendent de la nature de l’acteur et du rapport de forces qu’il
peut établir avec Yahoo. Dans un premier temps, il y a les fournisseurs
principaux que sont les trois grandes agences de presse AFP, AP et Reuters. Il
s’agit d’une relation classique fournisseur-client dans laquelle le premier est
rémunéré pour alimenter le second en contenus d’information. Dans ce cas de figure,
et en raison de la stratégie d’exhaustivité de Yahoo, il n’y a pas de
substitution possible de ces agences de presse et donc Yahoo se trouve dans
l’obligation de traiter avec ces acteurs qui chacun apporte des compétences
particulières – AFP pour la France, AP pour le monde et Reuters pour la
finance. En revanche, les relations étroites nouées par Yahoo avec ces derniers
lui permettent de faire jouer la concurrence sur les prix et ainsi bénéficier
d’un moindre coût. Ceci d’autant plus que les prestations des agences de presse
sont partiellement substituables entre elles. Il est à noter ici qu’en raison
de son importante audience, le fait de diffuser de l’information sur Yahoo,
avec la mise en avant de la marque, contribue à la notoriété des agences qui
peuvent ainsi attirer de nouveaux clients.
« Notre
souci à nous c’est qu’on est très connus en tant qu’agence de presse financière
dans le marché financier, mais au niveau du grand public personne ne
connaissait pratiquement Reuters, beaucoup des gens connaissaient l’AFP mais
pas Reuters. Donc ça a eu un fort impact au niveau du branding puisque on est
présent aujourd’hui sur Yahoo, sur des portails de ce genre, ce qui amène une
reconnaissance de la part du public de la marque Reuters ». Thierry Vlaeminck - Reuters
Dans un second temps, Yahoo établit des
partenariats également avec des titres de la presse écrite et des chaînes de
radio et de télévision. Il accède ainsi à des articles ou des reportages
sonores et vidéo comme dans le cas de M6
et de Europe 1. Il s’agit de
partenariats payants, mais qui peuvent prendre la forme d’échange d’espace
publicitaire. Yahoo met également à disposition des offres payantes de la part
des éditeurs, comme la possibilité de visionner une chaîne d’information en
direct, c’est le cas de LCI.
Dans ce
cas de figure, les revenus ainsi générés sont
répartis entre Yahoo et le
fournisseur. Enfin, Yahoo achète auprès de prestataires
de reportages originaux
et exclusifs. Pour cela, la société s’adresse
à des agences de presse
« indépendantes »,
de taille réduite et aux moyens limités, mais qui
innovent en termes de formats
adaptés à l’internet et de ligne éditoriale.
La plupart du temps une telle
collaboration constitue le seul moyen de diffusion auprès du
grand public pour la
production de ces agences, en dehors des diffuseurs traditionnels que
sont les
chaînes de télévision.
« Simplement,
ce qu’il faut comprendre, c’est qu’internet nous
permet d’exister. C’est un
média, un lieu sur lequel on peut aller rencontrer notre public
aussi
facilement que les grandes agences ou que les grandes chaînes de
télévision.
Quand on va sur Yahoo, la première page fait de millions
d’internautes tous les
jours et on y trouve Digipresse aussi facilement que TF1 ou AFP.
Internet nous
permet d’avoir une certaine exposition, et c’est le seul
média qui peut faire
ça. On ne pourrait pas avoir notre canal de diffusion sur la TV
par câble parce
qu’on est trop petit. Sur la TV hertzienne jamais le CSA nous
accorderait la
moindre fréquence, donc il n’y a que sur l’internet
qu’on peut être à égalité
avec les gros. Internet est un égalisateur de chances de
diffusion ». Philippe Blanchard, fondateur et dirigeant
de Digipresse, juin 2003
Pressions
commerciales et crédibilité
Par
ailleurs, comme dans le cas de
portails généralistes, il existe chez Yahoo des
partenariats de type
« visibilité contre contenu ». Dans ce
cas, les partenaires, pour la
plupart des sites d’information spécialisés,
fournissent du contenu
d’information gratuitement à Yahoo qui le diffuse sur son
portail dans des
rubriques thématiques comme la santé ou le sport. En
échange, Yahoo met en
avant la marque du fournisseur qui à son tour profite de
l’audience du portail
afin d’accroître la notoriété de son propre
site. Dans les thématiques spécialisées,
où la concurrence est très élevée, le
rapport de force est largement favorable
à un important diffuseur comme Yahoo, qui peut imposer ses
contraintes aux
prestataires jusqu’à jouir gratuitement de leurs services.
En raison de la
multitude d’acteurs, le cas échéant, si une offre
de contenu semble plus
intéressante, Yahoo peut changer de partenaire et lui procurer
ainsi un
avantage concurrentiel. En revanche, aux dires du responsable du
service, la
société n’accepte jamais d’être
payée afin de diffuser les contenus d’un
partenaire, comme c’est le cas chez AOL par exemple. Notre
interlocuteur tente
ainsi de préserver la séparation entre les services
commerciaux et éditoriaux,
censée garantir l’indépendance de
l’information, en résistant aux pressions
venant du marketing. De même, il s’efforce de
définir l’hiérarchie des
informations sur des critères
« objectifs » et sans prendre en compte
les intérêts de Yahoo dans une opération
promotionnelle ou un partenariat
commercial.
« Il
y a vraiment une ligne directrice qui est : pas de publi-reportage, pas de
promotion dans l’information. Il y a eu un débat fort en 2000 où Yahoo était
partenaire de l’incroyable Pique-Nique, un évènement organisé avec des
partenaires. Forcément le marketing voulait absolument qu’on fasse quelque
chose là-dessus. On a le même débat tous les ans sur le Téléthon, ils veulent
qu’on couvre absolument ça parce qu’ils en sont partenaires. Moi j’ai dit non.
A chaque fois il a fallu leur expliquer, mais comme dans toutes les boites les
commerciaux tirent dans une direction et puis ceux qui défendent l’éditorial de
l’autre. On leur a expliqué que non, si éditorialement parlant il y a
effectivement un évènement particulier et que c’est vraiment un évènement on en
parlera, mais on n’en parlera pas parce que on décide nous que c’est un
événement. Je suis à peu près couvert sur ça par Yahoo, je pense que ce n’est
pas plus difficile que ça doit l’être dans les médias presse. J’imagine qu’on
doit être plus proche des magazines où il peut y avoir de pressions justement
commerciales, genre on peut tourner la Une de cette façon pour que ça aille
bien avec la promotion etc. Moi, je veux pas qu’on tue le truc en faisant
n’importe quoi…Ca c’est un combat de tous les instants, mais c’est normal, un
commercial il passe sa journée à cirer les pompes pour faire du fric, lui son
optique c’est sa prime à la fin du trimestre, donc il pousse au maximum et tant
que tu dis oui, il continue. Par contre il faut lui expliquer qu’on va peut
être gagner financièrement sur le court terme, mais par contre ça va être
désastreux dans le long terme ».
Julien Laroche-Joubert – Yahoo
Dans la même lignée, la personne
interrogée s’efforce de résister à des pressions qui visent à imposer une mise
en avant systématique des thématiques apolitiques et commerciales comme les
rubriques People et Sport. Même si ce responsable semble
convaincu qu’un tel positionnement pourrait avoir des résultats positifs au
niveau de l’audience sur le court terme, et donc accroître les recettes
publicitaires, il refuse d’appliquer le principe afin de préserver un certain capital de crédibilité dont le service
dispose auprès des internautes. A ce titre, il se déclare rassuré par le fait
que les thématiques qui attirent l’audience la plus importante sont dans l’ordre
Monde et France, suivies par People,
Sport et Insolite, cette dernière étant une thématique apparue exclusivement
sur le web et qui a représenté autour de 7% de l’audience de Yahoo Actualités
en 2004.
Ouverture
et neutralité active
La stratégie d’exhaustivité
précédemment mentionnée pousse les responsables du service à ouvrir le site de
Yahoo vers l’extérieur. L’une de ces ouvertures est constituée par la revue de
presse qui complète l’offre d’information avec des liens externes vers des
sites d’information tiers avec lesquels il n’existe pas de partenariat
commercial. Le choix et la hiérarchisation de ces liens se fait manuellement
sur de critères « journalistiques »
et suppose une bonne connaissance des sites d’information français, d’un
point de vue documentaire, mais également la compréhension de leur ligne
éditoriale et de leur positionnement politique. La revue de presse de Yahoo
vise à donner un aperçu global d’un évènement en recoupant diverses sources et
plusieurs points de vue
« Sur la revue de presse, quand on fait
une collection de liens hypertexte sur un sujet là on peut dire qu’il y a un
parti pris, ce qui peut poser problème aux gens qui ne comprennent pas qu’on
puisse, sur un sujet de politique française, pointer sur des articles de Politis
ou de National Hebdo. Moi je le fais quand même et je considère que c’est une
bonne chose, même si je comprends que ça puisse choquer des gens. C’est à dire
que si on parle de Le Pen et qu’on balance des articles de Libération ou du
Figaro, et il y a aussi Politis ou National Hebdo je trouve ça normal et je
pense que c’est l’intérêt de l’internet justement de montrer un lien externe
pour dire voilà vous pouvez voir ce qu’ils racontent sur leur propre site le
FN. L’idée c’est que, normalement vu que c’est neutre, enfin c’est une
agrégation de contenu, donc c’est aux gens de faire la synthèse ». Julien Laroche-Joubert – Yahoo
Il s’agit d’une certaine façon d’une
approche qui se fonde sur une neutralité
active et qui consiste à s’efforcer de donner tous les points de vue sur
une question, même ceux qui sont clairement engagés, diffuser tous les contenus
susceptibles d’apporter un éclairage, être exhaustif sur le traitement par le
biais de partenaires et de liens externes, sans prendre position. Cette neutralité
active laisse le soin aux lecteurs de faire la synthèse et de tirer les
conclusions pour un évènement ou une situation donnée, en fournissant
simplement les outils pour le faire. D’où la possibilité pour les internautes
de suivre sur le portail le flux de dépêches d’information « au fil de
l’eau », c'est-à-dire sans hiérarchisation aucune, si ce n’est leur ordre
chronologique. Une telle approche correspond bien aux pratiques et aux attentes
d’une certaine catégorie d’usagers de l’information en ligne, que nous avons
examiné précédemment, qui combinent plusieurs sources d’information afin de se
faire leur propre idée de l’actualité.
L’ouverture vers l’extérieur des
portails de Yahoo va jusqu’à intégrer des fils RSS en provenance de sites
tiers. Concrètement, les pages d’actualité offrent la possibilité d’une
personnalisation relativement poussée. Il s’agit de pouvoir présélectionner un
certain nombre de thématiques, par rubrique ou par mots-clés, et constituer des
pages qui comportent exclusivement des informations sur ces thèmes, choisies
parmi les contenus propriétaires de Yahoo. La dernière étape de cette évolution
est la possibilité d’intégrer à ces pages personnalisées des liens hypertexte
qui renvoient vers des sources extérieures sélectionnées par les internautes.
Ceci à l’aide des fils RSS, qui sont en fait des flux XML mis à jour
périodiquement permettant d’effectuer une veille sur des sources prédéfinies.
De cette façon l’internaute constitue son propre espace d’information sur le
portail Yahoo qui comporte des informations dont la sélection obéit à des
critères personnalisés, non seulement parmi les contenus de Yahoo mais
également parmi tous les sites qui disposent d’un fil RSS. Il s’agit d’une
fonctionnalité qui existe depuis un certain temps au sein de services
relativement confidentiels comme Newsisfree, que nous allons examiner plus
loin, mais dont Yahoo est le premier acteur d’envergure à faire usage de façon
massive[25].
« Le
service dit : qu’est ce que vous voulez ajouter à votre actualité
politique ? Voici quelques blogs ou même CNN et MSNBC. Le fait que ça se
passe avec du XML ou du RSS n’est pas important. La plupart des usagers ne
veulent pas savoir comment ça fonctionne. Nous sommes le premier portail à
avoir fait quelque chose avec du RSS, et nous avons eu un an et demi pour
améliorer le service. Le but a été de le populariser auprès du grand public, et
maintenant que nous l’avons fait, la question que l’on se pose est de savoir
comment l’intégrer davantage dans le réseau Yahoo. Le concept est si puissant
qu’il permet à n’importe qui de suivre n’importe quelle source »[26].
Montée
en puissance de l’infomédiation
A
partir du concept de revue de presse
électronique est née l’idée de mettre en
place un moteur de recherche sur
l’actualité. Yahoo a été
précédé dans la mise en place d’un tel
service par
Google puis MSN. En revanche sa bonne connaissance du secteur des
médias,
notamment en France, ainsi que les divers partenariats établis
avec les
éditeurs auparavant lui ont permis d’éviter les
écueils auxquels se sont
heurtés les acteurs précédemment mentionnés
et dont nous examinerons les
conséquences plus loin. Le principe consiste à appliquer
un moteur de recherche
classique uniquement sur une sélection des sources
« médias » comportant
de contenus d’information. Ainsi, à l’aide de
mots-clés, on obtient
automatiquement une revue de presse électronique sur un sujet
donné. La
question qui se pose est de savoir comment et sur quels critères
est effectuée
une telle sélection. Pourquoi une source fait partie de la
sélection et pas une
autre ? N’ayant pas réussi à avoir
d’informations précises à ce sujet,
nous pouvons avancer l’hypothèse suivante :
étant donné la division du
travail au sein du groupe et son fonctionnement, il est possible que
les filiales
locales de Yahoo aient fourni une liste des sources d’information
par pays,
susceptibles de faire partie de la sélection en raison des
critères comme la
notoriété des supports et leur périodicité,
la qualité et la gratuité de
l’information. Ceci parce que la sélection automatique de
liens effectuée par
le moteur doit conduire à des contenus tiers librement
accessibles. Par la
suite, les ingénieurs de développement de la firme aux
Etats-Unis, ou à Londres
pour la partie européenne, se sont chargés
d’appliquer le moteur de recherche à
cette sélection de sources, en
« nettoyant » la base et en effectuant
les réglages nécessaires. Les éditeurs de sites
concernés ont été associés au
processus, du moins pour les plus importants d’entre eux, ce qui
a évité les
conflits sur les questions de rémunération et de droits
d’auteur.
Cette évolution renforce le coté
mécanique de la constitution d’une offre d’information, par opposition à
l’aspect éditorial qui nécessite une intervention humaine pour le choix et la hiérarchisation
des contenus. Dans le cadre du moteur de recherche sur l’actualité, qui produit
des revues de presse électroniques automatiquement, la hiérarchisation des
sources se fait selon des critères propres à la technologie utilisée. Les
algorithmes mis en œuvre dans la fonction de recherche agissent comme des
intermédiaires entre les internautes et les informations disponibles sur
l’internet et acquièrent ainsi une position clé dans l’appréhension d’une
question donnée par une partie importante du public. De cette façon, les
dispositifs techniques pèsent indirectement sur la perception des enjeux
sociaux présents dans la sphère publique, en appliquant leurs propres critères
de pertinence dans l’ordonnancement de l’actualité.
Par ailleurs, la plateforme technique
de Yahoo dans son ensemble étant complètement modulable, elle permet de
fonctionner avec moins de personnel qu’actuellement.
« L’énorme
force de Yahoo, qui permet de faire ce service c’est l’automatisation qui n’a
besoin finalement que d’un ouvrier de maintenance et qui n’a pas besoin des
bras pour l’actionner. Une plate-forme telle que celle de Yahoo permet des
économies d’échelle, en tous cas en ce qui concerne les ressources, parce que
c’est quelque chose de très bien fait. On pourrait être à 40% automatique et
60% éditorial, après en fonction de ce qu’on a comme ressources on pourrait
décider d’être à 100% automatique, on pourrait fonctionner à minima, il y
aurait beaucoup moins de choses dessus, on serait essentiellement sur nos gros
fournisseurs AFP, Reuters, AP et puis il y aurait plein de taches automatiques,
moins d’arborescence et on se rapprocherait plus de ce que fait Wanadoo, c’est
tout à fait modulable. Ce n’est pas un système qui tourne et qui exige un
nombre précis de personnes ».
Julien Laroche-Joubert – Yahoo
Selon le responsable de Yahoo News aux
Etats-Unis Neil Budde, ancien journaliste au Wall Streer Journal, cette modularité entre automatisation et
travail manuel constitue un avantage pour le service. Ceci parce qu’elle « libère
les éditeurs humains afin qu’ils puissent faire ce qu’ils devraient, à savoir
des choix éditoriaux »[27].
Cependant, il n’est pas certain que la stratégie actuelle de hiérarchisation de
l’information, partiellement grâce à un travail éditorial manuel, soit pérenne.
Jusqu’en 2005, Yahoo Actualités a échappé partiellement à la vague de
restructurations qui a marqué le secteur des portails généralistes en raison de
son succès en termes d’audience. Ce qui constitue un argument économique fort
quant à la préservation d’un caractère éditorial du service assuré par des
travailleurs de l’information spécialisés dans le domaine de l’actualité.
« C’est
tout le temps l’arbitrage, la balance entre comment faire de l’argent et en
même temps comment ne pas tuer la poule aux œufs d’or. Les résultats nous
aident, tant que ça marche c’est plus facile de se faire entendre. J’imagine
que pour ceux qui ont lancé d’autres portails qui ne marchent pas très bien,
ils doivent avoir du mal avec ses arguments éditoriaux, parce que comme le truc
ne marche pas très bien il y a moins cet effet « ça fait venir du monde » et
même si on gagne pas beaucoup d’argent avec ça on le gagne ailleurs ». Julien Laroche-Joubert – Yahoo
Cependant, au fur et à mesure du
perfectionnement des dispositifs techniques de recherche qui simulent une
compréhension sémantique des pages web, il est possible que les opérateurs
humains soient progressivement remplacés par des opérateurs logiciels, ce qui
aboutira à des économies en termes de force de travail mais posera des
questions nouvelles quant à la position dominante potentielle de cette
infomédiation technique et ses enjeux.
A ce sujet, la presse a révélé en 2005
que depuis peu les principaux acteurs de la recherche sur l’internet que sont
Yahoo, Google et MSN, collaborent avec le gouvernement chinois afin de
contrôler les contenus accessibles par le biais de leurs moteurs de recherche
respectifs à la population de ce pays. Il s’agit de filtrer un certain nombre
de mots-clés comme « démocratie », « liberté » ou
« droits de l’homme » dans les résultats des recherches effectuées
depuis la Chine[28]. Si
pour le gouvernement chinois il s’agit d’une mesure qui entre dans la droite
ligne de sa politique de contrôle de l’internet, visant à empêcher une prise de
conscience démocratique dans le pays, cette évolution pose des questions quant
à la capacité des acteurs précédemment cités à volontairement restituer une
image déformée de l’internet selon des critères arbitraires. Effectivement, les
pages qui n’apparaissent jamais dans les résultats des principaux moteurs de
recherche de fait n’existent pratiquement pas, du moins pour les personnes qui
ne connaissent pas préalablement leur existence ou qui ignorent leur adresse
exacte. De plus, toutes les recherches actuelles dans ce domaine, dont nous
avons présenté un aperçu pour ce qui concerne Yahoo, vont justement dans le
sens du développement des outils de recherche spécialisés avec l’utilisation de
« filtres » techniques qui restreignent le nombre de pages web prises
en compte afin d’améliorer la pertinence des résultats. Or, dans le cas de la
Chine il n’y a pas amélioration du service rendu aux internautes mais plutôt un
contrôle arbitraire aboutissant à l’empêchement d’accéder à certains sites qui
justement peuvent paraître pertinents à de nombreux internautes chinois. Nous
pouvons déduire de cet exemple que les technologies développées actuellement
confèrent une puissance considérable aux acteurs en question, qui peut être
appliquée à bon ou à mauvais escient selon leurs intérêts du moment. Ce
phénomène est d’autant plus flagrant dans le cas de Google que nous allons
examiner par la suite, qui dispose en 2005 du moteur de recherche le plus
utilisé au monde.
[1] Rapport Annuel 2004 de Yahoo, disponible à l’adresse
suivante : http://yhoo.client.shareholder.com/annual.cfm
[2] Source : Médiamétrie – L’Observatoire des usages
internet, avril, 2005, (cf. Annexe 12).
[3] Interview de Philippe Guillanton et Grégoire
Clémencin, dirigeants de Yahoo France, accordée à Neteconomie.com, le 21 mars
2000. Accessible à l’adresse : http://www.neteconomie.com/perl/navig.pl/neteconomie/infos/article/20000321022609
[4] Source : panel Nielsen NetRatings « domicile
et travail », Décembre 2004.
[5] Source : http://fr.adinfo.yahoo.com/adpremium.html
[6] Source : « Yahoo double son bénéfice net au
premier trimestre », ZDNet.fr, non signé, mercredi 20 avril 2005,
accessible à l’adresse : http://www.zdnet.fr/actualites/internet/0,39020774,39218830,00.htm
[7] Interview de Clotilde
de Mersan, chargée du Business Developpement chez Yahoo France, accordée à
Netéconomie.com le19 aout 2002.
Accessible à
l’adresse : http://www.neteconomie.com/perl/navig.pl/neteconomie/infos/article/20020819114455
[8] Interview de Clotilde
de Mersan, op cité.
[9]Source : « Yahoo joue
collectif ! », Guillaume Deleurence, 01net.com, 30 juin 2005,
accessible à l’adresse : http://www.01net.com/editorial/283034/recherche/yahoo-joue-collectif/
[10]http://eurekster.com/
[11] http://mindset.research.yahoo.com/
[12] A titre d’exemple, une recherche informative sur le
mot « mp3 » par le biais de Mindset conduit vers des pages qui
décrivent l’historique de création de ce format de compression de sons ou qui
donnent de solutions techniques. A l’inverse une recherche de consommation sur le
même mot-clé mène vers des services de téléchargement payant de musique.
[13] http://search.yahoo.com/subscriptions
[14] http:// fr.search.yahoo.com/video
[15] Le streaming est un principe utilisé principalement pour
l’envoi de contenu en « direct » (ou en léger différé). Très utilisé sur
Internet, il permet de commencer la lecture d’un flux audio ou vidéo à mesure
qu’il est diffusé. Il s’oppose ainsi à la diffusion par téléchargement qui
nécessite par exemple de récupérer l’ensemble des données d’un morceaux ou d’un
extrait vidéo avant de pouvoir l’écouter ou le regarder. Le lecteur de contenu
streaming va récupérer une partie du contenu qu’il met dans une mémoire tampon
(dite buffer). Lorsque le programme estime qu’il a suffisamment de données dans
sa mémoire tampon pour lui permettre de lire le contenu audio ou vidéo sans
accroche, même en cas de petit ralentissement réseau, la lecture démarre. Il
existe deux sortes de streaming : statique et dynamique. Le streaming dynamique
sélectionne le niveau de qualité en fonction de la vitesse de connexion afin
d’être en mesure de démarrer la lecture directement. Les webradios constituent
un exemple pratique d’utilisation du streaming. Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Streaming
[16] Interview d’Antoine Duarte, Directeur général de
Yahoo! France, accordée à Jérôme Bouteiller, Neteconomie.com, 16 mars 2005,
accessible à l’adresse : http://www.neteconomie.com/perl/navig.pl/neteconomie/infos/article/20050316100339
[17] http://help.yahoo.com/help/fr/ysearch/video/video-06.html
[18] Etude disponible à l’adresse : http://www.revenuescience.com/news_releasesdetail.asp?prID=050419
[19] Source : « Un vaste choix de services Internet Yahoo
sont pré-installées sur les téléphones Nokia Séries 60 », La
Nouvelle Republique.com, 5 mai 2005, non signé.
[20] Voir à ce sujet : « Vente d’objets
nazi : Yahoo relaxé », Libération, mercredi 6
avril 2005, non signé.
[21] Interview de Philippe Guillanton et Grégoire
Clémencin, op. cité
[22] Interview de Jerôme Mercier, vice-président marketing de Yahoo Europe, accordée à Frédéric Quin, Journal du Net, 10 mai 2005, accessible à l’adresse : http://www.journaldunet.com/itws/it_jmercier.shtml
[23] http://fr.news.yahoo.com/
[24] La norme NewsML se fonde sur l’idée qu’un contenu
d’information peut inclure plusieurs composantes en texte, image, son ou vidéo,
ce qui implique un ensemble de meta-données qui permettent au destinataire de
comprendre les relations entre ces composantes et la fonction de chacune
d’entre elles. Le format NewsML permet par exemple à un producteur
d’information de fournir le même texte en plusieurs langues, une vidéo en
plusieurs formats ou une images en différentes résolutions. Pour plus
d’information voire http://www.newsml.org
[25] « RSS signifiait initialement "Rich Site
Summary" (Sommaire de site enrichi) mais l’acronyme est souvent interprété
comme "Really Simple Syndication" (une syndication vraiment simple).
Concrètement, RSS est un moyen de décrire un contenu Web, à l’aide de balises
spécifiques. Le principe de fonctionnement de RSS est très simple : un fichier
texte est généré par un site Web ou un blog. Ce fichier comporte des
"tags", qui caractérisent le contenu et sont décodés par des
logiciels conçus à cet effet. Le principe est donc très similaire à celui de
HTML. Un fichier HTML est décodé par un navigateur Web, qui
"comprend" la signification des balises, les interprète, et affiche
le résultat sans les tags (texte formaté, liens hypertextes actifs, etc.).
C’est la même chose pour RSS, dont la lecture nécessite un outil spécial, un
"agrégateur" ou "lecteur RSS". Ce qu’on appelle
"flux" ou "fil" RSS est donc un simple fichier texte,
comprenant du contenu (en général une succession d’actualités) et des balises
délimitant les champs de ce contenu (titres, dates, auteurs). En quelque sorte,
c’est un "résumé propre", formaté dans une syntaxe précise, de ce
qu’il y a de nouveau sur un site Web. Ce fichier est le plus souvent généré
automatiquement, au fur et à mesure de la publication de nouvelles actualités,
de sorte qu’il n’existe qu’un fichier RSS pour un site Web ou blog donné (il
est toutefois possible de générer plusieurs fils RSS, un par rubrique du site
par exemple, mais le principe reste le même). L’utilisateur qui veut ensuite
tirer parti de ce contenu, c’est-à-dire le syndiquer sur son propre site ou
simplement consulter le fil d’actualités correspondant, n’a plus qu’à récupérer
ce "fichier RSS", accessible par une URL unique ». Source :
Cyril Fiévet et Marc-Olivier Peyer,
http://www.pointblog.com/abc/rss_et_syndication_1.htm
[26] Scott Gatz, directeur de développement des produits
personnalisés de Yahoo Inc. Source : « Inside Yahoo : Aggregator
brings RSS to the masses », Mark Glaser, Online Journalisme Review, 1er
avril 2005. Accessible à l’adresse: http://www.ojr.org/ojr/stories/050331glaser/
[27] Source :
« Inside Yahoo : Aggregator brings RSS to the masses », Mark
Glaser, Online Journalisme Review, op. cité.
[28] Source : « Microsoft, Yahoo et Google collaborent avec Pékin pour assurer la censure », Courrier international, 23 juin 2005, non signé.
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