7.1 La mise en place d’une stratégie d’exhaustivité dans le cas de Yahoo

 Yahoo a été créé au début des années 90 par deux étudiants américains en ingénierie électrique de l’Université de Stanford, Jerry Jung et David Filo. L’idée originelle était de créer un guide, une sorte de bibliothèque thématique, qui répertorierait en catégories tous les sites internet que les créateurs de Yahoo jugeaient intéressants. Il s’agissait d’une activité d’annuaire fondée sur la constitution manuelle d’une arborescence des catégories de sites. A partir de 1995, avec l’arrivée de la société de capital-risque Sequoia Capital et de l’entrepreneur Tim Koogle, Yahoo devient une entreprise commerciale caractérisée par une croissance importante. Aujourd’hui, le réseau international de Yahoo comporte 24 sites locaux. Son siège est situé toujours à Sunnyvale, en Californie, mais la société est implantée en Europe, dans la zone Asie-Pacifique, en Amérique Latine, au Canada et aux Etats-Unis.

Pour l’exercice 2004, Yahoo Inc. a généré un chiffre d’affaires de l’ordre de 3 574M de dollars, soit un profit net de l’ordre de 839,5M de dollars, pratiquement quatre fois supérieur de celui de 2003. Ceci grâce à une augmentation de l’audience sur l’ensemble des sites du réseau Yahoo de 31% entre 2003 et 2004, combinée à une reprise du marché publicitaire au niveau mondial. Sur la même période, 88% de revenus du groupe proviennent de la publicité et le marketing, soit 3 148M de dollars, le reste provenant de la vente de services. En 2004, 74% du chiffre d’affaires s’effectue aux Etats-Unis et 26% à l’international[1]. La firme dispose de 7 600 salariés dans le monde, dont une centaine en France. Yahoo France a été fondé en 1996 par Denis Jamet, qui a occupé ensuite le poste de directeur de la production et ingénierie de Yahoo Europe entre février et mai 1999. Le site yahoo.fr a concentré une audience de 8 717M de visiteurs uniques pour le mois d’avril 2005, ce qui le place à la sixième place de l’internet français pour la même période[2].

 

Organisation interne, audience et sources de financement

L’organisation interne de Yahoo s’articule autour de six départements : recherche d’information, e-commerce, communications et communautés, médias et information, services aux entreprises et fourniture d’accès à l’internet. Cependant, son modèle économique est essentiellement fondé sur un financement indirect par la publicité et le marketing, ce qui implique un effort constant pour attirer une audience de masse aux différents portails du groupe. Il s’agit d’un positionnement « média », assuré par des dirigeants qui proviennent du secteur des industries culturelles, plutôt que du monde de l’informatique. Ainsi, le PDG de Yahoo, Terry Semel, a commencé sa carrière au sein des majors du cinéma et John Marcom, le responsable des activités de Yahoo à l’international, est un ancien journaliste du Wall Street Journal ayant travaillé précédemment pour le groupe Time-Warner. Afin d’attirer et de qualifier une telle audience, Yahoo met à disposition des internautes un très grand nombre de services gratuits comme la recherche, l’annuaire et le courrier électronique entre autres.

« Vis-à-vis de nos annonceurs, nous leur proposons toute une méthodologie d’exploitation ciblée et raisonnée de cette audience : la puissance seule n’est rien si elle ne peut pas être canalisée et domestiquée. Nous vendons de très nombreuses solutions de ciblage de consommateurs qui s’axent sur l’approche média traditionnelle (achat d’espace contextuel validé par des études d’audience externes sur le profil des utilisateurs de ces contextes), le marketing promotionnel que le web rend si aisé (création de promotions destinées à constituer des bases de données d’utilisateurs pour nos annonceurs), le marketing direct en utilisant les profils de nos utilisateurs qui ont personnalisé certains services »[3].

L’audience de yahoo.fr se concentre auprès d’une frange d’actifs, 57,2% des internautes qui visitent les sites ont entre 25 et 49 ans, et d’hommes, qui constituent 62% de l’audience[4]. Parallèlement, Yahoo concentre une audience significative au sein des catégories socioprofessionnelles supérieures, ce qui lui permet de mettre en place des offres d’espace publicitaire spécifiques comme celle appelée Ad Premium CSP+, mise en place en 2003. Il s’agit d’une offre qui combine un espace exclusivement dédié à l’annonceur pendant toute la journée du lundi sur la page d’accueil, puis des espaces ciblés dans les différentes rubriques éditoriales pendant le reste de la semaine[5]. Le lundi matin est considéré par la régie publicitaire de Yahoo comme l’équivalent du prime time de la télévision en raison de l’audience massive depuis les lieux de travail, ce qui implique une population de cadres à fort pouvoir d’achat, particulièrement recherchée par les annonceurs. A ce titre, les responsables de la régie de Yahoo n’hésitent pas à comparer, en termes d’efficacité, leur offre premium aux matinales des radios d’information ou aux quatrièmes de couverture des magazines grand public et des quotidiens d’information générale et politique.

En 2003, la société a fait l’acquisition de Inktomi et d’Overture afin de améliorer sa fonction de recherche et surtout sortir d’une dépendance envers son concurrent direct Google, qui sous-traitait ce service auparavant. Parallèlement, un effort considérable est également porté sur le commerce électronique et la mise en place d’un large éventail de services payants afin de s’affranchir partiellement du financement indirect. Ainsi, Yahoo a fait l’acquisition du comparateur de prix français Kelkoo et de la plateforme payante de téléchargement de musique Musicmatch en 2004. Ce repositionnement partiel semble réussi puisque le premier trimestre 2005 a été particulièrement porteur en termes financiers avec une augmentation de 54% de revenus publicitaires par rapport au premier trimestre 2004, mais surtout une augmentation de 61% de la vente de services directement auprès des internautes dans la même période[6]. Cependant, l’objectif qui a été annoncé par le PDG du groupe Terry Semel en 2002, à savoir une part de revenus de 50% en provenance de la vente de services pour 2004 a été loin d’être atteint[7].

 

Positionnement stratégique et fonction de recherche

Dans l’ensemble la stratégie de Yahoo consiste en un effort d’exhaustivité quant au choix de services et de contenus que sa cible privilégiée d’internautes est susceptible d’utiliser. C’est ainsi que le portail yahoo.fr concentre un très grand nombre de contenus d’information et de divertissement, ainsi qu’une série très complète de services personnels. Une partie de ces services stratégiques, comme la recherche ou le courrier électronique, sont développés en interne, mais la grande majorité est sous-traitée en externe.  

« Il faut bien comprendre que nous avons une double stratégie. D’une part, une stratégie qui consiste à lancer des services complètement intégrés où Yahoo maîtrise le contenu, la tarification et la relation client et qui sont des services assez longs à mettre en place. D’autre part, une stratégie pragmatique consistant à saisir les opportunités en attendant de disposer des services intégrés. Il se trouve que certains éditeurs ont du contenu à valeur ajoutée que Yahoo France peut distribuer à ses utilisateurs à la condition que ces derniers respectent notre charte de qualité. Mais à long terme, l'objectif reste d'intégrer ces services à nos plate-formes »[8].

En ce qui concerne l’activité historique de Yahoo, celle d’annuaire constitué par des opérateurs humains, elle est progressivement reléguée au second plan au profit du développement de moteurs de recherche logiciels, à l’image de Google. Ainsi, depuis fin 2004 la rubrique Annuaire est repositionnée en bas de la page d’accueil de yahoo.fr, avec en parallèle une mise en avant de la recherche automatique. Cette dernière constitue désormais la première priorité pour Yahoo, comme pour ses principaux concurrents. Les efforts de développement se portent dans la direction des outils qui simulent une recherche sémantique sur le web avec utilisation de diverses méthodes expérimentales.

Dans le cas du service My Web, qui se présente sous la forme d’une barre intégrée au navigateur internet, Yahoo propose aux internautes d’utiliser leurs réseaux sociaux afin d’améliorer la recherche d’information sur l’internet[9]. Dans un premier temps, le service permet aux internautes d’archiver leurs recherches, de les organiser par dossiers et de les rendre disponibles à d’autres internautes qui partagent les mêmes intérêts. Dans un second temps les utilisateurs sont invités à affecter des mots-clés (tags) à certaines pages web, ainsi que des commentaires. Il s’agit d’une forme d’appréciation qualitative ou d’un classement effectué par des internautes. Ces derniers accumulent progressivement et de manière collective un historique de pages pertinentes, disponibles pour l’ensemble des participants au réseau. Ce mode de recherche, largement inspiré par des prototypes comme Eurekster[10], s’adresse davantage à des groupes d’utilisateurs professionnels. Dans le même temps, Yahoo peut accéder à ces informations de personnalisation et dispose ainsi des données sur la nature de recherches effectuées, qui servent à des fins de marketing et de publicité ciblée. 

Par ailleurs, Yahoo expérimente en 2005 un service de recherche qui vise à faire la part entre les informations de nature scientifique, encyclopédique ou journalistique, et les pages à visée commerciale. Autrement dit, la société propose de restaurer le mur entre « l’Etat de l’Eglise », en séparant le contenu rédactionnel d’information du contenu publicitaire ou de communication. Il s’agit d’un outil appelé Mindset[11], qui attribue une couleur à chaque résultat, indiquant ainsi sa nature. Le dispositif peut être ajusté selon que l’internaute effectue une recherche de nature informative ou de consommation. L’objectif est d’améliorer la pertinence et surtout la crédibilité des réponses à la recherche, en prenant en compte l’intention initiale de l’utilisateur. Il s’agit d’éviter ainsi le « bruit » dans les résultats, causé notamment par l’effort constant de la part de commerçants de se positionner en bonne place dans les réponses des moteurs par le biais d’un référencement efficace[12].

Une autre piste suivie par la firme, dans cet effort d’amélioration de la recherche d’information, est un service mis en place depuis juin 2005 pour les internautes américains qui permet de sonder le « web profond », autrement dit les contenus payants qui ne sont pas librement accessibles pour tous les internautes[13]. Si les robots de recherche classique indexent automatiquement toutes les pages web en accès libre, en revanche ils ne peuvent pas rendre compte des informations à valeur ajoutée et protégées par un mot de passe qui nécessitent un paiement direct de la part de l’utilisateur. Ainsi, toute une partie de l’internet demeure invisible au grand public pourtant susceptible de s’y intéresser, et éventuellement prêt à payer pour y accéder. A travers le service en question, Yahoo permet à tous les internautes d’accéder aux résultats des recherches qui s’effectuent au sein de zones protégées de l’internet, comme la version électronique payante du journal Wall Street Journal. En revanche, pour accéder aux contenus proprement dits, les utilisateurs doivent s’abonner au service payant de l’éditeur. Il s’agit d’une démarche qui répond à une demande constante de la part des éditeurs de contenus payants qui sont à la recherche d’une visibilité sur l’internet, sans pour autant renoncer à facturer leurs services. Le fonctionnement de ce dispositif suppose l’établissement des partenariats entre Yahoo et les éditeurs en question. La première version disponible du service comprend, en 2005, une dizaine de fournisseurs de contenu d’information, mais pourrait s’étendre progressivement à d’autres, si son efficacité auprès des internautes est établie. De cette façon, Yahoo se constitue en partenaire indispensable des éditeurs, en bénéficiant du trafic généré par le service, tout en se prémunissant des accusations d’atteinte aux droits d’auteur dont son concurrent Google est la cible. De leur coté, les éditeurs bénéficient d’une visibilité accrue sur l’internet et peuvent ainsi recruter de nouveaux abonnés.

Enfin, Yahoo, comme ses principaux concurrents, diversifie ses services de recherche en y incluant des contenus multimédias[14]. Cette fonctionnalité est rendue possible par la généralisation de l’accès à haut débit permettant le téléchargement ou le visionnage en streaming[15] des contenus vidéo, ce qui n’était pas possible auparavant du fait de la taille importante de ce type de fichiers. Ainsi, en 2005, le service en question donne accès à des milliers de sources de contenus vidéo, qu’ils soient libres d’accès ou payants. Il est à noter ici que la concurrence entre Yahoo et Google a pris dans ce cas la forme d’une course contre la montre afin de pouvoir lancer un service de recherche vidéo fonctionnel et efficace le premier.

« L’avènement du haut débit a profondément modifié l’accès aux contenus multimédia et nous sommes conscients que la demande des utilisateurs en matière de contenus vidéo est de plus en plus importante. C’est pourquoi nous sommes particulièrement heureux d’être les premiers en France à proposer une telle offre. Notre ambition est d’offrir aux internautes un service pour les aider à trouver sur le Web le meilleur contenu vidéo »[16].

Comme le précise Yahoo sur son site, « il est possible que les vidéos proposées dans les résultats de la recherche de vidéos soient protégées par des droits d’auteur. Yahoo! ne possède ni contrôle ces vidéos. Nous ne pouvons donc en aucun cas vous accorder le droit de les utiliser pour quelque objet que ce soit »[17]. Le multimédia semble être l’une des directions stratégiques de développement futur pour les responsables de Yahoo, qui se fondent sur l’anticipation de la généralisation des accès à haut débit.

 

Dispositifs interactifs à intérêt économique et mobilité

L’ensemble de ces orientations vise à améliorer l’adéquation entre la motivation d’une recherche d’information et les résultats obtenus, afin d’augmenter la pertinence de réponses. Il s’agit de permettre aux internautes d’effectuer des recherches ciblées sur un segment spécifique du web, en appliquant un filtre discriminant sous forme algorithmique. Néanmoins, les dispositifs mis en œuvre, comme dans le cas de liens sponsorisés que nous avons examinés précédemment, constituent des moyens de collecte d’information sur les habitudes et les centres d’intérêt des usagers. Par conséquent, il s’agit des dispositifs interactifs à intérêt économique qui augmentent le taux d’efficacité des messages publicitaires et du marketing direct. A ce titre, Yahoo expérimente des méthodes de publicité comportementale en collaboration avec la société américaine Revenue Science, spécialiste du secteur. Il s’agit de conjuguer différents outils de collecte d’information sur les usagers, de les catégoriser selon des critères spécifiques pour ensuite ne les exposer qu’aux messages publicitaires auxquels ils sont susceptibles d’être attentifs selon leurs caractéristiques prédéterminées. Une expérimentation de publicité comportementale qui a été mise en place par Revenue Science sur le site internet du Financial Times, ft.com, en avril 2005 a démontré qu’en moyenne les messages ciblés selon la méthode en question étaient à 193% plus efficaces que les campagnes traditionnelles en termes de taux de click-through[18]. D’où la place stratégique des différents outils de recherche, qui constituent par excellence une activité d’infomédiation et qui se présentent, en 2005, comme le terrain de concurrence principal pour les acteurs de l’internet de taille mondiale.

Yahoo anticipe également la mobilité croissante des usages de l’internet avec l’utilisation des terminaux portables multimédia. La firme a ainsi conclu un accord de coopération exclusive avec Nokia[19]. Il s’agit d’un pack de services Yahoo préinstallés sur les téléphones portables troisième génération de Nokia incluant la gestion du courrier électronique, le divertissement, comme les jeux téléchargeables, et la fonction de recherche. Dans l’ensemble, Yahoo délaisse progressivement son activité historique d’annuaire afin de se positionner en tant qu’infomédiare et fournisseur de services au moyen de dispositifs complexes de recherche d’information automatisée. Ce faisant il établit de partenariats avec nombre d’acteurs qui apportent des contenus et des outils spécialisés et qui souhaitent bénéficier de la puissance de Yahoo en termes d’audience.

 

Articulation local/global

Cependant, la nature transnationale de l’activité de Yahoo l’expose à des poursuites juridiques selon certaines législations locales, ce qui pose la question du cadre législatif régissant son fonctionnement. Ainsi, en 2000 plusieurs organisations, dont l’Amicale des déportés d’Auschwitz, le Consistoire israélite et le MRAP, ont déposé en France une plainte pénale contre la société et son ancien président Tim Koogle pour apologie de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Ceci en raison de la vente des objets nazis sur son site français. Yahoo et son ex-dirigeant ont été relaxés en février 2003 en première instance et en avril 2005 en appel par la justice française, le délit n’étant pas constitué selon les juges. Si la vente des objets a été stoppée sur yahoo.fr, elle continue sur la version américaine du site ainsi que l’hébergement des forums néo-nazi. Yahoo de son coté soutient qu’en tant que société américaine il doit respecter exclusivement la législation des Etats-Unis[20].

La question de la réglementation est posée avec d’autant plus de force dans le cas de Yahoo, comme celui de Google comme nous le verrons plus loin, qu’il s’agit de firmes transnationales par excellence. Ainsi, la stratégie comme les méthodes de travail de Yahoo sont définies à un niveau international et implémentées au niveau local, ce qui aboutit à des sites internet comparables sur la forme. Ceci parce que les divisions stratégiques de recherche et développement, qui aboutissent aux nouveaux produits et services, sont concentrées aux Etats-Unis pour l’ensemble des filiales. En revanche, comme nous l’avons indiqué précédemment, en ce qui concerne les contenus, seul un petit nombre de partenariats s’établit au niveau global, la majeure partie étant laissée à la discrétion des filiales.

« Yahoo! France est le même produit que Yahoo.com, mais avec un contenu totalement différent. Même catégorisation, mêmes méthodes de distribution de contenu, mêmes techniques de commercialisation publicitaire - mais encore une fois, le succès en France est venu comme ailleurs de notre obstination à refaire pour le marché français, plutôt que d’exporter approximativement le contenu de Yahoo.com. Plutôt que de conserver une identité locale, nous l’avons d’abord créée, et le mouvement est plutôt aujourd’hui vers une globalisation des produits (les nouveaux produits de Yahoo.com arrivent en Europe de plus en plus vite) tout en préservant cette touche locale déjà acquise »[21].

En ce qui concerne la communication de Yahoo, elle a été prise en main en 2005 par la direction générale au niveau européen dans l’objectif de rationaliser les campagnes promotionnelles en termes de coûts, mais également de conférer à cette communication davantage de cohérence. Il s’établit ainsi une certaine division du travail parmi les différentes filiales européennes de Yahoo en termes de communication et de marketing, qui vise à exploiter les compétences spécifiques et de reproduire les initiatives locales qui ont prouvé leur efficacité.

« Il ne s’agit pas d’avoir un ton publicitaire et une créativité unique en Europe, car les internautes ne surfent pas vraiment sur l’ensemble de nos portails locaux. Mais nous souhaitons effectivement instaurer une certaine cohérence dans notre communication au niveau mondial. C’est pourquoi nous nous laissons la liberté de relayer en Europe une campagne américaine qui se serait avérée particulièrement performante, et vice versa. J’essaie d’attribuer une spécialité marketing très précise à chaque filiale. Les britanniques sont ainsi plus particulièrement responsables de l’acquisition de trafic et des relations presse grand public. Les Allemands sont, quant à eux, en charge de la fidélisation de l’audience. Et l’équipe française travaille en amont sur l’ensemble des campagnes pan-européennes. Mais cela ne signifie pas pour autant que les bureaux ne contrôlent plus leur communication au niveau local. Ils conservent, au contraire, une totale liberté sur la moitié des opérations qu’ils mènent. Au final, ils relayent seulement 4 à 5 campagnes pan-européennes par trimestre, sur une moyenne de dix »[22].

La problématique de l’articulation entre le local et le global se trouve ainsi au cœur de la stratégie de Yahoo. La firme s’efforce de tirer des avantages économiques d’une configuration dans laquelle les fonctions stratégiques de recherche et développement, ainsi que l’infrastructure technique et l’ingénierie, sont particulièrement concentrées alors que l’implémentation et l’adaptation des orientations se fait de manière relativement souple par les équipes locales. En ce qui concerne la France, cette approche, qui a impliqué la constitution d’une équipe locale relativement importante dès le démarrage de l’activité, a facilité l’intégration de Yahoo dans le marché français de l’internet, notamment auprès des éditeurs et des médias. En revanche, en ce qui concerne les décisions stratégiques et les ressources en ingénierie, Yahoo France est dépendante de la maison mère tant au niveau international qu’au niveau européen dont la direction centrale se trouve en Grande Bretagne.

« Alors moi je suis censé avoir un interlocuteur, il y a un type en fait qui est à Londres chargé de gérer en partie les problèmes communs puisqu’on utilise des plateformes techniques communes et qui va aussi négocier des partenariats qui dépassent le cadre européen, par exemple le partenariat avec Reuters qui est mondial, là lui il va se charger des contacts etc. C’est un travail de liaison essentiellement. Disons que sur les partenariats, à part les gros partenaires au niveau monde, c’est vraiment quelque chose de local, Yahoo considère que les gens les mieux placés pour savoir quel partenariat signer sont au niveau local. Sinon leurs indications c’est plus dans des trucs techniques de forme, c’est à dire que comme on a des ingénieurs en commun, on crée une plateforme commune et nous on fait remonter le truc, on plaide notre cause et c’est eux qui tranchent en dernier recours, ils disent voilà en priorité on va développer ça. Effectivement on va de plus en plus vers ça. Alors qu’avant on avait plus des ingénieurs locaux mais maintenant ils sont mutualisés comme on dit et on est obligés d’arbitrer entre les différents pays, les priorités ne sont pas forcement les mêmes ». Julien Laroche-Joubert, Lead Surfer Yahoo France, responsable de la chaîne Actualité, décembre 2003

 

7.1.1 L’actualité « exhaustive » sur yahoo.fr

Comme nous l’avons mentionné précédemment le positionnement de Yahoo se traduit par une stratégie d’exhaustivité quant à l’offre de contenus et de services susceptibles d’intéresser son audience. Ceci aboutit à une approche similaire en ce qui concerne l’éventail d’informations sur l’actualité disponibles sur le portail yahoo.fr[23]. La filiale française, comme sa maison mère, a opté pour une approche qui combine plusieurs dispositifs. Dans un premier temps, Yahoo met en place une activité particulièrement développée d’agrégateur de contenus d’information qui consiste à établir de partenariats de nature différente avec un grand nombre de fournisseurs. Il s’agit d’une certaine manière d’une position qui est proche de celle qu’occupent les portails des fournisseurs d’accès, mais qui apparaît beaucoup plus développée en termes de moyens financiers et techniques qui y sont dédiés. Au sein de cette activité, nous distinguons une fonction d’achat de prestations standardisées, comme les dépêches d’agences, et une fonction de commande de contenus exclusifs auprès d’agences spécialisées ou de journalistes indépendants. Dans un deuxième temps la société s’adonne également à une activité d’infomédiare, par le biais de son moteur de recherche sur l’actualité qui inclut des contenus en provenance de sources extérieurs. Cette infomédiation se développe également par le biais de l’intégration au portail des fils RSS en provenance des tiers, mais aussi à travers certaines activités plus traditionnelles, et proches au métier d’origine d’annuaire, que sont la constitution des revues de presse et des dossiers thématiques.

 

 

Organisation interne et fonctionnement du service d’actualité

En termes d’organisation interne, la mise en place d’une offre d’information sur l’actualité constitue un département distinct, au même titre que ceux dédiés à la recherche d’information ou le commerce électronique. Le département médias et information est dirigé par un responsable (bizdef ) qui est chargé de coordonner les différentes équipes et qui s’occupe essentiellement d’établir les partenariats, ce qui inclut les négociations commerciales et juridiques avec les prestataires.  Les quatre composantes du département, qui correspondent également à des postes de travail spécifiques, sont l’actualité généraliste, la musique et le cinéma, le sport et la finance. Chaque unité était gérée par le passé par deux personnes. La première, appelée « producteur », était chargée des aspects techniques, c’est-à-dire gérer les fils de partenaires, décider des formats appropriés, faire la liaison avec les ingénieurs qui assurent le développement et la maintenance. La deuxième était chargée davantage des aspects éditoriaux comme le cross-linking, à savoir la mise en relation des différents contenus sur une base thématique, et la constitution de full coverage, à savoir des dossiers thématiques sur une question d’actualité donnée. Depuis 2003, et pour des raisons de restriction budgétaire, les deux postes ont été fusionnés.

« Il est vrai que ça fait énormément de travail, de toute façon on est en sous-effectif chronique, constant. D’où le fait qu’on passe 95% du temps à de la maintenance, c’est-à-dire régler ce qui ne va pas, et donc on a de moins en moins de temps au niveau développement, c’est vrai il faut être volontaire si en plus tu veux développer quelque chose de bon ». Julien Laroche-Joubert - Yahoo

Les profils des personnes qui occupent les fonctions en question sont assez disparates en termes de formation et d’expérience professionnelle. En général elles ne disposent pas de formation de journaliste, mais plutôt des aptitudes de documentaliste acquises au fil du temps. L’équipe de douze personnes, toutes fonctions confondues, qui gèrent l’offre d’information du portail yahoo.fr est en grande partie issue de l’activité historique d’annuaire de Yahoo. La plupart d’entre elles a été embauchée entre 1998 et 2000, afin de participer à la constitution de l’annuaire français de Yahoo. Il s’agit d’une activité de « surfer » qui consiste à vérifier la qualité des sites proposés pour référencement par leurs éditeurs et par la suite les organiser dans des catégories préexistantes de l’arborescence de Yahoo. La composante de gestionnaire de base de données, inhérente à l’activité des « surfeurs », est également très présente dans la mise en place d’une offre de contenus d’information. En ce qui concerne cette dernière activité, et les compétences particulières qu’elle suppose, la personne qui en a la charge se déclare « autodidacte ».

Les avantages de Yahoo Actualités, mis en avant par ses responsables, comprennent trois caractéristiques principales : la pluralité des informations qu’on y trouve, résultat de la multitude des partenaires fournisseurs de contenu ; l’instantanéité, c’est-à-dire la possibilité de suivre en temps réel l’évolution sur n’importe quel thème de l’actualité par le biais du fil automatique de dépêches ; enfin, la personnalisation, à savoir la possibilité pour les internautes de présélectionner les sources ou les thématiques qui sont susceptibles de les intéresser et de créer une page d’information adaptée à leurs besoins, notamment professionnels, ou leurs centres d’intérêt.

Les gérants des rubriques d’actualité comparent leur travail quotidien à celui de secrétaires de rédaction dans la presse. Il s’agit de réceptionner les flux d’information en provenance des fournisseurs et de les ventiler sur les différentes rubriques en établissant des passerelles et des liens entre les articles, les photos, les vidéos, les sons et les infographies sur des bases thématiques, afin de donner une cohérence à l’ensemble. Cette activité de catégorisation implique un savoir faire spécifique, proche de celui accumulé par le biais de l’activité historique d’annuaire de Yahoo. Concrètement, le fonctionnement de l’unité implique une collaboration assez proche avec les sous-traitants et notamment les agences de presse. Yahoo dans son approche d’exhaustivité, et contrairement aux portails des fournisseurs d’accès que nous avons vu précédemment, a établi des partenariats avec les trois principales agences que sont l’AFP, l’AP et Reuters. Elle doit donc gérer et mettre en relation plusieurs flux de dépêches représentant des volumes importants. De ce fait, une norme standard de flux d’information appelée NewsML s’est imposée, ce qui permet une certaine homogénéisation de formats et facilite leur traitement[24]. A l’inverse des portails des FAI qui reprennent telle quelle l’hiérarchie de l’information établie par les agences sans aucune intervention propre, Yahoo se réserve la possibilité d’y intervenir et de choisir les sujet qui seront mis en avant dans les pages d’information. Dès lors il y confrontation et synthèse entre deux grilles d’hiérarchisation et de catégorisation, celle du fournisseur et celle de Yahoo.

« On laisse latitude à tous les abonnés type Yahoo de refaire un découpage à l’intérieur de chaque flux d’information qu’ils reçoivent, je prends un exemple concret : le flux « France » est envoyé en brut chez Yahoo, Yahoo le reçoit et l’intègre dans un segment « France » mais intègre aussi le même flux dans un espèce de sous-répertoire par région. Donc, ce sont eux qui font le découpage selon les régions et qui intègrent ce flux selon leurs critères internes. Nous on fait un codage parce qu’on utilise une norme standard qui est le NewsML, qui est un dérivé de l’IPTC en XML, l’IPTC était une norme qu’on avait pour toutes les agences sur les flux d’information en texte, quand on est passé sur le Web on a mis tout ça en XML c’est devenu NewsML. Dans les balises de NewsML il y a des codes des catégories qui sont rentrés par chaque journaliste, quand un journaliste tape sa dépêche il rentre quatre à cinq mots-clés qui sont référencés dans une table et qui vont accompagner cette dépêche pour permettre un découpage facile. Nous on fournit cette liste à nos clients et le client ensuite grâce à la liste des mots-clés peut faire un découpage quand il reçoit les informations ». Thierry Vlaeminck, responsable online Reuters France, mai 2004

En effet, les journalistes des agences de presse font accompagner leurs dépêches d’un certain nombre de méta-données, censées faciliter leur manipulation et leur intégration aux sites des clients. Ces informations sont essentiellement la rubrique thématique (France, Monde, Sport etc.) et les mots-clés qui renvoient aux titre et chapô de la dépêche, mais également au contenu informatif par le biais de mots-clés appelés related. Le travail du responsable de la rubrique de Yahoo consiste à établir une formule comprenant des catégories, des mots-clés et des opérateurs booléens qui suivront la dépêche et lui feront intégrer automatiquement des rubriques spécifiques. Les dépêches ne sont pas exclusives à une seule rubrique mais peuvent intégrer des catégories thématiques différentes, selon les critères définis par le gestionnaire de la base. Ces critères s’efforcent d’anticiper les points d’entrée possibles des internautes à une thématique. Par ailleurs, toutes les catégorisations effectuées par les agences ne correspondent pas toujours aux rubriques de Yahoo. Dans ce cas c’est au responsable de Yahoo de faire le choix et d’attribuer chaque élément à la rubrique correspondante en termes de contenu.

 « Donc là Reuters on peut imaginer qu’ils vont mettre comme mots-clés les mots Chirac et laïcité, qui sont dans le titre, comme related le mot voile, et surtout, comme catégorie Politique et France. Donc en premier cette dépêche va être automatiquement envoyée, si c’est bien fait c’est à moi de l’assurer, dans France. Ensuite on peut considérer que c’est de la politique, donc sous France automatiquement elle va partir dans la sous-rubrique Politique. En gros c’est le système informatique qui le fait. Il y a des interventions parfois parce que les nomenclatures des fournisseurs ne sont pas les mêmes que les nôtres, donc on est obligés de jongler un peu. Après, on va dire que nôtre dépêche sur la laïcité elle est apparue sous France, qu’elle est apparue sous Politique sans doute aussi sous Société. Ce n’est pas exclusif, on ne va pas décider que l’article correspond seulement à telle catégorie. Le principe c’est que la personne peut éventuellement s’y intéresser parce que elle s’intéresse à Chirac ou parce que elle s’intéresse à la laïcité. Alors nous ce qu’on va décider en plus c’est de créer un dossier, en bas de l’arborescence, celui là n’est pas que sur le voile mais c’est sur les religions et on va y faire tomber toutes les dépêches sur le voile par un jeu de mots clés, ensuite c’est toujours un arbitrage parce que ça tombe dans religion mais ça concerne tout autant la condition féminine, alors pareil il faut définir qu’est ce qu’il faut faire tomber là dedans ». Julien Laroche-Joubert – Yahoo

Effectivement, la valeur ajoutée apportée par Yahoo sur les contenus d’information est la création des dossiers thématiques qui peuvent utiliser des ressources diversifiées en provenance de fournisseurs différents. Au fil du temps la société a constitué une base de données considérable d’éléments textuels, graphiques ou multimédia, qui comportent chacun une formule de description, et qui peuvent être recombinés de manière différente selon l’actualité afin d’offrir la possibilité aux internautes d’approfondir ou de mettre en perspective une information. Deux exemples des dossiers thématiques, qui ont bien fonctionné en termes d’audience, ont été ceux concernant la guerre en Irak en 2003 et les élections présidentielles aux Etats-Unis en 2004. L’initiative de la constitution et de la mise en avant de ces dossiers incombe au responsable de la rubrique, qui décide selon sa propre vision de l’actualité mais également selon ses contraintes de temps.  

Enfin, l’activité est complétée par la constitution de la Une de Yahoo Actualités, qui est également présente à la page d’accueil du portail yahoo.fr à travers un onglet spécifique. Ceci implique un travail de choix et de hiérarchisation qui se rapproche davantage du journalisme. Il s’agit de définir un nombre réduit d’informations qui sont considérées comme les plus importantes et qui restent en première place, indépendamment du flux de dépêches, jusqu’à la prochaine mise à jour. Sauf évènement exceptionnel, il y a trois mises à jour régulières pendant une journée, le matin à 7h30, l’après midi à 13h et le soir entre 19h et 20h, qui correspondent aux pics de connexion observés.

« La Une par contre c’est un travail de rédaction presque, c’est à dire le matin quand je commence à travailler à 7h, j’arrive sur le site, je fais le tour de toutes les rubriques et je m’aide aussi avec le flux de Reuters qui est mis à jour tous les quarts d’heure où ils ont dix dépêches qu’ils considèrent comme leurs top stories les plus importantes, et puis en fonction aussi de ce que je sais de l’actualité je vais retenir entre cinq et dix évènements du jour et après je vais les mettre en forme et dire voilà ça c’est l’évènement du matin, grosso modo ce que fait un journaliste. Donc je navigue en fait dans les flux et puis je m’en sers aussi parce que ça arrive effectivement qu’un évènement je l’ai même pas vu, il est noyé dans le nombre de dépêches. Donc j’utilise essentiellement Reuters et AFP et puis comme tout le monde je lis le journal, j’écoute la radio et c’est à force de croiser les sources qui je finis par me dire grosso modo c’est ça l’évènement ». Julien Laroche-Joubert – Yahoo 

 

Ligne éditoriale et positionnement stratégique

La constitution de la Une implique également un travail de rédaction de titres et de accroches originales. Il s’agit du seul moment où la personne en charge du service est amenée à produire un contenu propre. Même s’il s’agit d’un travail minime, c’est l’occasion d’apporter un ton particulier à la rubrique qui est défini comme « un zeste d’impertinence » et d’humour. La ligne éditoriale de Yahoo, en ce qui concerne l’information d’actualité, n’est pas particulièrement affirmée, d’autant plus que l’objectif premier est l’exhaustivité et la réactivité aux évènements. Néanmoins, il existe des caractéristiques qui lui sont spécifiques et qui sont censées définir la particularité du média. Ainsi, tous les évènements majeurs qui concernent l’internet et les nouvelles technologies d’information et de communication, comme le Sommet mondial sur la Société de l’Information qui s’est tenu à Genève en 2003, sont systématiquement mis en avant. De même, des informations de nature apolitique, comme celles de la rubrique People, peuvent constituer des sujets de première importance pour Yahoo, contrairement à la majorité des titres de la presse quotidienne d’information. Cependant, la personne interrogée à ce sujet révèle une certaine conception de l’actualité qui attribue aux contenus de ce type une moindre importance par rapport aux informations « sérieuses » concernant des enjeux sociopolitiques et les évènements d’envergure. Il y a donc un jugement de valeur qui définit les choix éditoriaux effectués. Ce jugement rend difficile le glissement vers une approche magazine de l’information, particulièrement présente au sein de certains portails des fournisseurs d’accès, où l’on assiste à une mise en avant des thèmes sociétaux, de consommation ou de divertissement.

« Et puis, parce qu’on a moins une étiquette à défendre comme Le Monde ou Libération, on va moins hésiter à mettre en avant du People ou de choses comme ça. Il y a bien sûr un caractère de décence qui fait que ça ne va pas être mis en avant s’il y a quelque chose de plus important dans l’actualité. Ca ne sera jamais le premier sujet, parce que ce n’est pas possible qu’il y ait un jour si peu d’actualité qu’on considère que ça vaut plus qu’une épidémie de légionellose dans le Nord par exemple, moi personnellement je ne veux pas aller là-dessus. De même que je n’irais pas faire la Une sur l’anniversaire de Chirac comme l’a fait France Soir, je trouve ça scandaleux. On peut dire qu’il y a une petite volonté éditoriale de mon fait, on ne va pas tout mettre sur le même niveau, on va essayer de hiérarchiser, mais on n’est pas non plus Le Monde ou un créateur de contenu éditorial, on diffuse quand même de l’info people et puis voilà ». Julien Laroche-Joubert – Yahoo

Il en ressort un  sentiment de « responsabilité » qui découle de la fonction éditoriale que la personne interrogée assume de fait, accentuée par l’audience considérable dont jouit le service. Ainsi, les lecteurs n’hésitent pas à le contacter pour porter une critique, l’interroger sur les raisons de la mise en avant d’une information, l’interpeller sur une accroche qui leur a parue déplacée. De ce retour, nous pouvons déduire que les internautes qui consultent l’actualité chez Yahoo sont conscients de la nature du média et ont des attentes spécifiques. Ainsi, ils rappellent souvent à la personne en charge du service le rôle essentiellement d’agrégateur que Yahoo assure, ce qui, aux yeux de certains, ne lui permet pas d’aller trop loin dans le commentaire ou dans l’appréciation de l’actualité. C’est probablement la raison pour laquelle depuis le début de l’année 2005 la rédaction d’accroches originales sur la page d’accueil de yahoo.fr n’est plus quotidienne mais aléatoire selon les évènements de l’actualité.

« Il y a de retours de gens qui disent c’est scandaleux vous ne parlez pas de ça ou arrêtez de parler de ça, forcement il y aura toujours à redire. Ensuite sur le tout petit aspect éditorial qui est le titre, pour mettre en avant, ou le visuel, parce que ça c’est nous qui faisons, où là c’est le plus évident. Il y a  dans ce cas une critique très fondée de gens qui disent ce que vous avez en stock ce n’est pas vous qui le produisez, en plus ça se veut relativement neutre parce que c’est de la dépêche d’agence, donc c’est complètement à coté de la plaque quand vous vous permettez un titre, une accroche très éditoriale alors que derrière vous balancez du contenu standardisé. Donc on navigue à vue entre les deux. Par exemple ce week-end, pour les élections en Russie, j’ai fait un sale jeu de mots sur Poutine, et un mec inconnu, un mec très bien, me dit, c’est très argumenté et tout, il critique ça de façon très juste. Donc jusqu’à quel point on peut se permettre de dire qu’on fait un travail éditorial et jusqu’à quel point il faut avoir l’honnêteté de dire on ne fait jamais que agréger du contenu et voilà ? Parce que on ne maîtrise pas le fond, la maîtrise est assez limitée, à la marge, sur le choix de partenaires ». Julien Laroche-Joubert – Yahoo

Yahoo s’efforce de palier à ce manque de ton éditorial par la publication d’éditoriaux écrits exclusivement pour le service Actualités par des journalistes indépendants et par la republication des articles de la même nature en provenance de la presse quotidienne, notamment régionale. Parallèlement, Yahoo ouvre ses pages d’actualité de façon régulière à des acteurs politiquement engagés. C’est à ce titre que Bernard Cassen, président d’honneur d’Attac, a signé plusieurs éditoriaux sur le portail pendant la campagne référendaire sur le Traité constitutionnel européen en 2005. Cette ouverture politique de Yahoo Actualités constitue une de ses spécificités par rapport à ses concurrents en provenance des fournisseurs d’accès. Il s’agit d’un positionnement « média » qui apparaît également dans l’implication du portail dans la commande de sondages sur des sujets politiques, en partenariats avec des journaux ou des radios d’information. Le but est de pouvoir offrir aux internautes une information partiellement différenciée avec des productions exclusives et non pas entièrement fondée sur les dépêches standardisées des agences de presse.

 

Partenariats et sous-traitance éditoriale

Cet effort de différenciation de l’offre s’articule avec le choix de partenaires sur des thématiques diverses. Comme dans le cas des portails des FAI, les modalités précises de chaque partenariat dépendent de la nature de l’acteur et du rapport de forces qu’il peut établir avec Yahoo. Dans un premier temps, il y a les fournisseurs principaux que sont les trois grandes agences de presse AFP, AP et Reuters. Il s’agit d’une relation classique fournisseur-client dans laquelle le premier est rémunéré pour alimenter le second en contenus d’information. Dans ce cas de figure, et en raison de la stratégie d’exhaustivité de Yahoo, il n’y a pas de substitution possible de ces agences de presse et donc Yahoo se trouve dans l’obligation de traiter avec ces acteurs qui chacun apporte des compétences particulières – AFP pour la France, AP pour le monde et Reuters pour la finance. En revanche, les relations étroites nouées par Yahoo avec ces derniers lui permettent de faire jouer la concurrence sur les prix et ainsi bénéficier d’un moindre coût. Ceci d’autant plus que les prestations des agences de presse sont partiellement substituables entre elles. Il est à noter ici qu’en raison de son importante audience, le fait de diffuser de l’information sur Yahoo, avec la mise en avant de la marque, contribue à la notoriété des agences qui peuvent ainsi attirer de nouveaux clients.

« Notre souci à nous c’est qu’on est très connus en tant qu’agence de presse financière dans le marché financier, mais au niveau du grand public personne ne connaissait pratiquement Reuters, beaucoup des gens connaissaient l’AFP mais pas Reuters. Donc ça a eu un fort impact au niveau du branding puisque on est présent aujourd’hui sur Yahoo, sur des portails de ce genre, ce qui amène une reconnaissance de la part du public de la marque Reuters ». Thierry Vlaeminck - Reuters

 Dans un second temps, Yahoo établit des partenariats également avec des titres de la presse écrite et des chaînes de radio et de télévision. Il accède ainsi à des articles ou des reportages sonores et vidéo comme dans le cas de M6 et de Europe 1. Il s’agit de partenariats payants, mais qui peuvent prendre la forme d’échange d’espace publicitaire. Yahoo met également à disposition des offres payantes de la part des éditeurs, comme la possibilité de visionner une chaîne d’information en direct, c’est le cas de LCI. Dans ce cas de figure, les revenus ainsi générés sont répartis entre Yahoo et le fournisseur. Enfin, Yahoo achète auprès de prestataires de reportages originaux et exclusifs. Pour cela, la société s’adresse à des agences de presse « indépendantes », de taille réduite et aux moyens limités, mais qui innovent en termes de formats adaptés à l’internet et de ligne éditoriale. La plupart du temps une telle collaboration constitue le seul moyen de diffusion auprès du grand public pour la production de ces agences, en dehors des diffuseurs traditionnels que sont les chaînes de télévision.

« Simplement, ce qu’il faut comprendre, c’est qu’internet nous permet d’exister. C’est un média, un lieu sur lequel on peut aller rencontrer notre public aussi facilement que les grandes agences ou que les grandes chaînes de télévision. Quand on va sur Yahoo, la première page fait de millions d’internautes tous les jours et on y trouve Digipresse aussi facilement que TF1 ou AFP. Internet nous permet d’avoir une certaine exposition, et c’est le seul média qui peut faire ça. On ne pourrait pas avoir notre canal de diffusion sur la TV par câble parce qu’on est trop petit. Sur la TV hertzienne jamais le CSA nous accorderait la moindre fréquence, donc il n’y a que sur l’internet qu’on peut être à égalité avec les gros. Internet est un égalisateur de chances de diffusion ». Philippe Blanchard, fondateur et dirigeant de Digipresse,  juin 2003

 

Pressions commerciales et crédibilité

Par ailleurs, comme dans le cas de portails généralistes, il existe chez Yahoo des partenariats de type « visibilité contre contenu ». Dans ce cas, les partenaires, pour la plupart des sites d’information spécialisés, fournissent du contenu d’information gratuitement à Yahoo qui le diffuse sur son portail dans des rubriques thématiques comme la santé ou le sport. En échange, Yahoo met en avant la marque du fournisseur qui à son tour profite de l’audience du portail afin d’accroître la notoriété de son propre site. Dans les thématiques spécialisées, où la concurrence est très élevée, le rapport de force est largement favorable à un important diffuseur comme Yahoo, qui peut imposer ses contraintes aux prestataires jusqu’à jouir gratuitement de leurs services. En raison de la multitude d’acteurs, le cas échéant, si une offre de contenu semble plus intéressante, Yahoo peut changer de partenaire et lui procurer ainsi un avantage concurrentiel. En revanche, aux dires du responsable du service, la société n’accepte jamais d’être payée afin de diffuser les contenus d’un partenaire, comme c’est le cas chez AOL par exemple. Notre interlocuteur tente ainsi de préserver la séparation entre les services commerciaux et éditoriaux, censée garantir l’indépendance de l’information, en résistant aux pressions venant du marketing. De même, il s’efforce de définir l’hiérarchie des informations sur des critères « objectifs » et sans prendre en compte les intérêts de Yahoo dans une opération promotionnelle ou un partenariat commercial.

« Il y a vraiment une ligne directrice qui est : pas de publi-reportage, pas de promotion dans l’information. Il y a eu un débat fort en 2000 où Yahoo était partenaire de l’incroyable Pique-Nique, un évènement organisé avec des partenaires. Forcément le marketing voulait absolument qu’on fasse quelque chose là-dessus. On a le même débat tous les ans sur le Téléthon, ils veulent qu’on couvre absolument ça parce qu’ils en sont partenaires. Moi j’ai dit non. A chaque fois il a fallu leur expliquer, mais comme dans toutes les boites les commerciaux tirent dans une direction et puis ceux qui défendent l’éditorial de l’autre. On leur a expliqué que non, si éditorialement parlant il y a effectivement un évènement particulier et que c’est vraiment un évènement on en parlera, mais on n’en parlera pas parce que on décide nous que c’est un événement. Je suis à peu près couvert sur ça par Yahoo, je pense que ce n’est pas plus difficile que ça doit l’être dans les médias presse. J’imagine qu’on doit être plus proche des magazines où il peut y avoir de pressions justement commerciales, genre on peut tourner la Une de cette façon pour que ça aille bien avec la promotion etc. Moi, je veux pas qu’on tue le truc en faisant n’importe quoi…Ca c’est un combat de tous les instants, mais c’est normal, un commercial il passe sa journée à cirer les pompes pour faire du fric, lui son optique c’est sa prime à la fin du trimestre, donc il pousse au maximum et tant que tu dis oui, il continue. Par contre il faut lui expliquer qu’on va peut être gagner financièrement sur le court terme, mais par contre ça va être désastreux dans le long terme ». Julien Laroche-Joubert – Yahoo 

Dans la même lignée, la personne interrogée s’efforce de résister à des pressions qui visent à imposer une mise en avant systématique des thématiques apolitiques et commerciales comme les rubriques People et Sport. Même si ce responsable semble convaincu qu’un tel positionnement pourrait avoir des résultats positifs au niveau de l’audience sur le court terme, et donc accroître les recettes publicitaires, il refuse d’appliquer le principe afin de préserver un certain capital de crédibilité dont le service dispose auprès des internautes. A ce titre, il se déclare rassuré par le fait que les thématiques qui attirent l’audience la plus importante sont dans l’ordre Monde et France, suivies par People, Sport et Insolite, cette dernière étant une thématique apparue exclusivement sur le web et qui a représenté autour de 7% de l’audience de Yahoo Actualités en 2004.

 

Ouverture et neutralité active

La stratégie d’exhaustivité précédemment mentionnée pousse les responsables du service à ouvrir le site de Yahoo vers l’extérieur. L’une de ces ouvertures est constituée par la revue de presse qui complète l’offre d’information avec des liens externes vers des sites d’information tiers avec lesquels il n’existe pas de partenariat commercial. Le choix et la hiérarchisation de ces liens se fait manuellement sur de critères « journalistiques »  et suppose une bonne connaissance des sites d’information français, d’un point de vue documentaire, mais également la compréhension de leur ligne éditoriale et de leur positionnement politique. La revue de presse de Yahoo vise à donner un aperçu global d’un évènement en recoupant diverses sources et plusieurs points de vue

 « Sur la revue de presse, quand on fait une collection de liens hypertexte sur un sujet là on peut dire qu’il y a un parti pris, ce qui peut poser problème aux gens qui ne comprennent pas qu’on puisse, sur un sujet de politique française, pointer sur des articles de Politis ou de National Hebdo. Moi je le fais quand même et je considère que c’est une bonne chose, même si je comprends que ça puisse choquer des gens. C’est à dire que si on parle de Le Pen et qu’on balance des articles de Libération ou du Figaro, et il y a aussi Politis ou National Hebdo je trouve ça normal et je pense que c’est l’intérêt de l’internet justement de montrer un lien externe pour dire voilà vous pouvez voir ce qu’ils racontent sur leur propre site le FN. L’idée c’est que, normalement vu que c’est neutre, enfin c’est une agrégation de contenu, donc c’est aux gens de faire la synthèse ». Julien Laroche-Joubert – Yahoo 

Il s’agit d’une certaine façon d’une approche qui se fonde sur une neutralité active et qui consiste à s’efforcer de donner tous les points de vue sur une question, même ceux qui sont clairement engagés, diffuser tous les contenus susceptibles d’apporter un éclairage, être exhaustif sur le traitement par le biais de partenaires et de liens externes, sans prendre position. Cette neutralité active laisse le soin aux lecteurs de faire la synthèse et de tirer les conclusions pour un évènement ou une situation donnée, en fournissant simplement les outils pour le faire. D’où la possibilité pour les internautes de suivre sur le portail le flux de dépêches d’information « au fil de l’eau », c'est-à-dire sans hiérarchisation aucune, si ce n’est leur ordre chronologique. Une telle approche correspond bien aux pratiques et aux attentes d’une certaine catégorie d’usagers de l’information en ligne, que nous avons examiné précédemment, qui combinent plusieurs sources d’information afin de se faire leur propre idée de l’actualité.

L’ouverture vers l’extérieur des portails de Yahoo va jusqu’à intégrer des fils RSS en provenance de sites tiers. Concrètement, les pages d’actualité offrent la possibilité d’une personnalisation relativement poussée. Il s’agit de pouvoir présélectionner un certain nombre de thématiques, par rubrique ou par mots-clés, et constituer des pages qui comportent exclusivement des informations sur ces thèmes, choisies parmi les contenus propriétaires de Yahoo. La dernière étape de cette évolution est la possibilité d’intégrer à ces pages personnalisées des liens hypertexte qui renvoient vers des sources extérieures sélectionnées par les internautes. Ceci à l’aide des fils RSS, qui sont en fait des flux XML mis à jour périodiquement permettant d’effectuer une veille sur des sources prédéfinies. De cette façon l’internaute constitue son propre espace d’information sur le portail Yahoo qui comporte des informations dont la sélection obéit à des critères personnalisés, non seulement parmi les contenus de Yahoo mais également parmi tous les sites qui disposent d’un fil RSS. Il s’agit d’une fonctionnalité qui existe depuis un certain temps au sein de services relativement confidentiels comme Newsisfree, que nous allons examiner plus loin, mais dont Yahoo est le premier acteur d’envergure à faire usage de façon massive[25]. 

« Le service dit : qu’est ce que vous voulez ajouter à votre actualité politique ? Voici quelques blogs ou même CNN et MSNBC. Le fait que ça se passe avec du XML ou du RSS n’est pas important. La plupart des usagers ne veulent pas savoir comment ça fonctionne. Nous sommes le premier portail à avoir fait quelque chose avec du RSS, et nous avons eu un an et demi pour améliorer le service. Le but a été de le populariser auprès du grand public, et maintenant que nous l’avons fait, la question que l’on se pose est de savoir comment l’intégrer davantage dans le réseau Yahoo. Le concept est si puissant qu’il permet à n’importe qui de suivre n’importe quelle source »[26].

 

Montée en puissance de l’infomédiation

  A partir du concept de revue de presse électronique est née l’idée de mettre en place un moteur de recherche sur l’actualité. Yahoo a été précédé dans la mise en place d’un tel service par Google puis MSN. En revanche sa bonne connaissance du secteur des médias, notamment en France, ainsi que les divers partenariats établis avec les éditeurs auparavant lui ont permis d’éviter les écueils auxquels se sont heurtés les acteurs précédemment mentionnés et dont nous examinerons les conséquences plus loin. Le principe consiste à appliquer un moteur de recherche classique uniquement sur une sélection des sources « médias » comportant de contenus d’information. Ainsi, à l’aide de mots-clés, on obtient automatiquement une revue de presse électronique sur un sujet donné. La question qui se pose est de savoir comment et sur quels critères est effectuée une telle sélection. Pourquoi une source fait partie de la sélection et pas une autre ? N’ayant pas réussi à avoir d’informations précises à ce sujet, nous pouvons avancer l’hypothèse suivante : étant donné la division du travail au sein du groupe et son fonctionnement, il est possible que les filiales locales de Yahoo aient fourni une liste des sources d’information par pays, susceptibles de faire partie de la sélection en raison des critères comme la notoriété des supports et leur périodicité, la qualité et la gratuité de l’information. Ceci parce que la sélection automatique de liens effectuée par le moteur doit conduire à des contenus tiers librement accessibles. Par la suite, les ingénieurs de développement de la firme aux Etats-Unis, ou à Londres pour la partie européenne, se sont chargés d’appliquer le moteur de recherche à cette sélection de sources, en « nettoyant » la base et en effectuant les réglages nécessaires. Les éditeurs de sites concernés ont été associés au processus, du moins pour les plus importants d’entre eux, ce qui a évité les conflits sur les questions de rémunération et de droits d’auteur.

Cette évolution renforce le coté mécanique de la constitution d’une offre d’information, par opposition à l’aspect éditorial qui nécessite une intervention humaine pour le choix et la hiérarchisation des contenus. Dans le cadre du moteur de recherche sur l’actualité, qui produit des revues de presse électroniques automatiquement, la hiérarchisation des sources se fait selon des critères propres à la technologie utilisée. Les algorithmes mis en œuvre dans la fonction de recherche agissent comme des intermédiaires entre les internautes et les informations disponibles sur l’internet et acquièrent ainsi une position clé dans l’appréhension d’une question donnée par une partie importante du public. De cette façon, les dispositifs techniques pèsent indirectement sur la perception des enjeux sociaux présents dans la sphère publique, en appliquant leurs propres critères de pertinence dans l’ordonnancement de l’actualité.

Par ailleurs, la plateforme technique de Yahoo dans son ensemble étant complètement modulable, elle permet de fonctionner avec moins de personnel qu’actuellement.

 « L’énorme force de Yahoo, qui permet de faire ce service c’est l’automatisation qui n’a besoin finalement que d’un ouvrier de maintenance et qui n’a pas besoin des bras pour l’actionner. Une plate-forme telle que celle de Yahoo permet des économies d’échelle, en tous cas en ce qui concerne les ressources, parce que c’est quelque chose de très bien fait. On pourrait être à 40% automatique et 60% éditorial, après en fonction de ce qu’on a comme ressources on pourrait décider d’être à 100% automatique, on pourrait fonctionner à minima, il y aurait beaucoup moins de choses dessus, on serait essentiellement sur nos gros fournisseurs AFP, Reuters, AP et puis il y aurait plein de taches automatiques, moins d’arborescence et on se rapprocherait plus de ce que fait Wanadoo, c’est tout à fait modulable. Ce n’est pas un système qui tourne et qui exige un nombre précis de personnes ». Julien Laroche-Joubert – Yahoo 

Selon le responsable de Yahoo News aux Etats-Unis Neil Budde, ancien journaliste au Wall Streer Journal, cette modularité entre automatisation et travail manuel constitue un avantage pour le service. Ceci parce qu’elle « libère les éditeurs humains afin qu’ils puissent faire ce qu’ils devraient, à savoir des choix éditoriaux »[27]. Cependant, il n’est pas certain que la stratégie actuelle de hiérarchisation de l’information, partiellement grâce à un travail éditorial manuel, soit pérenne. Jusqu’en 2005, Yahoo Actualités a échappé partiellement à la vague de restructurations qui a marqué le secteur des portails généralistes en raison de son succès en termes d’audience. Ce qui constitue un argument économique fort quant à la préservation d’un caractère éditorial du service assuré par des travailleurs de l’information spécialisés dans le domaine de l’actualité.

« C’est tout le temps l’arbitrage, la balance entre comment faire de l’argent et en même temps comment ne pas tuer la poule aux œufs d’or. Les résultats nous aident, tant que ça marche c’est plus facile de se faire entendre. J’imagine que pour ceux qui ont lancé d’autres portails qui ne marchent pas très bien, ils doivent avoir du mal avec ses arguments éditoriaux, parce que comme le truc ne marche pas très bien il y a moins cet effet « ça fait venir du monde » et même si on gagne pas beaucoup d’argent avec ça on le gagne ailleurs ». Julien Laroche-Joubert – Yahoo 

Cependant, au fur et à mesure du perfectionnement des dispositifs techniques de recherche qui simulent une compréhension sémantique des pages web, il est possible que les opérateurs humains soient progressivement remplacés par des opérateurs logiciels, ce qui aboutira à des économies en termes de force de travail mais posera des questions nouvelles quant à la position dominante potentielle de cette infomédiation technique et ses enjeux.

A ce sujet, la presse a révélé en 2005 que depuis peu les principaux acteurs de la recherche sur l’internet que sont Yahoo, Google et MSN, collaborent avec le gouvernement chinois afin de contrôler les contenus accessibles par le biais de leurs moteurs de recherche respectifs à la population de ce pays. Il s’agit de filtrer un certain nombre de mots-clés comme « démocratie », « liberté » ou « droits de l’homme » dans les résultats des recherches effectuées depuis la Chine[28]. Si pour le gouvernement chinois il s’agit d’une mesure qui entre dans la droite ligne de sa politique de contrôle de l’internet, visant à empêcher une prise de conscience démocratique dans le pays, cette évolution pose des questions quant à la capacité des acteurs précédemment cités à volontairement restituer une image déformée de l’internet selon des critères arbitraires. Effectivement, les pages qui n’apparaissent jamais dans les résultats des principaux moteurs de recherche de fait n’existent pratiquement pas, du moins pour les personnes qui ne connaissent pas préalablement leur existence ou qui ignorent leur adresse exacte. De plus, toutes les recherches actuelles dans ce domaine, dont nous avons présenté un aperçu pour ce qui concerne Yahoo, vont justement dans le sens du développement des outils de recherche spécialisés avec l’utilisation de « filtres » techniques qui restreignent le nombre de pages web prises en compte afin d’améliorer la pertinence des résultats. Or, dans le cas de la Chine il n’y a pas amélioration du service rendu aux internautes mais plutôt un contrôle arbitraire aboutissant à l’empêchement d’accéder à certains sites qui justement peuvent paraître pertinents à de nombreux internautes chinois. Nous pouvons déduire de cet exemple que les technologies développées actuellement confèrent une puissance considérable aux acteurs en question, qui peut être appliquée à bon ou à mauvais escient selon leurs intérêts du moment. Ce phénomène est d’autant plus flagrant dans le cas de Google que nous allons examiner par la suite, qui dispose en 2005 du moteur de recherche le plus utilisé au monde.



[1] Rapport Annuel 2004 de Yahoo, disponible à l’adresse suivante : http://yhoo.client.shareholder.com/annual.cfm

[2] Source : Médiamétrie – L’Observatoire des usages internet, avril, 2005, (cf. Annexe 12).

[3] Interview de Philippe Guillanton et Grégoire Clémencin, dirigeants de Yahoo France, accordée à Neteconomie.com, le 21 mars 2000. Accessible à l’adresse : http://www.neteconomie.com/perl/navig.pl/neteconomie/infos/article/20000321022609

[4] Source : panel Nielsen NetRatings « domicile et travail », Décembre 2004.

[5] Source : http://fr.adinfo.yahoo.com/adpremium.html

[6] Source : « Yahoo double son bénéfice net au premier trimestre », ZDNet.fr, non signé, mercredi 20 avril 2005, accessible à l’adresse : http://www.zdnet.fr/actualites/internet/0,39020774,39218830,00.htm

[7] Interview de Clotilde de Mersan, chargée du Business Developpement chez Yahoo France, accordée à Netéconomie.com le19 aout 2002.

Accessible à l’adresse :  http://www.neteconomie.com/perl/navig.pl/neteconomie/infos/article/20020819114455

[8] Interview de Clotilde de Mersan, op cité.

[9]Source : « Yahoo joue collectif ! », Guillaume Deleurence, 01net.com, 30 juin 2005, accessible à l’adresse : http://www.01net.com/editorial/283034/recherche/yahoo-joue-collectif/

[10]http://eurekster.com/

[11] http://mindset.research.yahoo.com/

[12] A titre d’exemple, une recherche informative sur le mot « mp3 » par le biais de Mindset conduit vers des pages qui décrivent l’historique de création de ce format de compression de sons ou qui donnent de solutions techniques. A l’inverse une recherche de consommation sur le même mot-clé mène vers des services de téléchargement payant de musique.

[13] http://search.yahoo.com/subscriptions

[14] http:// fr.search.yahoo.com/video

[15] Le streaming est un principe utilisé principalement pour l’envoi de contenu en « direct » (ou en léger différé). Très utilisé sur Internet, il permet de commencer la lecture d’un flux audio ou vidéo à mesure qu’il est diffusé. Il s’oppose ainsi à la diffusion par téléchargement qui nécessite par exemple de récupérer l’ensemble des données d’un morceaux ou d’un extrait vidéo avant de pouvoir l’écouter ou le regarder. Le lecteur de contenu streaming va récupérer une partie du contenu qu’il met dans une mémoire tampon (dite buffer). Lorsque le programme estime qu’il a suffisamment de données dans sa mémoire tampon pour lui permettre de lire le contenu audio ou vidéo sans accroche, même en cas de petit ralentissement réseau, la lecture démarre. Il existe deux sortes de streaming : statique et dynamique. Le streaming dynamique sélectionne le niveau de qualité en fonction de la vitesse de connexion afin d’être en mesure de démarrer la lecture directement. Les webradios constituent un exemple pratique d’utilisation du streaming. Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Streaming

[16] Interview d’Antoine Duarte, Directeur général de Yahoo! France, accordée à Jérôme Bouteiller, Neteconomie.com, 16 mars 2005, accessible à l’adresse : http://www.neteconomie.com/perl/navig.pl/neteconomie/infos/article/20050316100339

[17] http://help.yahoo.com/help/fr/ysearch/video/video-06.html

[18] Etude disponible à l’adresse : http://www.revenuescience.com/news_releasesdetail.asp?prID=050419

[19] Source : « Un vaste choix de services Internet Yahoo sont pré-installées sur les téléphones Nokia Séries 60 », La Nouvelle Republique.com, 5 mai 2005, non signé.

[20] Voir à ce sujet : « Vente d’objets nazi : Yahoo relaxé », Libération, mercredi 6 avril 2005, non signé.

[21] Interview de Philippe Guillanton et Grégoire Clémencin, op. cité

[22] Interview de Jerôme Mercier, vice-président marketing de Yahoo Europe, accordée à Frédéric Quin, Journal du Net, 10 mai 2005, accessible à l’adresse : http://www.journaldunet.com/itws/it_jmercier.shtml

[23] http://fr.news.yahoo.com/

[24] La norme NewsML se fonde sur l’idée qu’un contenu d’information peut inclure plusieurs composantes en texte, image, son ou vidéo, ce qui implique un ensemble de meta-données qui permettent au destinataire de comprendre les relations entre ces composantes et la fonction de chacune d’entre elles. Le format NewsML permet par exemple à un producteur d’information de fournir le même texte en plusieurs langues, une vidéo en plusieurs formats ou une images en différentes résolutions. Pour plus d’information voire http://www.newsml.org

[25] « RSS signifiait initialement "Rich Site Summary" (Sommaire de site enrichi) mais l’acronyme est souvent interprété comme "Really Simple Syndication" (une syndication vraiment simple). Concrètement, RSS est un moyen de décrire un contenu Web, à l’aide de balises spécifiques. Le principe de fonctionnement de RSS est très simple : un fichier texte est généré par un site Web ou un blog. Ce fichier comporte des "tags", qui caractérisent le contenu et sont décodés par des logiciels conçus à cet effet. Le principe est donc très similaire à celui de HTML. Un fichier HTML est décodé par un navigateur Web, qui "comprend" la signification des balises, les interprète, et affiche le résultat sans les tags (texte formaté, liens hypertextes actifs, etc.). C’est la même chose pour RSS, dont la lecture nécessite un outil spécial, un "agrégateur" ou "lecteur RSS". Ce qu’on appelle "flux" ou "fil" RSS est donc un simple fichier texte, comprenant du contenu (en général une succession d’actualités) et des balises délimitant les champs de ce contenu (titres, dates, auteurs). En quelque sorte, c’est un "résumé propre", formaté dans une syntaxe précise, de ce qu’il y a de nouveau sur un site Web. Ce fichier est le plus souvent généré automatiquement, au fur et à mesure de la publication de nouvelles actualités, de sorte qu’il n’existe qu’un fichier RSS pour un site Web ou blog donné (il est toutefois possible de générer plusieurs fils RSS, un par rubrique du site par exemple, mais le principe reste le même). L’utilisateur qui veut ensuite tirer parti de ce contenu, c’est-à-dire le syndiquer sur son propre site ou simplement consulter le fil d’actualités correspondant, n’a plus qu’à récupérer ce "fichier RSS", accessible par une URL unique ». Source : Cyril Fiévet et Marc-Olivier Peyer, http://www.pointblog.com/abc/rss_et_syndication_1.htm

[26] Scott Gatz, directeur de développement des produits personnalisés de Yahoo Inc. Source : « Inside Yahoo : Aggregator brings RSS to the masses », Mark Glaser, Online Journalisme Review, 1er avril 2005. Accessible à l’adresse: http://www.ojr.org/ojr/stories/050331glaser/ 

[27] Source : « Inside Yahoo : Aggregator brings RSS to the masses », Mark Glaser, Online Journalisme Review, op. cité.

[28] Source : « Microsoft, Yahoo et Google collaborent avec Pékin pour assurer la censure », Courrier international, 23 juin 2005, non signé.   

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