Chapitre 7 : Fournisseurs de services sur l’internet et infomédiaires

Nous avons examiné plus haut une première catégorie d’acteurs extérieurs au système médiatique traditionnel qui s’activent dans le secteur de l’information en ligne que sont les portails généralistes des fournisseurs d’accès. Nous avons désigné ces acteurs comme agrégateurs parce qu’ils constituent une offre d’information essentiellement à travers l’achat de contenus auprès de prestataires extérieurs, et dont ils acquièrent les droits pouvant en disposer dans les pages de leurs propres sites internet. A présent nous allons nous intéresser à une autre catégorie d’acteurs qui s’activent dans le secteur de l’information en ligne que nous allons designer en tant qu’infomédiaires. Ceci parce que leur offre d’information est constituée en grande partie par des liens vers des contenus qui ne leur appartiennent pas et qui ne se trouvent pas dans leurs propres sites. Au-delà de son caractère formel, cette caractéristique comporte des implications pour l’organisation et la stratégie des acteurs en question qui s’articule essentiellement autour de la fonction de recherche d’information.

Dans un premier temps, nous allons nous intéresser aux acteurs majeurs de l’internet au niveau mondial que sont Yahoo, Google et MSN.  Ces trois firmes constituent des structures de premier plan en ce qui concerne la mise en place d’une offre de services très large concernant l’utilisation de l’internet. Contrairement aux fournisseurs d’accès que nous avons examiné précédemment, dont le périmètre d’acticité est constitué essentiellement des pays européens, les infomédiaires en question interviennent à l’échelle mondiale. Le point de départ de leur développement a été les Etats-Unis et ils ont progressivement étendu leurs activités dans plusieurs pays d’Europe, d’Asie et d’Amérique Latine. Contrairement aux fournisseurs d’accès, l’activité de Yahoo, Google et MSN ne nécessite pas, du moins au départ, une part très importante d’économie « matérielle », comme par exemple la mise en place et l’entretien de réseaux de télécommunications. Ainsi, les acteurs en question peuvent mettre à disposition une offre de services par le biais de leurs sites portails respectifs sans forcement s’implanter de manière concrète dans les différents pays. Quand ils le font au moyen de filiales dédiées, comme dans le cas de la France, il s’agit avant tout d’une implantation de nature commerciale (vente d’espace publicitaire, établissement de partenariats), et seulement dans un deuxième temps d’une production propre à chaque pays. De plus, l’infrastructure technique ainsi que la recherche et développement demeurent complètement délocalisées, soit dans un seul pays « central » pour toute une région géographique, soit dans des pays où la main d’œuvre spécialisée et les sous-traitants sont accessibles à des coûts très inférieurs. De cette façon les acteurs en question, qui par ailleurs sont largement financiarisés et sous contrôle managérial, tirent des avantages considérables de la flexibilité qui caractérise leurs activités essentiellement effectuées en ligne. Contrairement aux fournisseurs d’accès, qui proviennent pour l’essentiel du secteur de télécommunications et qui sont caractérisés par des logiques propres, les infomédiaires trouvent leurs racines dans le mouvement des start-ups du secteur de l’informatique qui a émergé aux Etats-Unis dans les années 90. Si MSN est une émanation de Microsoft, l’acteur le plus puissant de ce domaine, Yahoo et Google de leur coté constituent deux parmi les rares exemples de ces start-ups qui ont survécu à la crise de la « nouvelle économie » et qui sont devenus des acteurs incontournables de l’internet mondial.

La stratégie de ces trois acteurs pour ce qui nous intéresse dans le présent travail, à savoir la mise en place d’une offre de contenus d’information sur l’actualité, n’est pas identique, loin de là. Chacun d’entre eux se positionne de manière différente afin de tirer avantage de ses propres points forts dans certains segments d’usage de la population internaute. Cependant, le point commun de ces structures est leur effort constant de se positionner en tant qu’intermédiaires incontournables entre les usagers de l’internet et les contenus et services qui y sont disponibles. Et ceci sans forcement s’impliquer eux-mêmes dans la production de ces biens et services. Particulièrement en ce qui concerne l’information en ligne, les acteurs en question essayent d’exploiter leur bonne maîtrise des technologies de recherche d’information et la combiner avec des outils efficaces de gestion de contenu, tels que le langage XML ou les fils RSS, afin de pouvoir organiser et mettre en relation des contenus en provenance de centaines de sources différentes. Il s’agit d’un effort constant visant à appliquer des critères de pertinence qu’ils soient linguistiques, thématiques ou sémantiques à l’offre éclatée de l’information en ligne, afin de la rendre cohérente pour l’utilisateur final. Yahoo et MSN ont parallèlement adopté un positionnement d’agrégateur, à travers l’achat des contenus propriétaires auprès d’acteurs extérieurs, alors que Google se positionne exclusivement en tant qu’infomédiaire.

Afin d’approfondir cette question, nous allons nous intéresser à présent à deux nouveaux acteurs de taille relativement modeste que nous pourrions qualifier de start-ups, et qui interviennent exclusivement dans le secteur de l’information sur l’actualité en appliquant les principes d’infomédiation précédemment mentionnées. Il s’agit de Newsisfree et de Net2One, qui, bien qu’étant modestes en termes économiques, présentent un intérêt particulier par rapport à l’originalité de leur approche, mise en oeuvre avec des moyens limités.

Indépendamment de leur taille, l’ensemble des acteurs précédemment mentionnés pose une série d’interrogations quant à leur mode de fonctionnement concret et leur légitimité dans le secteur de l’information. Ainsi, la question du choix des sources, celle des critères de sélection appliqués dans le traitement des contenus d’information, celle relative à la fonction éditoriale qu’ils assument de fait, comme celle de leurs relations avec les éditeurs et les atteintes aux droits d’auteur dont ils sont accusés par ces derniers seront centrales dans l’analyse qui suivra. Il faut à ce point préciser les limites méthodologiques de notre approche. Celles-ci sont essentiellement dues à la nature très compétitive du marché en question. Ainsi, il est extrêmement difficile d’entrer en contact avec les responsables des structures qui nous intéressent, surtout quand il s’agit d’une étude comparative comme la nôtre. La crainte de voir leurs stratégies respectives dévoilées à leurs concurrents est grande. Par ailleurs, dans le cas de Google la branche française se limitait au moment de notre recherche de terrain à des tâches commerciales et ne participait aucunement à la mise en place de la stratégie ni au développement des différents outils. Ainsi, avons-nous été amenés à nous tourner vers la presse spécialisée et les interviews accordées par les responsables de la société au niveau international pour tenter de combler cette lacune. Notre recherche se fonde sur une série d’entretiens semi-directifs et une veille sur la presse spécialisée. Pour MSN France, Net2One et Newsisfree nous avons pu interroger des membres de la direction, pour Google France l’ancien Directeur général et pour Yahoo France la personne en charge de la gestion quotidienne des pages d’information.