2.2 Une grille d’analyse du processus de financiarisation des industries culturelles

La financiarisation, selon Philippe Bouquillion, « désigne le fait que les pôles ou groupes industriels sont cotés en bourse. La notion de financiarisation renvoie donc à la question de la propriété et au contrôle des industries » [Bouquillion, 2002, p.155]. Concernant les industries culturelles, et plus particulièrement la presse, le processus de financiarisation n’est pas un phénomène nouveau. Selon Christian Pradié, l’émergence de la presse populaire au début du XIXème siècle en France est caractérisée par l’instauration d’une dépendance des entreprises de presse envers les marchés financiers : « singulièrement en ce domaine l’irruption d’un pouvoir financier transformé et affermi amène une suite d’effets dans les caractéristiques de l’activité des métiers de l’information et de la culture. La soumission aux impératifs de l’argent est de plus en plus amèrement contestée. La naissance d’un pôle capitaliste au sein du secteur des médias, qui doit plus aux innovations financières qu’aux influences techniques, entraîne une grande quantité de modifications parmi lesquelles l’affaiblissement de la presse d’opinion » [Pradié, 2002, p.86]. Selon l’auteur, se forme ainsi un mouvement de financiarisation des activités du domaine culturel « qui consiste moins en une commercialisation des œuvres dont l’existence d’un marché est déjà ancienne, qu’en leur mise en exploitation par des sociétés visant à dégager un rendement pour l’épargnant actionnaire » [Pradié, 2000, p.21].

 

Financiarisation et formes de contrôle

De cette façon, et en raison des évolutions du système économique mondial, « à la suite d’autres domaines de la production culturelle ou informationnelle, les activités audiovisuelles, ainsi que les télécommunications, ont évolué, dans la période récente, selon une mutation qui tend à transformer leur objet principal en un secteur de destination des placements financiers » [Miège, Bouquillion et Pradié, 2002][1]. Autrement dit, en raison, d’une part, de la recherche des investisseurs de secteurs à forte rentabilité, et d’autre part, du besoin des industries culturelles de nouvelles sources de financement, les industries de la communication et de l’information ont fait l’objet d’une financiarisation croissante ces dernières années. Nous allons par la suite essayer d’analyser cette mutation du secteur des industries culturelles, en utilisant la grille d’analyse que Bernard Miège, Philippe Bouquillion et Christian Pradié ont construite pour étudier ce phénomène. Etant donné le fait que cette grille concerne prioritairement le secteur de l’audiovisuel, nous allons nous efforcer de l’adapter afin d’éclairer notre propre objet d’analyse, à savoir l’information en ligne, dont les acteurs principaux proviennent du secteur des médias, et ceux des télécommunications et de l’internet. Ainsi nous allons brièvement présenter les différents paramètres des mutations des industries de l’information, corrélatives au processus de financiarisation, avant de s’intéresser plus particulièrement aux structures actives dans le secteur de l’information en ligne, dont un certain nombre constituent le corpus de notre recherche de terrain.

Suivant l’analyse de ces auteurs, la financiarisation des industries culturelles a des effets directs sur la structure de détention des firmes du secteur. Ainsi, selon le degré de financiarisation, une entreprise évolue dans un premier temps d’une situation de contrôle familial absolu à celle d’un contrôle relatif : dans le premier cas il s’agit, pour la France, d’entreprises comme Ouest France et Amaury dans la presse, Pathé dans le cinéma et Le Seuil dans l’édition. Dans le cas de contrôle familial relatif, il s’agit de pôles financiers dont le capital est ouvert aux actionnaires, permettant un accès à des fonds, mais dont la majorité des actions est contrôlée par le dirigeant-propriétaire, comme Lagardère, Pinault, Bouygues mais aussi Gaumont et LVMH. Dans un troisième temps, en raison des augmentations successives du capital, les blocs d’actionnaires se fragmentent ce qui résulte à ce que aucun d’entre eux ne puisse assurer le contrôle de la firme seul. Il s’agit alors d’un contrôle de type managérial qui est assuré par un administrateur salarié, dont la gestion doit répondre aux objectifs fixés par les actionnaires et les marchés financiers. Cette catégorie englobe de pôles financiers actifs dans les médias en France comme Vivendi-Universal, AOL-Time Warner, Suez, Emap ou Pearson. Enfin, un statut particulier est celui du contrôle de type mutualiste, qui comprend des firmes de taille variable, regroupant des acteurs constitués sous forme d’associations, de coopératives et de sociétés civiles d’employés ou de fondations. Il s’agit de groupes de presse tels que celui du Monde et de Bayard Presse et de pôles, à l’instar de Bertelsmann qui contrôle en France Prisma Presse, éditeur des magazines comme Voici, Télé Loisirs et Capital. Ce processus à l’œuvre au sein des industries culturelles se combine avec et renforce trois mouvements : un mouvement de concentration des capacités économiques, qui se décline en une tendance de diversification horizontale et une autre d’intégration verticale des acteurs de la communication ; un mouvement d’internationalisation du capital des firmes ; et, enfin, un mouvement d’industrialisation croissante des modalités de production.

 

Concentration des capacités économiques

Le processus de concentration est en constante relation d’influence réciproque avec celui de financiarisation, puisque les firmes qui sont cotées en bourse représentent une partie proportionnément élevée des effectifs, du chiffre d’affaire et de la valeur ajoutée du secteur. Ainsi, selon l’étude des auteurs précédemment cités, en ce qui concerne les médias et pour les exercices entre 1996 et 2000, les entreprises cotées et leurs filiales, qui constituent un peu plus d’un quart du nombre total des firmes du secteur de l’édition des journaux et des périodiques dans l’Union européenne, représentent 51% des effectifs, 54% du chiffre d’affaires et 71% de la valeur ajoutée du même secteur. Parallèlement, les entreprises cotées et leurs filiales, qui constituent un peu plus de la moitié du nombre total des firmes du secteur de la radio et de la télévision, représentent 65% des effectifs, 64% du chiffre d’affaires et 60% de la valeur ajoutée. Par ailleurs, l’état de financiarisation apparaît comme un facteur de profitabilité de la firme, puisque les niveaux de rentabilité des fonds et de profit par salarié sont largement supérieurs pour les firmes financiarisées dans l’ensemble des secteurs. Ainsi, pour les éditeurs de magazines et de journaux cotés en bourse, le profit par salarié est supérieur de 44 000 euros en moyenne entre 1996 et 2000 de ceux qui ne sont pas cotés, et pour la radiotélévision l’écart est de 14 000 euros en moyenne [Miège, Bouquillion et Pradié, 2002]. 

Il apparaît ainsi que la pression sur les résultats des entreprises qui dépendent des marchés financiers est forte, ce qui conduit à l’industrialisation croissante de processus de production, avec l’introduction des techniques des ressources humaines et de management, l’abaissement des effectifs et le recours généralisé à la sous-traitance éditoriale en ce qui concerne l’information. Enfin, selon les auteurs, l’internationalisation constitue également une variable liée à l’état de financiarisation, puisque il apparaît de leur étude comparative que les firmes sous contrôle managérial, et dans une moindre mesure celles sous contrôle familial relatif et mutualiste, sont davantage présentes sur le plan international. Il apparaît ainsi que le processus de financiarisation revêt un rôle structurant dans l’aboutissement des trois mouvements de concentration, d’industrialisation et d’internationalisation que connaît le secteur des industries culturelles, et plus particulièrement celui de l’information.

 

2.2.1 Les stratégies de diversification horizontale dans l’information

Le premier critère de la grille d’analyse de l’évolution des stratégies industrielles mise au point par Miège, Bouquillon et Pradié, est celui du degré d’exclusivité du positionnement dans la communication. Effectivement, la majorité des groupes étudiés par ces auteurs est principalement, voire uniquement, positionnées dans le secteur de la communication dans un sens large. Cependant une particularité française réside dans le fait que l’origine de plusieurs groupes de communication se trouve en dehors de ce secteur. C’est le cas notamment de Vivendi-Universal et de Suez, dont le métier d’origine est la gestion des réseaux  d’eau ; celui de Lagardère et de Dassault qui ont des positions fortes dans l’armement et l’aéronautique ; celui de Bouygues qui provient du secteur du bâtiment et des travaux publics ; de LVMH, propriétaire de Desfossés International qui s’active dans le secteur de la presse financière et économique, notamment avec La Tribune, dont le secteur principal d’activité est celui des produits de luxe ; et de Pinault-Printemps-La Redoute, propriétaire du Point, dont les activités diverses sont plutôt concentrées dans de la distribution. 

Nous pouvons avancer deux hypothèses d’explication concernant cette particularité. D’une part l’enchevêtrement entre pouvoir économique et pouvoir politique particulièrement visible en France, et d’autre part le fait que le marché français de la communication est relativement restreint et, à l’inverse du marché américain, ne procure pas des ressources financières suffisantes pour la constitution de groupes importants, exclusivement présents dans ce secteur. Ainsi, selon Philippe Bouquillion, les acteurs mentionnés précédemment « ont cherché à tirer profit de l’écheveau complexe et obscur de leurs relations avec les pouvoirs publics locaux, comme nationaux. Mais surtout, les ressources procurées par leurs métiers de base leur ont permis d’investir ces nouveaux métiers » [Bouquillion, op.cité, p.157].  Dans ce cas de figure, les pôles français en question fonctionnent sur le mode de conglomérat, c’est à dire sous une forme de concentration qui vise à repartir les risques des entreprises regroupées, sans qu’il y ait pour autant des liens industriels entre les activités relevant du secteur de la communication et les autres. Cette tendance semble se renforcer en ce qui concerne notre objet de recherche, à savoir l’information en ligne. En effet, nous remarquons l’apparition d’un certain nombre d’acteurs extérieurs comme les fournisseurs d’accès à l’internet et les portails généralistes qui se positionnent dans la composante de diffusion de l’information en ligne, après avoir cherché sans succès de s’engager dans la production de contenus.

 

Diversification horizontale et internet

Le deuxième critère d’analyse des stratégies des acteurs est celui de la diversification horizontale. Il s’agit du regroupement d’entreprises qui fabriquent les mêmes produits ou vendent les mêmes services qui sont dits substituables en économie. Dans le cas qui nous intéresse ici, il s’agit pour un média de disposer de plusieurs débouchés pour sa production, au moyen des supports différents, ce qui se traduit par un positionnement plurimédia. La situation des groupes de communication par rapport à la diversification horizontale varie sur un axe qui va d’un positionnement quasiment dans tous les secteurs des industries culturelles à une situation de mono-positionnement dans un secteur précis. Les exemples utilisés par les auteurs afin d’illustrer la première situation sont essentiellement de groupes sous contrôle managérial, ceux de Vivendi-Universal et d’AOL-Time Warner. Cependant, comme nous l’avons indiqué précédemment, depuis, le pôle Vivendi-Universal s’est séparé de sa branche édition et ne dispose plus d’actifs dans la presse écrite et le livre. De son coté AOL-Time Warner reste, avec Bertelsmann et la News Corporation de Rupert Murdoch, l’exemple type d’une diversification horizontale quasi-exhaustive. En outre, il existe, en France, des acteurs sous contrôle familial relatif qui effectuent une diversification horizontale, certes limitée, mais néanmoins existante. C’est le cas du Groupe Amaury, dont l’activité trouve ses origines essentiellement dans la presse, avec de titres comme Le Parisien, L’Equipe, France Football, Aujourd'hui en France et L’Echo Républicain. En 2005, le groupe se diversifie dans l’audiovisuel, avec L’Equipe TV, et dans l’organisation d’évènements sportifs, avec notamment le Tour de France.  Dans un mouvement inverse, la chaîne de télévision M6 se diversifie depuis un certain temps dans l’édition de presse avec de nombreux magazines liés directement à ses émissions, ainsi qu’une maison de disque (M6 Interactions) chargée de produire notamment de nouveaux interprètes en provenance des émissions de la « télé-réalité ».

En ce qui concerne le positionnement uniquement dans une seule branche de la communication, l’exemple utilisé est celui du groupe TF1 dans l’édition de services de télévision. Or, depuis un certain nombre d’années le groupe TF1 s’implique de façon croissante dans le secteur de l’internet et de l’information en ligne à travers sa filiale e-TF1 qui regroupe plusieurs sites internet dont tf1.fr et lci.fr, ainsi que toutes les déclinaisons européennes du site d’Eurosport. Les sites en question concentrent une audience importante, notamment à travers l’utilisation des canaux télévisuels comme supports de promotion pour les sites internet29. L’importance économique de la branche internet au sein du groupe paraît dérisoire, puisque elle représente seulement 11M d’euros pour l’année 2002 sur un chiffre d’affaires global de 2 768,7M d’euros, soit approximativement 0,40%30. Cependant, en termes de positionnement stratégique, TF1 mise sur l’internet pour une multivalorisation de ses produits de télévision, mais également, comme nous le verrons plus loin dans l’analyse de notre recherche de terrain, sur la mise en place d’une cellule de journalistes et de techniciens, exclusivement dédiée à l’internet, qui se consacre à la production d’informations écrites. Ce qui constitue un embryon de diversification horizontale pour le groupe. En effet, même si l’activité internet est pour le moment de faible importance, elle est plus intéressante en termes de coûts pour un groupe sous contrôle familial relatif comme TF1, qu’une diversification sur un support papier ou qu’une implication dans un autre secteur des médias qui demanderait un investissement initial très élevé ou un rachat coûteux.  

Il en va de même pour le groupe public de France Télévisions, qui a mis en place un groupement économique associant France 2, France 3 et France 5, appelé France Télévisions Interactive (FTVI), qui assure le développement de ses sites respectifs. Si l’importance des sites internet de la télévision publique en France est réduite en termes d’audience, loin derrière ceux du groupe TF1, il n’en demeure pas moins qu’un effort est consenti en ce qui concerne une certaine diversification de l’opérateur public de télévision dans le secteur de l’information en ligne[2]. Radio France consacre également un effort considérable en ce qui concerne sa présence sur internet, à travers le site radiofrance.fr, qui ressemble les radios du groupe, ainsi qu’au moyen de Radio France International qui, comme nous le verrons, mobilise l’ensemble du réseau des journalistes dont elle dispose à travers le monde à des fins de production d’information écrite pour le site rfi.fr et ses déclinaisons.

Enfin en ce qui concerne la presse, certains acteurs ont engagé un effort de diversification dès les années 80 avec l’apparition du Minitel en France et la mise en place de services de télématique par la presse quotidienne. A l’époque, le secteur de l’information spécialisée est celui qui a connu les plus fortes extensions sur Vidéotex. Comme le rappelle Frank Rebillard, les serveurs télématiques de ces organes de presse se sont pour beaucoup d’entre eux transformés en véritables banques de données, consacrant leur dimension spécifique de documentation sur ce nouveau support. La presse économique et financière s’est développée de manière conséquente avec le succès notamment de La Tribune, sous le nom de La Cote Desfossés [Rebillard, 1999]. En revanche, pour la presse généraliste, comme le remarque Valérie Cavélier-Croissant, « l’élément évident qui émerge de cette expérience télématique est la difficulté que rencontre la presse d’information générale, malgré ses atouts, à investir en fonction de ses activités premières, de nouveaux supports […] l’information générale n’est pas un secteur facile à exporter sur de nouveaux supports, et surtout il est difficile d’envisager sa rentabilité » [Cavélier-Croissant, 2002, p.17].

 Par la suite l’apparition de l’internet grand public en France au milieu des années 90 a poussé les entreprises de presse à explorer la possibilité de diversification en ligne, avec, dans un premier temps, la mise en place de sites expérimentaux. Ceci sous l’impulsion notamment de l’INA (Institut National de l’Audiovisuel) qui a proposé à tous les titres de la presse parisienne de prendre en charge la partie technique. Ainsi sont nées les premières versions des sites du Monde Diplomatique et du Monde en 1995, et celle de Libération un an plus tard. Des titres de la presse régionale comme Les Dernières Nouvelles d’Alsace et des magazines comme Elle ont été également actifs dans la diversification sur l’internet à cette période [Delporte et d’Almeida, 2003, pp.346-347].

Aujourd’hui la quasi-totalité des titres de presse quotidienne et périodique disposent d’un site internet, avec des situations disparates en termes économiques et éditoriaux. Dans certains cas il y a eu création d’une filiale spécifique dédiée à l’internet et au multimédia comme dans le cas du Monde et sa filiale Le Monde Interactif créée en 1998. Aujourd’hui lemonde.fr est le premier site de la presse en France au niveau de l’audience avec 10 000 000 de visites par mois en moyenne et la troisième place dans la catégorie « News & Information », au classement du panel Nielsen/Netratings[3]. D’autres titres de presse comme Libération ont préféré garder le développement du site internet à l’intérieur de la structure d’origine avec la création d’un service dédié.

Sans développer davantage l’analyse des enjeux économiques et éditoriaux d’une telle évolution, puisque cette dernière a fait l’objet de notre recherche de terrain, nous pouvons d’ores et déjà affirmer que l’internet apparaît comme un champ de diversification propice au développement de l’industrie de l’information, notamment en ce qui concerne les acteurs sous contrôle familial relatif ou absolu, mais également les firmes sous contrôle de type mutualiste. Ceci parce que dans un premier temps l’internet apparaît pour de tels acteurs, dont la puissance financière est relativement limitée, comme une possibilité de diversification horizontale qui ne représente pas des risques économiques très élevés. Effectivement, dans un premier temps, leur développement ne requiert pas obligatoirement le recours à des sources de financement extérieures qui pourrait aboutir par la suite à une perte de contrôle de la structure[4]. Particulièrement pour la presse, dont la production écrite pourrait être valorisée directement sur l’internet, cette orientation est apparue comme indispensable. Cependant, le point faible d’une telle stratégie a été, et demeure toujours comme nous le verrons plus loin, la faiblesse des recettes propres aux sites internet, dont la valorisation éditoriale et le développement technique se sont avérés plus coûteux que prévu, en tous cas suffisamment pour peser sur les comptes des médias d’origine. 

2.2.2 La tendance visant une intégration verticale de groupes de communication

Le troisième critère utilisé par les auteurs afin d’analyser les stratégies des acteurs est celui de la diversification verticale, à savoir la constitution d’une filière intégrée de la communication. Selon Pierre Musso, nous pouvons considérer que la filière de la communication, y compris l’industrie de l’information, est composée de trois grandes fonctions : la production des œuvres de l’esprit (financement et réalisation), leur édition (choix, assemblage, hiérarchisation) et, en aval, leur distribution auprès du public (diffusion, mise à disposition) [Musso, 2000b, p.8]. Ainsi, nous pouvons considérer qu’une entreprise du secteur procède à une intégration verticale exhaustive si elle est présente dans ces trois segments de marché. Dans l’étude effectuée par B.Miège, P.Bouquillon et C.Pradié, les segments identifiés sont quelque peu différents, puisque la catégorisation retenue est celle entre contenus, réseaux et matériels de réception [Miège, Bouquillion et Pradié, op.cité]. Aucun de dix-sept groupes du corpus analysé par ces auteurs n’occupe des positions fortes dans tous ces trois segments. Et lorsque un groupe est présent dans deux de ces catégories les liens industriels et les synergies sont souvent inexistants à cause de leur fonctionnement en conglomérat décrit plus haut.

 Les principales formes d’intégration verticale mises en évidence par les auteurs sont constatées au sein de la même filière, notamment dans l’audiovisuel où plusieurs acteurs sont à la fois producteurs et diffuseurs de contenus. Nous pouvons ajouter à cela que le Groupe Canal+, qui appartient au pôle financier Vivendi-Universal, est peut être la structure qui se rapproche le plus d’une forme d’intégration verticale aboutie, puisque au moyen de NumeriCable, sa filiale à 100% depuis 1998, en dehors de la production et la diffusion des programmes, il contrôle un réseau câblé conséquent avec 2,3 millions de prises à travers la France, ce qui en fait le deuxième câblo-opérateur du pays[5]. Dans le cas de la presse on constate par exemple que le Groupe Le Monde est également propriétaire des rotatives d’impression des journaux à Ivry (Val-de-Marne), en aval de sa principale activité d’éditeur de presse. Cependant, si nous prenons en compte l’ensemble des activités qui sont liées aux industries culturelles, nous pouvons affirmer, à l’instar de Philippe Bouquillion, que « il n’existe donc pas une filière intégrée de la communication » [Bouquillion, op.cité, p.161]. En revanche des filières intégrées partielles se dessinent au sein d’un secteur donné.  

 

Intégration verticale et internet

Si nous nous intéressons à l’internet, nous pouvons appliquer ces mêmes critères afin d’analyser le positionnement des acteurs, en ce qui concerne plus particulièrement le cas de l’information en ligne. Premièrement, il faut dissocier les différents niveaux de l’activité afin de pouvoir identifier le degré d’intégration verticale que l’on y décèle. Au sein d’une activité comme celle de l’information en ligne nous pouvons, en schématisant, dégager quatre segments qui peuvent être potentiellement occupés par les acteurs : le niveau de production de l’information, qui équivaut dans ce cas au financement de l’activité des journalistes et rédacteurs ; le niveau de l’édition qui comprend le choix, la hiérarchisation et la programmation de l’information ; le niveau de la diffusion, autrement dit la mise à disposition au moyen des sites internet accessibles gratuitement ou moyennant rétribution ; et finalement l’acheminement physique et technique de l’information à travers les réseaux matériels. Toutes ces étapes peuvent être sous-traitées par les acteurs. Comme nous le verrons plus loin, cette conception de la répartition du travail relève d’une modélisation quelque peu éloignée de l’imbrication des combinaisons diverses de ces activités que nous rencontrons dans la plupart des cas concrets. Cependant elle a le mérite de permettre une compréhension analytique du phénomène. 

La question d’une intégration verticale complète ne se pose pas pour les structures en provenance des médias, puisque ces dernières sont traditionnellement présentes dans la production et l’édition des contenus, mais ne contrôlent pas les moyens techniques de distribution, qui sont constitués sur l’internet par les réseaux matériels de câbles, de fibres optiques et des réseaux téléphoniques, ainsi que d’une partie informatique, notamment les serveurs centraux. En revanche, il existe une catégorie d’acteurs qui s’active au sein de l’internet et qui a, ou du moins a eu par le passé, la volonté de constituer une filière intégrée. Il s’agit des fournisseurs d’accès à l’internet, dont les principaux représentants sont des filiales de groupes de télécommunications. Le premier fournisseur d’accès en France est Wanadoo, filiale de France Télécom, suivi par Free, qui appartient au groupe Iliade, AOL France, filiale de AOL-Time Warner, Club-Internet, qui fait partie de T-Online filiale de Deutsche Telekom, et Tiscali, groupe spécialisé dans la fourniture d’accès en Europe qui appartient à Telecom Italia. Ces firmes disposent également des sites-portails à travers lesquels elles essayent de valoriser l’audience importante dont elles disposent[6].

Au moyen de ce processus, les acteurs en question, dont la plupart est sous contrôle managérial, ont voulu s’impliquer d’une part dans la création et l’édition des contenus, étant déjà les principaux détenteurs de réseaux. A l’exception de Free, dont la stratégie n’a jamais inclu le développement d’une production propre de contenus, les quatre autres acteurs dont il est question ont tenté de se positionner sur ce terrain. Ainsi, Wanadoo, Tiscali, Club-Internet et AOL ont recruté des journalistes et des rédacteurs spécialisés, entre 1999 et 2001, afin de pouvoir contrôler intégralement l’information, de sa conception à l’édition et la distribution à travers les réseaux qui leur appartiennent. Comme le remarquent Bernard Miège, Philippe Bouquillion et Christian Pradié à propos de Vivendi-Universal, ces expériences se sont quasiment toutes révélées des échecs, généralement fort coûteux et ont mis en évidence le fait que les particularités des industries culturelles sont difficilement maîtrisables par des acteurs extérieurs qui n’en disposent pas une expérience solide [Miège, Bouquillion et Pradié, op.cité].

Actuellement, au prix de restructurations importantes, les acteurs en question sont revenus sur ce choix en se séparant de l’essentiel de leur effectif qui avait la charge de produire et d’éditer de contenus, à l’exception d’AOL seul à avoir conservé une équipe réduite de rédacteurs. Cette équipe éditoriale, comme nous le verrons plus loin, s’occupe essentiellement d’éditer les contenus achetés auprès des prestataires extérieurs, mais également en provenance de Time-Warner, la maison mère. Cependant, les acteurs en provenance du secteur de télécommunications continuent de détenir des positions fortes dans la diffusion de contenus d’information, et pour certains aussi dans l’édition de ces mêmes contenus, en s’appuyant sur le rôle stratégique de carrefour sur l’internet que constituent leurs portails respectifs. 

Sans entrer dans les détails de l’analyse de ce phénomène, qui fait également partie de notre recherche de terrain, nous pouvons néanmoins affirmer que l’émergence de l’internet grand public, et la diffusion des connexions à haut débit, ont contribué à la déstabilisation des modèles de l’industrie de l’information dominants jusque-là et de la répartition entre secteurs qui en découle. Ceci en offrant la possibilité à des acteurs extérieurs d’entrer dans le secteur des médias et d’y concurrencer les acteurs traditionnels. La dernière évolution qui illustre ce phénomène est la constitution par des fournisseurs d’accès à l’internet d’une offre de télévision par ADSL, qui consiste, au moyen d’un très haut débit, de pouvoir allouer une partie de ce dernier au transport des signaux de télévision dans les foyers raccordés. Le précurseur de cette offre a été Free, avec sa Freebox, dès la fin 2003, suivi par France Télécom en collaboration avec le groupe TF1 à travers la joint-venture TPS L, et par le Groupe Canal+ en collaboration avec Neuf Telecom, et leur offre CanalSatDSL. Selon une étude du cabinet NPA conseil, 300.000 téléspectateurs ont accès à une offre de télévision par ADSL et le taux de raccordement pour les foyers pourrait être de 70% à la fin de l’année 2005[7].

 

2.2.3 L’internationalisation des industries de l’information et du divertissement

Le dernier critère utilisé dans la grille d’analyse du processus de financiarisation des industries culturelles et des mutations corrélatives est celui de l’internationalisation de l’activité. Selon Miège, Bouquillion et Pradié les formes d’internationalisation sont complexes et apparaissent comme limitées et diversifiées, sur le plan des stratégies d’acquisition comme de diversification géographique des offres de produits [Miège, Bouquillion et Pradié, op.cité]. Cette tendance semble contredire en partie les discours sur la globalisation, en tant qu’indifférenciation des espaces nationaux, concomitante avec une domination des produits américains. Ainsi, nous remarquons que certains groupes, à l’instar de l’ensemble des acteurs de la presse française mais aussi ceux de la télévision comme TF1, s’activent essentiellement au sein d’un marché national de taille moyenne, en l’occurrence celui de la France.

 

Des médias faiblement internationalisés

 Les auteurs attribuent ce positionnement au fait que pour de tels acteurs, qui se trouvent sous contrôle familial absolu ou relatif, il est difficile de procéder à une internationalisation conséquente sans s’endetter lourdement ou accepter une perte du contrôle de la famille sur le capital du groupe. De plus, la particularité de l’industrie de l’information et du divertissement, à laquelle sont insérées les chaînes de télévision et les journaux, réside d’une part sur le fait que pour des raisons techniques et réglementaires la diffusion de la télévision et de la presse se conçoit essentiellement à l’échelle locale et nationale. D’autre part, le bassin linguistique auquel s’adressent les acteurs de la communication est un facteur déterminant et contraignant. C’est la raison pour laquelle les acteurs français s’adressent essentiellement à un marché francophone.

Cependant, il existe des éléments d’internationalisation même au sein de ces acteurs. Ainsi, le groupe TF1 dispose d’une filiale très internationalisée, Eurosport, chaîne d’information sportive déclinée en plusieurs langues[8]. De cette façon au moyen de la diffusion par satellite et de l’insertion de la chaîne à des bouquets du câble, le groupe TF1 est présent dans 56 pays à travers le monde. La filiale Eurosport représente 284,4M d’euros sur un chiffre d’affaires total de 2 768,7M d’euros, soit approximativement 10,3% du chiffre d’affaire du groupe TF1 en 2003[9]. En ce qui concerne la presse, c’est le phénomène inverse qui est observé, à savoir l’entrée dans le marché français des acteurs d’origine étrangère. C’est le cas du premier quotidien économique français, Les Echos, qui appartient depuis 1988 au Financial Times Group, lui-même filiale de Pearson. Le groupe de presse britannique Emap et Prisma Presse, propriété de l’allemand Bertelsmann, disposent également de positions fortes dans la presse magazine française.

La deuxième catégorie d’acteurs, en rapport avec leur degré d’internationalisation, mise en évidence par Philippe Bouquillion, est celle des pôles qui réalisent une part prépondérante de leur chiffre d’affaires dans un seul espace national, mais de grande taille, qui est dans la plupart des cas le marché américain [Bouquillion, op.cité, p.162]. Il s’agit d’acteurs tels Disney, Viacom ou AOL-Time Warner qui bénéficient par ailleurs d’une image très internationale et diffusent leurs produits dans de nombreux pays du monde. Une troisième catégorie d’acteurs est constituée par des pôles essentiellement positionnés sur un espace géographique à l’échelle continentale, notamment l’Europe, mais sur plusieurs marchés nationaux ou bassins linguistiques, dont l’un est dominant. Un exemple de ce positionnement est celui de Bertelsmann qui réalise une part importante de son chiffre d’affaires en Europe, l’Allemagne occupant une place significative en raison de l’implantation historique du pôle dans ce pays qui en est à l’origine. Le groupe News Corporation entre également dans cette catégorie, en disposant de positions fortes dans la presse, la télévision, le cinéma et la musique dans les pays anglophones particulièrement en Australie, en Grande Bretagne et aux Etats-Unis. Enfin, la quatrième catégorie d’acteurs comprend les pôles financiers fortement internationalisés, tel Vivendi-Universal. Dans ce cas, ces pôles ressemblent des groupes ou des firmes qui sont eux mêmes ancrés dans des espaces nationaux ou continentaux, et l’internationalisation dont ils sont l’objet est essentiellement financière, les synergies industrielles étant difficilement réalisables.

A travers cette brève présentation nous pouvons déduire, à l’instar des auteurs cités précédemment, que la conception communément répandue qui considère la culture et la communication comme des secteurs totalement globalisés, et en grande partie « américanisés », est biaisée. Ceci parce qu’elle ne prend pas en compte les particularités des industries culturelles, liées aux caractéristiques spécifiques de chaque pays en termes des différences linguistiques, culturelles, réglementaires et économiques. Ces particularités rendent difficile le développement des synergies industrielles, relatives aux contenus d’information et de divertissement, qui sont subordonnées aux caractéristiques spécifiques des différents marchés nationaux ou continentaux. Il est important à noter ici que cette analyse ne met pas en cause le débat actuel sur la diversité ou l’ « exception culturelle », qui découle du constat d’un déséquilibre concernant les productions culturelles entre les différents pays, notamment entre pays du Nord et pays du Sud. Une certaine globalisation culturelle est effectivement à l’œuvre fondée sur la prédominance des produits américains, et dans un deuxième temps européens, au niveau mondial. Mais cette tendance de fond n’enlève rien aux difficultés industrielles et économiques que rencontrent les groupes de communication dans leur effort d’internationalisation, que nous venons de décrire.

 

Les acteurs transnationaux

Dans le cas de l’internet la question de l’internationalisation prend une dimension différente en raison de la nature par définition transnationale du support. En effet, comme il a été soulevé à maintes reprises, l’internet est un support qui permet une diffusion potentiellement mondiale de l’information et de ce fait permet une internationalisation relativement aisée, du point de vue technique, des industries de l’information. Ainsi, la question de l’information en ligne revêt dès le départ des caractéristiques qui ne différencient aucunement sa diffusion sur des critères géographiques. Ceci parce que les coûts de distribution sont les mêmes du côté de l’offre pour n’importe quel pays de la planète. De cette façon, les médias français sont potentiellement accessibles à un public mondial au moyen de leurs sites internet respectifs, ce qui permet à des populations spécifiques, comme les expatriés, d’y avoir accès.

La nature transnationale de l’internet a permis à un certain nombre d’acteurs qui s’activent dans le secteur de l’information en ligne d’étendre leurs activités dans plusieurs pays. Ceci parce que, contrairement aux autres secteurs des médias et notamment l’audiovisuel et la presse, les investissements initiaux nécessaires sont relativement faibles en termes d’effectif et d’équipement. Cependant, cette dimension ne doit pas occulter les obstacles réels pour une firme de s’implanter sur un marché étranger qui découlent des particularités de celui-ci. Ainsi, nous allons considérer ici comme internationalisation structurelle, non pas le simple fait pour des acteurs d’être accessibles à un niveau mondial au moyen de leurs sites respectifs, mais leur implantation concrète dans plusieurs marchés nationaux, notamment le marché français. Ceci à travers la mise en place d’une structure juridique spécifique, ainsi que l’existence de locaux et d’employés qui y sont dédiés. Si nous nous fondons sur une telle définition, nous constatons que les acteurs en provenance des médias, notamment en France, sont ceux dont l’internationalisation structurelle est la plus limitée, voire inexistante. En raison de leur métier de base, qui est la production de contenus, leurs stratégies respectives sont conçues à un niveau national ou local. A l’inverse les stratégies industrielles sont davantage internationalisées dans le cas d’un certain nombre de firmes qui proviennent de l’informatique et des services internet. Les trois principaux acteurs de cette catégorie, qui sont présents en France sont Yahoo, Google et MSN.

  Yahoo est une firme américaine basée en Californie créée en 1994, dont l’activité d’origine était celle d’annuaire, c’est à dire un recensement permanent et exhaustif des pages web. Ce recensement est effectué par du personnel spécialisé, résultant à la constitution des catégories thématiques, dans le but de faciliter la navigation et l’accès à l’information pour les internautes. Depuis, Yahoo a mis en place de nombreux services gratuits mais aussi payants, qui vont de la recherche d’information et la messagerie électronique aux rencontres et à l’information en ligne. Actuellement, la rubrique Yahoo News constitue un des principaux sites d’information aux Etats-Unis mais également en France en termes d’audience[10]. Il s’agit d’une partie du site de Yahoo qui comporte des articles, des vidéos, des photos et des reportages sonores en provenance d’un grand nombre de sources, comme les trois principales agences de presse AP, AFP et Reuters, ainsi que plusieurs services liés à l’actualité comme la personnalisation et la recherche d’information. Cependant, même si Yahoo est très présent à l’international, la firme continue d’effectuer la majeure partie de son activité aux Etats-Unis, où pour l’année 2003 elle a généré 83% de son chiffre d’affaire, soit 1 355M de dollars, pour seulement 17%, soit 270M de dollars, à l’étranger[11]. La structure financière du capital de Yahoo étant très éparpillée, la firme se trouve sous contrôle managérial.

Google de son côté est une firme créée en 1998, également en Californie, dont la principale activité est la recherche sur l’internet. En 2005, Google est le premier acteur de la recherche en France, mais également au niveau mondial. Depuis la fin de l’année 2003 Google s’est activé également dans le secteur de l’information en ligne avec la création de la rubrique Google News (Google Actualités en France). Cette rubrique fonctionne par recensement automatique d’articles d’information disponibles sur l’internet, et la création de liens vers ces articles à partir de la page en question. Le service est développé avec une technologie de recherche, PageRank, déjà utilisée par Google, mais qui est cette fois appliquée exclusivement aux contenus d’information et d’actualité. Malgré une internationalisation très forte, Google continue d’effectuer la plus grande partie de son chiffre d’affaires aux Etats-Unis où il a dégagé 1 453M de dollars de revenus en 2004, pour 704M de dollars générés à l’étranger[12]. La répartition très dispersée du capital de Google, qui est coté à la Bourse de New York depuis août 2004, signifie que la firme est sous contrôle managérial.

Enfin MSN (Microsoft Networks) est une filiale de Microsoft dédiée à la création de services internet. Microsoft est également sous contrôle managérial, quoi que sous l’emprise indirecte de son fondateur William Gates. La firme MSN est très active dans le secteur de l’information en ligne américain à travers sa joint-venture avec le réseau de télévision NBC, le site MSNBC.com. Cette alliance entre Microsoft et NBC, qui appartient à General Electrics, se décline également dans le secteur de la télévision par câble avec la chaîne d’information en continu MSNBC Cable. En France c’est essentiellement le site msn.fr et la rubrique MSN Actualités qui permet à la firme de s’impliquer dans le secteur de l’information en ligne. L’ensemble de sites affilié à MSN France, en dehors de ceux de Microsoft, obtient des audiences conséquentes en ce qui concerne les internautes français[13]. Le groupe concentre ses profits avant impôt essentiellement aux Etats Unis avec 8 008M de dollars, où il emploie également environ 37 000 personnes, et dans le reste du monde avec 4 108M de dollars où il emploie 20 000 personnes[14].          

A partir de cette brève présentation, nous pouvons conclure d’une part que les acteurs en question ont trouvé sur l’internet un moyen de s’impliquer dans le secteur de l’information de presse de manière conséquente et à un niveau international, y compris en France ; et que d’autre part nous pouvons les ranger dans la deuxième catégorie en ce qui concerne leur degré d’internationalisation, c’est-à-dire celle des acteurs qui sont fortement internationalisés, mais qui réalisent une part prépondérante de leur chiffre d’affaire dans un seul espace national de grande taille, celui des Etats-Unis.

Enfin, en ce qui concerne les groupes des fournisseurs d’accès que nous avons présentés plus haut, ils sont également fortement internationalisés, mais entrent plutôt dans la troisième catégorie. Autrement dit, ils sont essentiellement positionnés dans un espace géographique à l’échelle continentale, dans ce cas il s’agit de l’Europe, avec un marché national ou un bassin linguistique dominant. Ainsi, Wanadoo est présent sur cinq pays européens en tant que fournisseur d’accès, mais également au moyen de ses différents sites internet, la France, les Pays-Bas, la Grande Bretagne et l’Espagne, ainsi qu’au Maroc, en Jordanie et en Algérie. Le bassin linguistique dominant est celui des pays francophones, et le principal marché celui de la France. De son côté T-Online est présent en France à travers le fournisseur d’accès Club-Internet, et son site internet, mais surtout en Allemagne, en Autriche et en Suisse. Le bassin linguistique dominant est celui des pays germanophones et le marché principal celui de l’Allemagne. Tiscali, groupe créé en Italie, est actuellement présent dans dix pays européens. Nous ne pouvons pas déceler dans ce cas un bassin linguistique dominant ; cependant le groupe dégage 80% de son chiffre d’affaires dans cinq marchés principaux la Grande Bretagne, l’Italie, la France, l’Allemagne et les Pays Bas[15].  Free de son coté n’est pas internationalisé, puisqu’il ne dispose pas d’une présence en dehors du marché français et AOL réalise la part la plus importante de son chiffre d’affaires aux Etats-Unis, étant présent également en Argentine, au Brésil, en Australie, au Canada, en Allemagne, au Japon, au Mexique, en Grande Bretagne et en France.

Il apparaît de cette brève présentation que les industries culturelles se trouvent confrontées à une mutation financière débouchant à une certaine internationalisation des acteurs et à une globalisation des stratégies mises en oeuvre. Cependant, cette tendance de fond, qui traverse l’économie dans son ensemble, se trouve relativement restreinte au sein du secteur de la production et de la diffusion de contenus d’information et de divertissement, en tout cas limitée par les particularités de ces industries. Dans ce contexte, l’émergence de l’internet grand public et la constitution progressive d’un marché de l’information en son sein incitent un certain nombre de structures d’étendre leurs activités à l’étranger, en valorisant la possibilité de diffusion à l’échelle planétaire qu’offrent les réseaux. Le mouvement principal consiste à l’implantation en France des acteurs en provenance des Etats-Unis, mais également à une diversification internationale à l’intérieur de l’espace européen. Les structures en question se placent principalement sur les deux segments de la chaîne de production de l’information en ligne les plus proches de l’usager final, c’est à dire la diffusion de contenus au moyen des sites internet à forte audience et la distribution physique et technique de l’information à travers les réseaux matériels. Certains acteurs se placent accessoirement et de manière limitée dans le segment de l’édition, et moins encore dans celui de la production.

Afin d’éviter les obstacles propres à une implantation internationale dans le secteur de la communication, que sont les particularités des marchés nationaux comme décrites plus haut, les acteurs en question sous-traitent l’essentiel de la production et de l’édition de l’information en ligne auprès des fournisseurs déjà présents dans les différents pays, comme par exemple les agences de presse. Ils se placent ainsi comme intermédiaires entre les producteurs et les consommateurs de l’information, ce qui leur permet de coupler une présence éditoriale forte en termes d’audience, d’où découlent des importants revenus publicitaires, avec un engagement industriel limité en termes d’investissement.



[1] Miège Bernard, Bouquillion Philippe et Pradié Christian « Mouvements financiers, changements industriels et mutations corrélatives », Actes du Colloque Panam - Industries culturelles et dialogue des civilisations dans les Amériques, UQAM-Université du Québec à Montréal, 22-24 avril 2002. Nous avons pu accéder à ce document uniquement en forme numérique, c’est la raison pour laquelle les citations qui en proviennent ne comportent pas des numéros de pages.

 

29 Ainsi l’ensemble des sites de TF1 concentrent une audience de 3 862 000 visiteurs uniques pour les mois de mars 2004, ce qui le place en 25eme place de l’ensemble de marques françaises (agrégat de domaines, de sites uniques et/ou de pages rattachées à une même marque), en première place en ce qui concerne les médias. Source : Médiamétrie – L’Observatoire des usages internet, mars 2004.

30 Source : Rapport annuel 2002 groupe TF1, accessible à l’adresse : http://www.tf1finance.fr/publications-rapports_financiers.php

[2] En 2003, les sites internet du groupe France Télévisions ont enregistré, par rapport à 2002, une progression de 69 % de leur audience (934 000 internautes chaque mois en moyenne, soit 6,5 % de la population internaute) et de 56 % de leur nombre de visites (3 millions en moyenne chaque mois). Source : Médiamétrie Nielsen / Netratings et Cybermétrie – 2003.

 

[3] Ainsi pour le mois d’octobre 2003, lemonde.fr a concentré une audience de 702 000 visiteurs uniques. Source : Médiamétrie Nielsen / Netratings et Cybermétrie (cf. Annexe 4).

[4] Il y a eu des exceptions à ce principe comme l’entrée du fond de capital risque 3i dans le capital de Libération en 2001, qui a été notamment motivée par les perspectives économiques à l’époque prometteuse du site liberation.fr. Voir à ce sujet : « Sale temps pour la presse en ligne », Stéphane Artetta, Nouvel Observateur, 21 février 2002. Le 9 avril 2005 le banquier d’affaires Edouard de Rothschild est également entré dans le capital de Libération à hauteur de 38,87%, devenant ainsi le premier actionnaire du journal, voir à ce sujet : « L’offre d’Edouard de Rothschild », Serge July, Libération, vendredi 3 décembre 2004 et « Départ du Directeur Général de Libération », Le Monde, 12 avril 2005, non signé.

[5] Source : http://www.numericable.fr

[6] Les sites des cinq fournisseurs en question se trouvent sur la liste de 30 premières marques de l’internet français au niveau de l’audience. En ce qui concerne plus précisément l’information, les rubriques d’actualité de AOL, Wanadoo et Free se positionnent dans les 20 premières places de la catégorie « News & information » de Médiametrie avec respectivement 705 000, 410 000 et 358 000 visiteurs uniques pour le mois d’octobre 2003. Source : Médiamétrie Nielsen / Netratings et Cybermétrie, (cf. Annexe 4). 

 

[7] Source : « 2005, année de la convergence de l'audiovisuel et des télécoms », Sandrine Cassini, La Tribune, 28 janvier 2004.

 

[8] Eurosport émet actuellement ses programmes dans les langues suivantes : allemand, anglais, hollandais, espagnol, suédois, danois, tchèque, russe, hongrois, polonais, italien, portugais, roumain, norvégien, turc et grec. Source : http://www.eurosport.fr

[9] Source : http://www.tf1finance.fr/chiffres.htm

[10] La rubrique Yahoo News a été le premier site d’information aux Etats Unis pour le mois d’avril 2004 avec 22 272 000 visiteurs uniques, et sa version française a également occupé la première place en termes d’audience avec 914 000 visiteurs uniques en France pour le mois d’octobre 2003. Sources : comScore Media Metrix pour les Etats Unis et Médiamétrie Nielsen / Netratings pour la France (cf. Annnexes 4 et 13).

[11] Source : Rapport annuel d’activité Yahoo pour l’exercice 2003 (fin de l’exercice le 31 décembre), accessible sur http://yhoo.client.shareholder.com/annual.cfm

[12]Source : rapport annuel d’activité Google pour l’exercice 2004 (fin de l’exercice le 30 septembre), accessible à l’adresse http://investor.google.com/pdf/20040930_10-Q.pdf

[13] Pour le mois d’avril 2004, MSNBC.com a concentré une audience de 19 162 000 visiteurs uniques, ce qui le place à la quatrième place de la catégories des sites d’information américains. Source : comScore Media Metrix. Les sites français de MSN obtiennent pour les mois de mars, avril et mai 2004 une audience agrégée de 12 332 000 internautes. Source : Médiamétrie/NetRatings.

[14] Source : rapport annuel d’activité Microsoft pour l’exercice 2004 (fin de l’exercice le 30 juin), accessible à l’adresse http://www.microsoft.com/msft/ar.mspx

 

[15] Source : rapport annuel d’activité Tiscali pour l’exercice 2003, accessible à l’adresse : http://investors.tiscali.com/tiscali/uploads/reports/annual_report_Tiscali_2003.pdf

 

Tables des matières - précèdent - suivant