6.1.4 Free

Free est une filiale du groupe français Iliad dont l’activité principale est la fourniture d’accès à l’internet. Les autres activités du groupe sont la téléphonie fixe, les services Vidéotex et l’édition des sites internet professionnels. Iliad a été créé en 1991 par Xavier Niel qui s’est impliqué dans le secteur des services Vidéotex dès 1984. En 1993 il créé le premier fournisseur d’accès à l’internet français Worldnet. En 1996 Iliad lance 3617 ANNU, service d’annuaire inversé, et en 1999 il y a la création de Free, fournisseur d’accès à l’internet sans abonnement. En 2001, le groupe s’engage dans le marché de la téléphonie fixe avec l’acquisition de l’opérateur One.Tel, et en 2003 dans celui de cartes de télécommunication prépayées avec le rachat de Kertel. Dès le départ, la stratégie de Free consiste en un effort constant de s’affranchir de sa dépendance face à l’opérateur historique France Télécom. Cet effort aboutit à une politique de prix agressive et une recherche d’autonomie technique par la mise en place d’un réseau de fibres optiques propriétaire. Cette recherche d’autonomie s’exprime également par la poursuite du dégroupage de la boucle locale, qui est une opération technique permettant à un opérateur de maîtriser de bout en bout les infrastructures qui le relient à ses clients. Il en résulte une offre d’accès à des prix relativement bas, ainsi qu’une meilleure qualité de service, notamment en termes de débit. La société Free a été ainsi bénéficiaire dès 2001. En décembre 2003, Free a lancé la première offre triple play en France, un seul abonnement pour l’internet, la téléphonie fixe et le bouquet de chaînes de télévision, à travers son modem ADSL Freebox. Le 30 janvier 2004 l’action du groupe a été cotée en Bourse, mais Iliad demeure sous contrôle familial relatif puisque son fondateur Xavier Niel disposait de 67,65% de son capital au 1er avril 2005. 

 

Un positionnement initial centré sur l’accès

Le positionnement de Free a été réussi puisque, sans être adossée à un groupe de télécommunications transnational comme ses principaux concurrents, la société est en 2005 le deuxième fournisseur d’accès en France, derrière Wanadoo, avec 17% du marché de l’ADSL. La croissance rapide du groupe Iliad est illustrée par le fait que son chiffre d’affaire est passé de 160M d’euros en 2002 à 491M d’euros en 2004, dont 67% en provenance de l’accès à l’internet. De même, les effectifs du groupe sont passés de 261 personnes en 2002 à 929 en 2004[1]. Le portail free.fr a recensé 10 739 000 visiteurs pour le mois d’avril 2005, ce qui le place à la quatrième position parmi les sites français en termes d’audience sur cette période[2]. En 2005, free.fr dispose d’une offre de contenus d’information sous la rubrique Actualités, alimentée exclusivement par les dépêches d’Associated Press et de Reuters.

La position de Free quant à l’offre de contenus d’information a été résolument différente des acteurs que nous avons examinés précédemment. En effet, la stratégie de la société a été dès le départ essentiellement centrée sur l’amélioration de son offre d’accès à l’internet en termes de débit et de prix. Alors qu’à la fin des années 90 la plupart de ses concurrents s’efforçaient de mettre en place une offre de contenus élargie, notamment avec la constitution d’équipes éditoriales étoffées, Free n’a jamais souhaité se positionner en tant qu’éditeur et producteur d’information. Il est à noter que sur aucun document auquel nous avons pu accéder n’est faite mention d’un financement indirect par le biais de la vente d’espace publicitaire. Par conséquent, la mise en place du portail free.fr visait avant tout à faciliter l’arrivée des nouveaux abonnés sur l’internet.

« Nous on est un opérateur télécom et un fournisseur d’accès à internet, on est beaucoup plus technique que d’autres acteurs dans le marché, notre business model est basé là-dessus. Mais on sait bien que les gens qui se connectent à internet ont besoin d’avoir un portail où ils peuvent trouver facilement des contenus. C’est assez simple de savoir quel type de contenus intéresse les gens, donc on a agrégé sur un portail différents contenus par des partenariats, uniquement pour aider les gens qui se connectent à Free. Après on sait très bien que sur internet les gens partent où ils veulent, le portail c’est pour aider les premiers pas de nos abonnés ». Cyril Poidatz, Président directeur général – Free, mai 2004

Cette approche entre dans le cadre d’une conception qui considère que la seule utilité d’un FAI pour les internautes est justement de leur offrir l’accès à l’internet dans des bonnes conditions. Il ne s’agit aucunement de tenter de retenir les abonnés sur le portail avec la fourniture de contenus d’information, ni d’agréger de l’audience en attirant des visiteurs « extérieurs ». Au contraire, un tel positionnement est considéré comme contradictoire avec l’utilité même de l’internet qui consiste en la possibilité d’interconnecter différents réseaux, et donc permettre le passage entre services et contenus variés.   

« Ce sont essentiellement les internautes qui sont déjà abonnés à Free qui viennent sur notre propre portail. Nous on n’a pas du tout la même stratégie que AOL par exemple qui lui a un contenu propriétaire et qui vend ça davantage que les autres contenus. Pour nous internet c’est la liberté, les gens vont où ils veulent. Ce qu’on veut avec le portail c’est de leur faciliter un peu la tâche au début, mais après on ne va pas les canaliser sur certains contenus. Ce n’est pas du tout le but du jeu. Pour nous le fait de vouloir garder les internautes et les canaliser sur du contenu spécifique ça serait même contraire à la philosophie de l’internet». Cyril Poidatz –Free

Dans cette optique, le financement indirect de l’activité portail par le marketing et la publicité n’est pas considéré comme une source de revenus centrale, mais plutôt comme une activité périphérique et minime. Ainsi, l’offre d’espaces publicitaires est réduite et la collecte des données sur les usagers à des fins de marketing direct quasi-inexistante.

« La publicité c’est vraiment minime. On a un portail qui fait pas mal d’audience, donc on commercialise une partie de ce portail mais de façon très simple avec des bannières, quelques liens et boutons, mais on ne cherche pas non plus à en profiter au maximum. Il n’y a pas par exemple des pop-ups qui embêtent les gens. Pour nous l’audience c’est un plus, un peu la cerise sur le cadeau, mais ce n’est pas ça heureusement qui nous permet de vivre. En ce qui concerne l’information on a des partenariats avec Associated Press et Reuters et donc nous avons un fil d’information en continu qui est à jour. En même temps, Free est le second fournisseur d’accès en France. A partir de là il y a beaucoup de gens qui se connectent sur notre portail et il peuvent très bien s’informer dessus ». Cyril Poidatz – Free

« Sur le formulaire, les questions sont minimalistes. C’est le nom, l’adresse le code postal, le début du numéro de téléphone afin que nous puissions affecter le compte à un de nos points d’accès. Nous sommes le fournisseur d’accès qui pose le moins de questions à nos clients. Nous n’avons pas de proxy transparents qui nous permettraient de savoir sur quels sites vont nos clients. Nous ne traçons pas nos clients. Ces bases de données nous ne les utilisons pas et nous ne les utiliserons pas »[3]. Xavier Niel, fondateur et premier actionnaire d’Iliad

 

Un portail minimaliste sans prise sur le contenu

Cette position de valorisation minimale du portail free.fr s’exprime également à travers la manière dont celui-ci est géré. En effet, ses effectifs sont constitués de trois personnes, une qui s’occupe d’établir les partenariats de contenu et deux webmasters qui gèrent la mise en ligne quotidienne. L’ensemble de modules d’information est complètement automatisé sans possibilité d’intervention de la part des responsables du portail par exemple sur les fils d’information en provenance des agences. Une illustration, quelque peu anecdotique, de cette configuration est l’arrestation de Xavier Niel en 2004. Le fondateur de Free a été placé en détention provisoire pour proxénétisme et recel d’abus de biens sociaux en juin 2004 pour une période d’un mois. Le jour de son arrestation l’action du groupe a perdu 10% de sa valeur[4]. Or, la nouvelle figurait en première place sur la page d’accueil de free.fr, mise en avant par le fil automatique de Reuters, ce qui démontre l’absence de volonté, ou l’incapacité, de la part des responsables du portail d’intervenir sur le flux d’information qui y est diffusé. Cependant, le choix de Free de se concentrer sur son métier d’origine semble être progressivement adopté par la majorité de fournisseurs d’accès ce qui donne raison à la stratégie mise en place par ses responsables.

« Depuis le départ en 1999 on a toujours estimé qu’on ne ferait pas d’argent et qu’on serait pas rentable tel qu’un média classique c’est-à-dire en vendant des bannières publicitaires ou des contenus. On pensait qu’il fallait trouver une autre source de revenus qui soit pérenne, et pour nous c’est l’accès. Notre contenu est fait pour aider les internautes mais ce n’est pas du tout notre métier. À l’époque on était les seuls à avoir cette position, personne ne le comprenait parce que effectivement beaucoup de gens nous expliquaient que l’internet c’était un nouveau média, mais je pense que nous on était assez clair dès le départ. Maintenant certains acteurs se sont rendus compte que pour gagner de l’argent il n’était pas aussi évident qu’ils le croyaient au départ de rentabiliser leurs investissements, qui sont très lourds en ce qui concerne les fournisseurs d’accès, uniquement sur la vente de publicité ou les partenariats ». Cyril Poidatz – Free

Si Free a mis en place une offre de contenus réduite au sein de son portail il en va autrement pour son offre de triple play. Cette dernière donne la possibilité de recevoir des programmes sur son appareil de télévision en utilisant une connexion à très haut débit. De cette façon la société se rapproche du modèle d’opérateur de télévision par câble ou par satellite. Pour Free, l’objectif est de rassembler un maximum de chaînes dans son bouquet afin de rendre l’offre attractive. 

  « Ce qu’on veut c’est de mettre à disposition l’offre la plus complète à nos abonnés et pour ça, surtout avec les possibilités qu’offre le haut débit, notre but c’est d’offrir aux gens le plus de services possibles. Ça serait dommage de ne pas profiter d’une infrastructure, puisque nous avons les réseaux, et d’une technologie qui permet d’avoir une gamme de services assez large. Les contenus bien entendu ce n’est pas nous qui les faisons, nous on ne fait que les diffuser. Donc c’est l’éditeur qui décide de sa politique commerciale et qui nous dit telle chaîne je la laisse en accès gratuit dans le pack de base et telle autre je voudrais pouvoir la positionner en option payante. Nous on est complètement ouverts, on a même fait un appel dans la presse il y a quelques mois à tous les éditeurs qui veulent être diffusés sur la Freebox, il n’y a aucun problème nous sommes prêts à diffuser tout le monde. Tous les jours on signe des contrats de diffusion pour pouvoir proposer aussi le plus d’informations et de contenus que possible ». Cyril Poidatz - Free

Globalement, le choix stratégique de Free est de se positionner en tant qu’intermédiaire entre ses clients et tous les services de communication et d’information rendus possible par le haut débit. Ce qui signifie un investissement quasi-inexistant sur le portail free.fr, mais parallèlement, un effort constant visant à améliorer les services offerts au niveau technique et de prix. Pour l’équipe dirigeante de Free, il y a aujourd’hui assez de contenu sur l’internet, mis à disposition par des acteurs dont c’est le métier principal, pour qu’une offre d’accès efficace et économique soit attractive pour le grand public. La question n’est plus de savoir comment attirer les personnes en ligne, puisque les externalités positives sont d’ores et déjà très fortes, mais de pouvoir rester compétitif dans le marché de l’accès face à des concurrents qui disposent des moyens techniques et financiers largement supérieurs. 

 



[1] Document de référence Iliad 2004, enregistré auprès de la Commission des Opérations de Bourse le 24 mai 2005, No R 05-072.

[2] Source : Médiamétrie – L’Observatoire des usages internet, avril, 2005, (cf. Annexe 12).

[3] Interview accordé au Journal du Net le 4 novembre 1999, accessible à l’adresse : http://www.journaldunet.com/itws/it_niel.shtml

[4] Source : «Iliad-Free chahuté, Xavier Niel en détention préventive », Philippe Guerrier, Journal du Net, 1 juin 2004, accessible à l’adresse : http://www.journaldunet.com/0406/040601free.shtml

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