5.5
Interactivité et financement indirect de l’information en ligne
Comme nous l’avons vu précédemment,
les conditions économiques actuelles rendent problématique la mise en place de
modèles payants de l’information en ligne pour la grande majorité de sites
d’information. Cette tendance se trouve renforcée par une conception propre au
processus historique de l’émergence de l’internet, qui valorise les notions de
gratuité et de partage comme moyens de dissémination de l’information. D’où la
mise en cause de la conception restrictive du droit d’auteur, défendue par les
groupes de communication à l’échelle mondiale. Comme l’indique Lawrence Lessig,
à l’encontre des tentatives des industries culturelles de contrôler la
circulation des œuvres dans les réseaux, « nous protégeons, certes, mais
nous maintenons l’équilibre avec une valeur bien plus fondamentale de nos
sociétés, avec la conviction que la connaissance et la culture doivent se
disséminer le plus largement possible »[1].
Cette conviction, largement répandue
parmi les internautes expérimentés, trouve son expression dans la mise en place
de dispositifs qui permettent cette dissémination de l’information de manière
organisée et non restrictive. Il s’agit des licences libres pour les œuvres de
l’esprit comme Creative Commons[2] ou
Copyleft[3], qui
trouvent leur origine dans le mouvement de logiciels libres. Les systèmes
d’échange de fichiers sur l’internet, sur un mode de peer-to-peer, participent
également de façon croissante à la circulation libre des œuvres, de manière
gratuite et en dehors du système marchand traditionnel des industries
culturelles. Selon une étude de Cachelogic, société d’analyse et éditeur de
logiciels pour la mesure des flux d’information sur l’internet, le peer-to-peer
représenterait entre 45 % et 65 % du trafic circulant sur les réseaux des
fournisseurs d’accès grand public en 2004[4]. En ce qui concerne
particulièrement l’information en ligne, le développement soutenu des weblogs
et des différents outils d’échange des contenus d’information régulièrement mis
à jour comme les fils RSS, participe à l’émergence d’une offre d’information sur
l’actualité qui échappe aux règles traditionnelles de rétribution par un
paiement direct de la part des usagers. Il y a dans ces caractéristiques
d’usage d’une partie des internautes un refus de la marchandisation croissante
du réseau, à l’œuvre depuis le milieu des années 90, fondé sur les principes
« originels » de gratuité et de partage promus par les créateurs de
l’internet.
Dans ce contexte, les sites
d’information se sont orientés, dès leur apparition, vers des modèles
économiques calqués sur un financement indirect. Comme le remarque Patrick
Eveno, « la publicité est née dans les médias et par les médias »,
autrement dit ils relèvent tous les deux d’une « consubstantialité
originelle » [Eveno, 2004, p.33]. Il n’est pas surprenant alors que
l’internet ait été investi rapidement par les annonceurs, attirés par les
offres d’espace publicitaire des éditeurs de sites. Un tel positionnement a été
également soutenu par les analyses sur la « nouvelle économie » qui
ont présenté l’internet comme un média particulièrement adapté au marketing.
Ceci en raison de son caractère interactif qui permet l’adaptation très fine
des messages publicitaires à des publics segmentés, au moyen de la collecte
d’information sur les habitudes et les centres d’intérêt des usagers.
La question qui se pose, pour ce qui
nous concerne ici, est de savoir dans quel degré les possibilités précédemment
mentionnées, offertes par le caractère interactif de l’internet, peuvent être
exploitées commercialement dans le cadre de la mise à disposition de
l’information en ligne. Autrement dit, dans quel degré les contenus
d’information sur l’actualité peuvent constituer des produits d’appel,
susceptibles d’accroître la quantité et la qualité des données recueillies sur
les habitudes et les centres d’intérêt des internautes. Une telle démarche nous
permettra de comprendre si cet aspect du passage de l’information de presse sur
l’internet peut constituer le fondement d’un financement indirect offrant la
possibilité de compenser le manque de recettes en provenance du paiement par
l’usager. La question de l’interactivité étant particulièrement vaste et les
apports scientifiques la concernant nombreux, nous nous bornerons ici à une
présentation succincte des caractéristiques d’interactivité de l’information en
ligne du point de vue des avantages économiques qu’elles représentent
potentiellement.
L’interactivité
de l’information en ligne
La notion de l’interactivité, en
provenance de l’informatique, désigne initialement un processus de
communication homme-machine. Cependant, dans le contexte de l’information en
ligne, nous pouvons circonscrire la notion d’interactivité à l’ensemble de
moyens qui permettent à l’usager-lecteur d’intervenir dans le processus de
production et d’édition de l’information. Selon Daniel Thierry, ce qui est
désigné comme interactif au sein des sites d’information français « n’est
souvent qu’un leurre technologique cachant en réalité un traitement minimal de
l’information » [Thierry, 2002, p.89]. L’auteur le qualifie « d’interactivité de débit »,
puisque les services interactifs proposés sont limités, en raison de leur coût
financier et leur complexité à mettre en place [ibid., p.89]. De son coté
Julien Vernardet propose une typologie de l’interactivité, dans le cadre de la
presse en ligne, qui serait de deux sortes : « l’interactivité d’accès », qui
offre à l’internaute un certain niveau d’intervention concernant ses choix, et
« l’interactivité de
contenu », qui dessine les contours d’une co-construction du
discours médiatique [Vernardet, 2002]. L’application limitée d’une
interactivité de contenu trouve son explication pour cet auteur dans les
contraintes économiques de sa mise en place, mais aussi dans les pratiques
professionnelles de journalistes.
Des chercheurs nord-américains se sont
également efforcés de mettre en évidence et d’évaluer les caractéristiques
interactives de la presse en ligne, en utilisant une grille de six critères
suivants :
1.
Le degré de complexité des choix offerts à
l’usager
2.
L’importance de l’effort demandé à l’usager
3.
Le taux de réponse aux requêtes des usagers
4.
Le degré de facilité de la communication entre
usagers et journalistes
5.
Le degré d’intégration de contenus produits
par les usagers
6.
L’utilisation (ou pas) de procédés de collecte
de données sur les usagers [Kenney, Gorelik et Mwangi, 2000].
Cette grille présente l’intérêt de
prendre en compte non seulement la question de l’interactivité du point de vue
de l’usager-lecteur, mais aussi du point de vue du média et des avantages
économiques qu’il peut en tirer. Ainsi, ces chercheurs ont-ils mis en évidence
le fait que les sites d’information à but lucratif avaient sensiblement moins
de caractéristiques interactives que les sites non marchands. De même, les
publications exclusives au web étaient plus à même de comporter des éléments
interactifs que les sites-médias.
De son coté, Mark Deuze considère qu’il existe
trois catégories d’options interactives : « l’interactivité de navigation », qui comprend tous les
éléments facilitant la navigation, comme les liens hypertexte à l’intérieur du
site ; « l’interactivité
fonctionnelle » qui concerne les modes de communication avec
l’équipe du site et les forums de discussion avec modérateur ; enfin
« l’interactivité
adaptative » qui consiste à modifier une partie du site selon des
critères personnalisés ou d’intégrer de contenus produits par des usagers
(commentaires, réactions) [Deuze, 2001, p.7]. L’auteur abonde dans le sens des
chercheurs précédemment cités, puisque selon lui les mainstream news sites,
à savoir les sites qui émanent des structures médiatiques classiques et
reconnues, ont tendance à se cantonner à un niveau d’interactivité
essentiellement fonctionnel et de navigation. A l’inverse les sites qui
proviennent d’autres secteurs, comme les agrégateurs de contenus et les
infomédiaires sont plus enclins à mettre en place des dispositifs d’interaction
adaptative.
Notre recherche de terrain relève des
cas qui illustrent ces approches. De notre point de vue, il n’est pas
nécessaire pour tous les sites d’information d’être le plus interactif
possible. Autrement dit, nous n’associons pas l’interactivité à une vertu et
son absence à un handicap intrinsèque en termes éditoriaux. Cependant, il est
possible de mettre en parallèle le type de structures étudiées avec le degré de
leur implication dans des dispositifs interactifs à intérêt économique,
afin de repérer celles qui sont susceptibles d’en tirer avantage.
Marketing
direct et internet
L’idée centrale concernant l’apport
particulier de l’internet au marketing est la construction d’une relation
durable avec les internautes, qui débouche sur un échange d’information dans
une visée commerciale. Comme l’indiquent certains spécialistes en gestion,
« la relation ne s’arrête pas à ces éléments affectifs ou attitudinaux,
elle concerne aussi une dimension informationnelle. La relation c’est aussi un
flux d’échanges d’information qui permet au consommateur et à son fournisseur
de réactualiser leurs connaissances, d’ajuster leurs actions, de supporter les
incidents. C’est aussi et enfin des éléments logistiques qui conditionnent les
conditions du choix, de la transaction et de la consommation » [Benavent,
2000, p.9]. Effectivement, la nature particulière de l’internet réside dans sa
qualité de média d’information, ce qui favorise l’exposition de son public à
des messages publicitaires, mais également celle de média de communication
facilitant l’échange d’information entre l’offreur et le demandeur, jusqu’à
l’acte d’achat effectif.
D’où l’importance du secteur de CRM
(Customer Relationship Management), qui vise justement à exploiter le gisement
d’informations obtenu par une société au moyen des interactions avec les
usagers d’un service en ligne. L’activité consiste à réunir les renseignements
dont l’entreprise dispose sur ses clients de manière dispersée et à exploiter
l’information accumulée afin d’adopter une approche de personnalisation dans
l’offre de services, mais également dans la valorisation de ses espaces
publicitaires. La valorisation commerciale de l’information obtenue peut être
faite par le biais des techniques statistiques de datamining, qu’on pourrait traduire par « recherche de
pépites d’information utile dans un grand ensemble de données » [Chauchat,
2002, p.232]. Les premières entreprises
à avoir eu recours à cette technique ont été les supermarchés, en raison de la
grande quantité d’information dont ils disposent sur les habitudes d’achat de
leurs clients, notamment en ce qui concerne la corrélation entre différents
produits ou catégories de produits.
Dans cette optique, l’internet
constitue un outil efficace de collecte d’information puisque son caractère
interactif permet l’accumulation de « traces » laissés par les
internautes lors de leurs diverses activités en ligne : « fonctionnellement
l’Internet est appelé à jouer un rôle central dans les systèmes de prospection.
Dans bien des cas la publicité par Internet est le moyen de rabattre les
consommateurs vers un site principal où le processus de persuasion peut être
enclenché. Dans ces stratégies l’enjeu sera clairement d’accumuler suffisamment
d’informations sur le consommateur et ses goûts afin d’optimiser la
persuasion » [Benavent, op. cité, p.11]. L’aboutissement d’une telle
approche est effectivement l’acte d’achat, puisque l’internet constitue un canal
de distribution en contact direct avec les consommateurs au moyen du commerce
électronique. C’est la raison pour laquelle, dans la première période de mise
en place des campagnes publicitaires en ligne la mesure de l’efficacité de ces
dernières a apporté une certaine confusion parmi les acteurs du marché.
Certains d’entre eux raisonnaient en termes publicitaires, dans ce cas les
mesures d’efficacité étaient celles d’une campagne média classique. D’autres
avaient une approche davantage centrée sur la transformation en consommation au
moyen du taux de click-through,
c’est à dire du pourcentage des personnes exposées à un message publicitaire
qui y ont effectivement cliqué pour arriver sur le site de l’annonceur et
effectuer un achat. Ce qui rapproche la mesure d’efficacité des campagnes
publicitaires à celles du hors-média. En tous les cas les attentes
disproportionnées quant au taux de click-through ont été démenties.
« En marketing il y a des
indicateurs « scientifiques », l’efficacité sur notoriété, l'efficacité sur la
mémorisation et les attributs de la marque, et l’efficacité sur l'intention
d'achat. En France les campagnes publicitaires hors-média, par exemple les
envois postaux, sont mesurées avec les techniques de type click-through
c’est-à-dire qu’on regarde le taux de transformation en achat, et la publicité
média est mesurée avec les techniques de type mémorisation. Pour la première
fois dans l’histoire des médias nous avons quelque chose qui est entre les
deux, et il y a même un troisième aspect.
Il y a le média, le hors média et, au sens de marketing relationnel,
internet c’est aussi un outil de communication. Donc le marché de la publicité
est perdu entre le click-through, c’est-à-dire la mesure de transformation en
achat, et des indicateurs traditionnels de notoriété. En réalité ça dépend des
objectifs de la campagne, on peut avoir un objectif de clicks ou un objectif de
notoriété. Le taux de click a beaucoup diminué, il est passé de 7 % des
internautes à 0,6 %, mais aujourd’hui s’est stabilisé. Au début je pense que
les gens cliquaient parce qu’ils ne savaient pas ce que c’était ». François-Xavier
Hussherr, responsable du département internet de Médiamétrie, décembre 2003
Néanmoins, la pertinence de l’internet
en tant que source d’information sur les habitudes de consommation et les
centres d’intérêt des internautes demeure. Elle est d’autant plus significative
que le commerce électronique croît, ce qui renforce la volonté des
« cybermarchands » de connaître leur clientèle potentielle[5].
Les
dispositifs interactifs à intérêt économique
Comme l’ont démontré les recherches
précédemment mentionnées, le degré d’exploitation commerciale de la
personnalisation de l’information en ligne et des aspects interactifs de
l’internet est lié à la nature de l’acteur qui les met en œuvre. Globalement,
les sites d’information émanant des médias traditionnels, notamment en
provenance de la presse, se cantonnent en une collecte d’information
relativement limitée, marquée par leur activité d’origine et centrée sur une
logique publicitaire classique. De l’autre coté, les acteurs en provenance des
télécommunications et de l’informatique appliquent de façon plus approfondie
l’instrumentalisation de l’information à des fins de marketing et de commerce
électronique.
De nombreux sites d’information, notamment
américains, fonctionnent sur un système d’inscription gratuite, dans lequel les
internautes sont invités à remplir un questionnaire sur leurs caractéristiques
socioprofessionnelles afin de pouvoir accéder aux contenus et services[6]. Les
données collectées ainsi sont complétées par des enquêtes en ligne ponctuelles,
et par les mesures d’audience et de trafic réalisées par des prestataires
extérieurs. Ces informations sont
agrégées dans des bases de données qui servent à des fins commerciales,
notamment lors des négociations de prix des espaces publicitaires avec les
annonceurs. Cependant, la collecte d’information originale et fiable sur les
centres d’intérêt des usagers, qui pourrait servir à des fins de marketing de la
part de ces acteurs, est faible. La majorité de sites de presse se borne, en
2005, à la collecte de données sur une base déclarative, dont la fiabilité est
douteuse. Ceci parce que il n’y aucun moyen de vérification et de recoupement
des réponses aux questionnaires mis en place par les journaux en ligne.
Ainsi, les sites d’information en
provenance de la presse adoptent une logique qui vise à satisfaire des
objectifs publicitaires classiques, à savoir engendrer une influence sur le
niveau de notoriété de l’annonceur par l’exposition d’un public relativement
peu segmenté à des messages publicitaires ciblés par rubrique. Les
organisations interprofessionnelles qui regroupent les sites de presse, comme
le Geste et l’OPA Europe, mettent en avant la relation privilégiée et
l’affinité qu’entretiennent les lecteurs avec les marques média afin de
renforcer la position de ces acteurs face aux annonceurs[7]. Parallèlement, des formats
publicitaires nouveaux ont fait leur apparition visant à attirer l’attention
des internautes par l’utilisation de la vidéo, du son et du format Flash[8].
La
mise en cause du modèle publicitaire « média » sur l’internet
Or, le modèle publicitaire transposé
sur l’internet comporte des caractéristiques qui le fragilisent, précisément en
raison de sa nature interactive. Ainsi, il existe actuellement des nombreux
dispositifs qui permettent d’effacer de la page web consultée toute forme de
publicité. Ce mouvement a été initié dès l’apparition des formats publicitaires
particulièrement intrusifs comme les pop-ups. Leur principe consiste à
l’ouverture des fenêtres intempestives comportant de messages promotionnels
lors de la navigation sur un site internet. Assez rapidement, de nombreuses
applications sont apparues permettant de bloquer ces publicités gênantes, dont
la barre d’outils de Google (Google Toolbar)[9] mais aussi une extension du
navigateur Internet Explorer de Microsoft. Par la suite le principe a été
étendu à tout type de publicité, même celle, très répandue, sous forme de
bandeaux. En 2005, le navigateur Firefox de Mozilla permet, après installation
d’une extension, de « nettoyer » les sites internet de toute
publicité, pourvue qu’elle soit gérée par une régie interactive et qu’elle
comporte une adresse différente de celle du contenu éditorial[10]. Cette
tactique de contournement de l’exposition à de messages publicitaires, adoptée
par une partie du public et facilitée par des dispositifs techniques, porte en
elle la mise en cause du modèle publicitaire média sur l’internet. Et elle
trouve son fondement dans la nature interactive du support.
Par ailleurs, sur le terrain du
marketing direct, une raison supplémentaire qui limite l’utilisation de
l’information sur l’actualité à des fins commerciales par la presse généraliste
en ligne, notamment par le biais de son association au commerce électronique,
est la déontologie journalistique. En effet, le modèle des « galeries
marchandes », affiliées aux sites d’information, qui procurerait des
recettes en provenance des commissions versées aux éditeurs suite à la vente
des produits ou des services, a été envisagé au départ par les responsables du
secteur[11].
Cependant, cette approche a été vite abandonnée car elle heurte les règles
déontologiques qui régissent l’organisation interne du champ journalistique, en
rapprochant les composantes commerciale et éditoriale de façon trop poussée,
débouchant ainsi sur un « journalisme de transaction » souvent
dénoncé[12].
En revanche, une telle proximité entre
information et commerce est davantage répandue au sein des sites spécialisés.
Un exemple édifiant d’une telle exploitation commerciale du caractère
interactif de l’information en ligne est l’application IntelliTXT de la société
américaine Vibrant Media[13]. Elle
permet d’intégrer à l’intérieur du texte des articles des liens marchands qui
conduisent vers les sites de commerce. L’opération consiste en une sélection de
mots-clés qui sont achetés par les annonceurs auprès de l’entreprise qui gère
le système. Ensuite, des liens hypertextes sont crées de façon automatique sur
chaque mot-clé apparaissant dans le texte des articles en provenance des sites
d’information partenaires. Vibrant Media collecte les recettes de la vente du
service et rémunère les sites d’information partenaires à chaque fois qu’un de
leurs lecteurs clique sur un lien promotionnel. De cette façon, le texte même
rédigé par les journalistes dans un but d’information, devient un moyen de
cibler les clients potentiels de l’annonceur. Selon Doug Stevenson, fondateur
de Vibrant Media, « la publicité sur l’internet ne marchait pas parce
qu’on la mettait au mauvais endroit »[14], c’est-à-dire à l’extérieur
du contenu rédactionnel. Il soutient que le taux de réponse au système
IntelliTXT est vingt-quatre fois supérieur à celui des bannières publicitaires
classiques en raison de son emplacement pertinent à l’intérieur mêmes des
articles, ce qui augmente la probabilité pour que le lecteur soit intéressé par
l’offre commerciale proposée. Le système fonctionne en 2005 au sein de cent
vingt sites américains, la plupart spécialisés dans des secteurs comme les jeux
vidéo, les produits d’électronique ou l’automobile.
Parallèlement, les sites d’information
spécialisés dans de secteurs professionnels touchent des publics restreints,
mais qui constituent des niches porteuses en termes de marketing direct. Au
moyen des dispositifs d’envoi d’information sur des critères prédéfinis par
l’internaute, comme c’est le cas des newsletters, les responsables des
sites en question acquièrent une connaissance très détaillée de leur public en
termes socioéconomiques, mais également au niveau de leurs besoins
professionnels, ce qui leur permet de s’impliquer dans la fourniture des
services comme le conseil, la formation ou les études. Dans cette
configuration, le caractère relativement limité de l’audience en termes
quantitatifs est compensé par une qualification très poussée, qui peut
déboucher sur la mise en place d’un marketing direct efficace.
« Cette logique
d’enregistrement, le fait que vous en tirez des revenus, est liée à votre
capacité de faire de choses avec les lecteurs, au-delà du lien que vous avez
avec lui sur internet. Nous par exemple ici, on fait des séminaires, on
organise des événements, on sponsorise des études, tout ça vous ne le voyez
pas, c’est envoyé par e-mail, on en discute avec les lecteurs, il se passe
plein de choses. Nous on tire des revenus du fait qu’on a des relations avec
les lecteurs. Il n’y a pas de paiement, moi je n’ai pas vu la carte bleue d'un
lecteur. Donc, ces sont bien de revenus, ce n'est pas du gratuit […] Il y a
beaucoup plus de choses à faire et à maîtriser dans cette zone où vous
connaissez vos lecteurs. La différence entre le papier et le on-line c'est que
sur le on-line vous connaissez vos lecteurs. Vous connaissez leurs noms, vous
leur parlez et ils vous parlent, il y a une interaction, une vraie
interactivité. C’est un concept d’ailleurs avec lequel on s’est brossé dans
tous les sens depuis des années sur Internet en faisant n’importe quoi, mais au
départ c’est simplement l’idée que vous interagissez vraiment avec vos
lecteurs. Et c’est quelque chose que ne peut pas faire le papier. Sur le papier
on fait des études pour connaître les lecteurs, vous avez des chiffres, mais
vous ne connaissez pas les gens en réalité. Moi le matin, quand j’envoie des
e-mails, je sais à qui je les envoie et j’ai intérêt économiquement de bien le
faire, sans déranger les gens avec des choses qui ne les concernent pas ».
Emannuel Parody, redacteur en chef ZDNet.fr, avril 2004
Enfin, des acteurs extérieurs au
système médiatique traditionnel ont mis en place des dispositifs qui impliquent
l’usager au processus d’édition de l’information. C’est le cas de Wanadoo et de
son service de information personnalisée Mon
Journal[15]. Ce dernier
n’offre aucun avantage particulier à l’utilisateur au niveau de l’information,
car il n’apporte ni sources supplémentaires, ni traitement particulier de
celle-ci. De même, au niveau de la forme, la personnalisation du service
consiste en une reconfiguration minime des contenus déjà disponibles sur le
site wanadoo.fr,
sur la base des
critères prédéfinis. Par conséquent,
l’intérêt du service pour l’utilisateur
est faible. En revanche, l’intérêt économique
pour Wanadoo est potentiellement
important puisque le service fonctionne d’une certaine
manière comme un
« piège à renseignements » qui
fournit des informations sur les
centres d’intérêt des usagers. Par ailleurs, les FAI
sont particulièrement bien
positionnés dans le marché du marketing direct, puisque
ils ont accès
directement aux adresses qu’ils attribuent eux mêmes
à leurs abonnés et
clients, ainsi qu’aux informations que ces derniers
déclarent lors de leur
inscription à un service de fourniture d’accès.
Ainsi, Wannadoo a créé sa
propre base d’adresses, Wanadoo-Data, qui donne accès
à 1,5 million d’adresses
électroniques, dont 700 000 hébergées en propre[16]. La base fournit une série
de critères de segmentation à ses clients (sexe, âge, département, centres
d’intérêt, bons d’achat, achat en ligne, catégorie socioprofessionnelle, nombre
d’enfants), afin que ces derniers puissent cibler leur campagne de e-mailing.
« La
publicité a été complètement survalorisée sur internet. Pourquoi ? Parce
que l’internet est un média interactif, il n’y en a pas beaucoup, donc on
s’était dit tiens au lieu de faire de la publicité dans l’absolu avec un taux
de couverture et un taux de déchets qui est important, on va pouvoir faire de
la publicité beaucoup plus ciblée avec une couverture plus précise et du coup
avec un taux de déchets beaucoup plus faible ; typiquement l’idéal c’est
qu’on présente à une personne exactement la publicité qu’il attendait. Pour
réaliser ça il faut être capable de bien identifier, profiler l’utilisateur et
pour faire ça il faut un puissant système d’information ; mais finalement
ces puissants systèmes d’information ils n’ont jamais existé, en revanche ceux
qui ont construit des tels systèmes d’information sont plutôt les FAI pour
pouvoir facturer. Aujourd’hui c’est ce qu’on est en train de faire, mais au
moins on une fiabilité de la base parce que c’est une base qui a été construite
en perspective d’une facturation. […]Pour les bases qu’avaient constitué les
purs portails, l’inscription étant gratuite, vous créez autant des comptes que
vous voulez, vous pouvez mettre des pseudos, des faux noms, et en fait la
validité des données qui étaient dedans était nettement moins bonne, et donc la
promesse d’une pub ciblée n’était plus tenable ». Jean-Marc Steffann,
Directeur Unité d'Affaires Haut Débit et Internet France Telecom–Wanadoo,
décembre 2003 (cf. Annexe 11)
D’autres acteurs de l’internet, comme
MSN, Yahoo et Google poussent le principe de la personnalisation de
l’information, non seulement dans le choix des contenus, mais aussi dans la
hiérarchisation et la mise en forme de l’information. L’avantage de cette
pratique pour les collecteurs est que, contrairement aux formulaires que les
utilisateurs sont invités à remplir, la véracité des informations recueillies à
travers les services de personnalisation et de push est garantie,
puisque l’efficacité du service en dépend. De plus, la collecte de données
qu’ils effectuent ne se limite pas aux centres d’intérêt relatifs à
l’actualité, mais s’étend à toute une série de services mis à disposition,
comme l’utilisation du courrier électronique, de la messagerie instantanée, des
moteurs de recherche et des sites commerçants. Ainsi, la restitution des
comportements en ligne, qui est l’objectif principal du marketing sur
l’internet, est de meilleure qualité, ce qui confère aux données recueillies un
intérêt économique réel. Parallèlement, l’audience de masse dont disposent les
acteurs en question leur confère un taux de couverture important de la
population internaute, recherché par les campagnes publicitaires classiques.
Cependant, l’expression la plus
aboutie de l’interactivité à caractère commercial, même si elle n’a pas
directement trait à l’information en ligne, est le cas des moteurs de recherche
et des liens sponsorisés. En 2005 les trois principaux concurrents dans le
secteur de service internet que sont MSN, Yahoo et Google sont présents dans le
marché des liens sponsorisés[17]. Le
principe consiste pour les annonceurs à acheter des mots-clés qui ont un lien
sémantique avec les produits ou services qu’ils commercialisent. Lors d’une
recherche sur le moteur, à coté des résultats « réels » de la
recherche apparaissent des liens sponsorisés, qui mènent vers le site de
l’annonceur. L’efficacité du procédé réside dans l’adéquation du message
publicitaire avec la recherche effectuée. Ainsi, le service ou le produit
proposé par l’annonceur a d’autant plus de chances d’intéresser l’internaute
que celui-ci est justement en train d’effectuer une recherche relative au
moment de son exposition au message.
Comme l’indique le directeur de Google
France, « l’idée est de prolonger l’activité des internautes avec une
information commerciale et pertinente. Les annonceurs trouvent un nouveau mode
de marketing direct avec un retour sur investissement particulièrement
intéressant. AdWords et AdSense ne perturbent pas l’internaute et s’inscrivent
dans la mission de Google qui reste de rechercher l’information et de la
structurer. »[18]. De
cette façon, la publicité prend une allure informative et n’est pas perçue
comme envahissante. Ceci d’autant plus que nombre d’utilisateurs des moteurs de
recherche ne sont pas conscients qu’il s’agit d’une promotion à visée
commerciale. A ce sujet, une étude du Pew Institute[19] indique que 62% des
internautes américains ne savent pas qu’il existe, lors d’une recherche sur les
moteurs, des résultats « naturels » et des liens promotionnels. 82%
d’entre eux déclarent ne pas être capables d’indiquer si un lien proposé lors
d’une recherche est promotionnel ou non. Il en résulte une relative confusion
entre d’une part le service de recherche rendu et la publicité contextuelle,
qui néanmoins profite à l’efficacité de cette dernière.
Pour récapituler, nous pouvons
affirmer que le caractère interactif du média internet lui confère la qualité
de support de marketing direct pouvant aboutir à l’achat, ce qui n’est pas le
cas de la presse et de l’audiovisuel. De plus, l’interactivité de l’information
en ligne permet une segmentation très fine des publics débouchant sur des
offres promotionnelles personnalisées. En revanche, tous les acteurs du secteur
n’exploitent pas de la même façon cette nouvelle possibilité de financement
indirect. En raison de leur enracinement dans le secteur des médias
traditionnels, les sites d’information en provenance de la presse demeurent
ancrés au modèle publicitaire et ses logiques propres. Leur maîtrise limitée
des techniques de datamining et des dispositifs interactifs à intérêt économique
contribue au fait que les recettes qui en proviennent sont minimes. De même, en
raison de la particularité du secteur de la presse, notamment les contraintes
déontologiques qui régissent le champ journalistique, les tentatives
d’instrumentaliser le contenu d’information à des fins promotionnelles restent
relativement limitées. En revanche, les publications sur l’internet qui
s’adressent à des publics restreints et spécialisés peuvent valoriser leur
proximité et leur très bonne connaissance des internautes qui les consultent,
par la fourniture de services payants hors information.
Enfin, les acteurs extérieurs du
système médiatique traditionnel qui gèrent une offre de contenus d’information,
qu’ils soient infomédiaires comme les moteurs de recherche ou agrégateurs comme
les fournisseurs d’accès, n’hésitent pas à utiliser celle-ci pour parfaire
leurs dispositifs publicitaire et de marketing. Ainsi, ils renforcent les
recettes de financement indirect en combinant le modèle publicitaire, fondé sur
une audience de masse, avec une collecte de données à visée commerciale qui
participe à l’accroissement du commerce électronique et donc des commissions
versées. Globalement, le modèle publicitaire média semble ne pas être
transposable tel quel sur l’internet. Son efficacité dépend du degré de son
enrichissement avec des éléments de promotion contextuelle qui prennent en
compte des critères personnalisés dans la diffusion du message. Ce qui implique
une infrastructure technique très performante et une exploitation efficace des
données collectées qui n’est pas à la portée de tous les acteurs du secteur.
[1] Lessig Lawrence, Préface dans Latrive Florent, Du
bon usage de la piraterie, Exils Editeur, Paris, 2004, p.10.
[2] Creative Commons est une licence adaptée aux textes,
sons et vidéos, fondée sur le libre accès. Elle a été créée en 2003 à
l’initiative de Richard Stallman, informaticien et co-créateur du système
d’exploitation GNU/Linux, et Lawrence Lessig, professeur de droit à
l’Université Stanford de la Californie. Le contenu protégé par Creative Commons
peut être reproduit et diffusé gratuitement et l’auteur peut définir des
conditions particulières en ce qui concerne l’utilisation commerciale de son
œuvre, les modifications effectuées par des tiers et la nécessité ou non de
citer la source. Voir http://creativecommons.org/
[3] Copyleft est une dérision du mot copyright, qui
signifie droit d’auteur en anglais. Le mouvement trouve son origine dans la
General Public Licence (GPL), qui est une licence de logiciels en libre accès,
mise en place par Richard Stallman. A l’inverse du droit d’auteur traditionnel
qui définit des interdictions quant à l’utilisation d’une oeuvre par le public,
la licence GPL définit quatre libertés et une obligation: la liberté d’usage,
la liberté de copie, la liberté de modification, la liberté de diffuser ses
modification et l’obligation de maintenir la GPL sur tout logiciel dérivé.
Source : Latrive Florent, Du bon usage de la piraterie, Exils
Editeur, Paris, 2004
[4] Etude d’analyse des protocoles d’application sur
l’internet en provenance des fournisseurs d’accès en Europe, aux Etats-Unis, en
Amérique latine et en Asie, effectuée entre janvier et juin 2004. Accessible à
l’adresse : http://www.cachelogic.com/research/index.php
[5] Selon les résultats su Baromètre publié par l'ACSEL
(Association pour le commerce et les services en ligne), les 24 e-commerçants
du panel ont réalisé un chiffre d'affaires de 671,2 millions d’euros au cours
du premier trimestre de 2005, soit une progression de +54,8% par rapport au
premier trimestre 2004, à périmètre comparable. Avec 7,3 millions de
transactions pendant cette même période, l'activité a connu une progression de
+57,4% par rapport au premier trimestre de l'année dernière. L’association
estime que, suivant la tendance qui se dessine depuis que le Baromètre du
e-commerce a été mis en place début 2001, en 2005 le chiffre d'affaires total
du e-commerce atteindra environ 10 milliards d'euros. Communiqué accessible à
l’adresse : http://www.acsel.asso.fr/communiques/communiques.asp?ref=47
[6] C’est le cas du New York Times (http://www.nytimes.com) et du Washington Post (http://www.washingtonpost.com).
[7] Voir : OPA Europe, « Internet : le
moyen idéal pour démarcher des consommateurs pendant la journée »,
septembre 2004, et Premier Baromètre des sites médias, Geste – Médiametrie,
janvier 2003, op. cités.
[8] Pour une présentation détaillée des formats
publicitaires certifiés par l’IAB France (Interactive Advertising Bureau)
voir : http://www.iabfrance.com
[9] La barre d’outils de Google est une application qui
s’intègre au navigateur internet et permet d’effectuer une recherche sur le
moteur sans passer par son site. Accessoirement elle bloque aussi toute
tentative intempestive d’ouverture d’une fenêtre de navigation. Source : http://toolbar.google.com/intl/fr/
[10] Le principe d’élimination des bandeaux publicitaires
se fonde sur le fait que ces derniers ne sont pas hébergés sur le même serveur
que le contenu éditorial, mais sur les centres serveurs des régies
publicitaires interactives, comme Doubleclick ou Adserver. De cette façon, il
suffit de placer les adresses concernées sur la liste de serveurs indésirables
pour que le navigateur n’affiche plus de publicités. Cette fonctionnalité est
intégrée au navigateur Firefox de Mozilla, qui est distribué gratuitement sur
l’internet, à travers l’application Adblock. Mozilla est un projet lancé par
Netscape en 1998, qui vise à produire des logiciels open source sur une
base collaborative. Voir : http://www.mozilla.org
[11] Ainsi le journal Le Monde avait mis en place en 2000
un portail baptisé Tout.LeMonde.fr, comportant plusieurs services marchands,
dont une galerie de commerce électronique de produits culturels. Cette
tentative a été rapidement abandonnée par les responsables de la filiale Monde
Interactif, car jugée trop éloignée de son métier d’origine. Source :
Interview du directeur du Monde Interactif Bruno Patino au Journal du Net, 11
janvier 2001, accessible à l’adresse http://www.journldunet.com/itws/it_patino.shtml
[12] Voir à ce sujet : Fortin
Pascal, « Le journalisme en ligne au risque de l’argent »,
Institut Français de Presse – Publications en ligne, 2000, accessible à
l’adresse http://www.u-paris2.fr/ifp/recherche/
activites/publications/rec_act_lig$fortin01.pdf
[13] Voire http://www.vibrantmedia.com. Source : « Ads embedded
in Online News Raise Questions »,
[14] « Online advertising wasn't working because they put it in
the wrong place », Source: « Vibrant
Media brings paid links to Web content »,
Brian Morissey, DM News, 6 avril 2004, accessible sur http://www.dmnews.com
[15] http://actu.wnadoo.fr/r/WGjournal
[16] Source : « Bases d’adresses e-mails B to
C : ce qu’elles proposent », Anne-Laure Béranger, Journal du Net, 30
septembre 2002, accessible à l’adresse http://www.journaldunet.com/0206/0206/tabemail.shtml
[17] En 2004, Google a généré un chiffre d'affaires de 3,1
milliards de dollars dans le monde, soit 98 % de l'ensemble des revenus du
moteur, par la vente des liens sponsorisés. De son coté, Yahoo a engrangé 3
milliards de dollars de la publicité en ligne, dont une partie en provenance
des liens sponsorisés. Enfin, MSN teste en 2005 une solution intégrale pour son
offre d’espaces publicitaires, y compris les liens sponsorisés, appelée
AdCenter. Source : « Google, MSN, Yahoo : le grand combat »,
Santrot Florence, Journal du Net, 3 mai 2005, accessible à l’adresse http://www.journaldunet.com/dossier/google-msn-yahoo/publicité.shtml
[18] Interview de Mats Carduner, directeur général de
Google France, à Jérôme Bouteiller, Neteconomie.com, 22 décembre 2004,
accessible à l’adresse : http://www.neteconomie.com/perl/navig.pl/neteconomie/infos/article/20041222162637
[19] Pew Internet &American Life Project, « Search Engine Users », janvier 2005. Etude effectuée par entretien téléphonique auprès d’un échantillon représentatif de la population internaute américaine de 2 200 personnes, entre mai et juin 2004. Accessible à l’adresse : http://www.pewinternet.org/pdfs/PIP_Searchengine_users.pdf
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